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La Baroulette, au cœur de la cité - Françoise Martin et Estelle Planson

Pas tout de suite comme sur des roulettes


La Baroulette est une association créée en 1991, à Rochefort, dans le sillage des lieux d’accueil, type Maison verte, inventés par Françoise Dolto et Bernard This. C’est d’une idée insistante, issue du désir de quelques-uns de l’équipe du CMPP de Rochefort orientés par la psychanalyse – et alertés par le sentiment d’accueillir toujours trop tard les enfants qu’on leur adressait – qu’est né ce projet. Un désir d’aller au-devant des familles et de faire entrer la psychanalyse dans la cité !


Tous les partenaires de la ville et des alentours furent conviés à l’élaboration et la construction du projet. Tous ne vinrent pas et même, il y eut des oppositions. Quelques mois après, le texte était écrit et nous demandions à ouvrir « un lieu de rencontre, de loisir pour les tout-petits et leurs parents dont les principes de base étaient la liberté totale de fréquentation et l’anonymat pour les personnes accueillies ». Mais commença une longue et difficile traversée de toutes les instances administratives et financières avec cette même question lancinante : « Avez-vous quantifié les besoins ? », alors que nous pouvions surtout parler de notre désir et de notre expérience de professionnels.


Nous sommes entrés dans la dialectique du besoin, de la demande et du désir ! Il aura donc fallu en passer par la demande ; ce temps dura environ dix ans et mit durement notre désir à l