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« Mon n’avenir » - Florian Rive

Koulibaly n’est pas un MNA (Mineur Non-Accompagné). Il est arrivé, en 2021, de Guinée, avec sa mère, son frère et sa sœur pour rejoindre son père, en France depuis plusieurs années.

Suite au bilan d’accueil, il a été scolarisé dans une UPE2A (Unité Pédagogique pour Élèves Allophones Arrivants) pour PSA (élèves « Peu Scolarisés Antérieurement »). En septembre 2022, il entre en Seconde Bac Pro Melec (électricité) dans le lycée où je travaille. C’est assez rare. Les élèves PSA ou NSA sont très souvent orientés vers des CAP. Mais il a effectivement un très bon niveau de compréhension, un niveau de production orale correct, malgré une prononciation encore difficile, et à l’écrit il fait des phrases qui forment un texte appliqué et cohérent, qui répond aux consignes, et semble aussi lui permettre d’exprimer quelque chose de lui ou son avis.

 

Un jour, il est le seul à m’attendre devant la salle. Nous entrons et échangeons quelques mots. Il s’assoit et, pendant que j’allume le pc, me dit : « Est-ce qu’aujourd’hui on pourrait parler de ça ? » en tendant son téléphone portable. Je m’approche et je vois un texte sur l’écran. Le titre « Mon n’avenir » apparaît comme en objet en haut de l’écran. Je lis le texte :



Je suis surpris. Dès 9h du matin, c’est un changement de programme, mais il faut faire une place à ce texte. Il y est question du rêve de ces jeunes étrangers et de la place que ce rêve a dans leur vie.

 

Il a une liberté étonnante avec la langue française et l’écriture. Comme je l’ai dit, ses écrits sont remarquables, très courts, très appliqués, et portent des signes d’investissement personnel. Là, il s’est affranchi du poids de la correction linguistique, il y a de nombreuses erreurs qu’il ne fait pas d’habitude. Là, il s’est autorisé, voire auteurisé. Je le félicite : « c’est vraiment bien ce que vous avez écrit parce que c’est difficile de raconter des choses personnelles comme ça ». Il approuve et me dit : « Est-ce qu’on pourrait travailler sur ça ? » « Vous voulez qu’on travaille sur votre texte ? Pour corriger l’orthographe et la grammaire, et parler aussi de ce que vous dites ? » Il sourit et me dit « oui ».

 

Une fois le texte projeté au tableau, j’écris le titre « Mon n’avenir », au feutre Velléda, en haut. Je lui demande de le lire et en orientant son attention vers le « n’ ». C’est une erreur assez classique, ce « n » en tête d’un nom qui commence par une voyelle. Mais il a ajouté l’apostrophe qui rapproche ce « n » de la négation en français. C’est beaucoup moins fréquent.

Je lui demande : « quand est-ce qu’on utilise ce « n’» normalement ? » Il comprend tout de suite, sourit et me dit que c’est normalement pour dire non. Lui souriant, je lui dis en faisant un geste pour désigner tout ce qu’il y a autour de nous : « Mais vous en avez un d’avenir ». Il sourit encore et dit « oui ». Je n’écris, pour l’instant, pas de « correction » sur le texte au tableau, ajoutant : « vous en parlez dans la suite ». De manière plus directe, je souligne alors le mot devicenir pour qu’il le dise à haute voix, il dit devenir après avoir un peu hésité. Je lui dis alors que ce n’est pas ce qu’il a écrit et qu’il a peut-être mélangé plusieurs mots : devenir, deviner, dessiner… que j’écris au tableau. C’est dur de deviner ce qu’on va devenir, de voir ce qui se dessine ?

 

Quelqu’un frappe à la porte. Eduardo s’excuse de son retard, il fait partie des élèves autorisés à entrer en classe en retard le matin car il habite loin. Je demande à Koulibaly s’il veut continuer de travailler sur son texte. Il me dit oui sans hésitation. Eduardo semble intéressé. Nous échangeons donc tous les trois.

Je reviens sur le début du texte et la formule « qui suis-je » en leur demandant ce qu’on veut dire quand les mots sont dans cet ordre. Ils répondent rapidement que c’est pour une question. On revient aussi sur « je suis venu faire quoi dans le monde ». On échange sur ce sentiment « existentiel » partagé par tous. Alors Eduardo dit : « Quand on écrit des textes comme ça, on pense à ce qu’on écrit mais on vérifie pas. Alors, on fait des fautes d’orthographe ». Koulibaly acquiesce en souriant. Ils me demandent tous les deux comment faire. Je leur dis de faire comme Koulibaly, de s’exprimer malgré tout. J’explique que, quand on écrit, il ne s’agit pas, dans un premier temps, de contrôler l’orthographe, qu’il faut laisser une liberté à ce qui se dit et relire ensuite, quelque chose d’intéressant peut se lire dans une faute d’orthographe. Je prends l’exemple de : « J’ai rêvé plusieurs trucs ». Il y avait dans cette phrase plusieurs possibilités de faire au moins une erreur : le son /E/ écrit trois fois différemment et le s du pluriel, mais il n’y en a pas. J’explique qu’ils progressent et que des vérifications deviennent presque « automatiques », sans qu’ils ne s’en rendent compte…

 

Je reviens alors sur le « rêve » de Koulibaly, pour leur demander comment s’est fait le choix de leur orientation. Koulibaly explique qu’il a toujours fait de l’électricité, qu’il a toujours « bricolé de l’électricité à la maison ». Il fait des gestes de bricolage avec ses mains en disant ça. Et il rajoute : « comme pilote, c’était pas possible, j’ai choisi électricité. En plus mon oncle il est allé à l’école et il fait de l’électricité. »

 

La fois suivante, ils ne sont toujours que tous les deux. Nous reprenons le texte de manière un peu scolaire, en revenant sur les notions qu’on a vues en travaillant l’autobiographie. Puis je parle à Koulibaly de la fin de son texte. Je lui dis que je ne suis pas sûr de bien comprendre le « n’an tant pas ». Il m’explique. Sa grand-mère est sourde. Elle n’a pas pu s’occuper de ses enfants toute seule. Sa mère a grandi chez sa grande sœur. Je lui dis « c’est une vie difficile », et je commente un peu. Il se tait après ses explications. Eduardo saisit l’occasion pour nous parler de lui. Koulibaly parle ensuite de son « rêve » d’être pilote. Il nous raconte : pour venir en France, il a pris l’avion, avec sa mère, son frère et sa sœur. Apparemment, il a pu visiter le poste de pilotage. Il nous raconte ça, comme une sorte de révélation et dit que, depuis, il « rêve » de devenir pilote un jour. Comme ça n’était pas possible, qu’il y a de l’électricité dans l’avion et qu’il bricolait déjà de l’électricité à la maison, alors il a choisi cette filière. Je lui dis que son « rêve » peut se réaliser autrement. Qu’il pourra peut-être prendre des cours de pilotage plus tard, sur des petits avions de tourisme… Qu’on peut avoir un métier et une passion.

 

Ça sonne. Eduardo se dépêche parce qu’il est souvent en retard. Koulibaly, debout près de la porte, son sac sur le dos, continue de parler de sa passion pour le foot, qu’il partage avec Eduardo. C’est un peu confus mais je comprends qu’il me parle aussi de son père, qui n’est pas allé à l’école. Il insiste là-dessus, comme dans son texte, et reparle de son oncle et de l’électricité. Il me dit que, par rapport à ses parents, il a fait quelque chose qui n’est pas bien ou qui fait qu’il ne se sent pas bien. Je ne comprends pas car il parle vite. Puis ça devient un peu plus clair. Je comprends que son père ne voulait plus qu’il aille au foot parce qu’il avait peur que cela pèse sur l’école, lui, n’était pas allé à l’école. Il redit l’importance du foot dans sa vie. Il raconte alors que son père a finalement accepté, après quelques temps et qu’il retourne aux entraînements, que son père lui a dit qu’il voyait bien que ça allait le rendre malheureux de ne pas y aller. Il s’arrête et me regarde, l’air assez ému. Je lui dis que son père, même s’il n’est pas allé à l’école, savait réfléchir, discuter avec lui et qu’il lui a fait confiance. Il me dit que ça l’a motivé pour travailler, que ça le motive pour être sérieux, rentrer vite après les entraînements, se coucher tôt et bien travailler à l’école, que son père a vu ça.

C’est l’heure, il doit aller en cours d’EPS justement et ce sont ensuite les vacances. Nous nous reverrons à la rentrée avec tout le reste du groupe de retour de stage.

 



Florian Rive




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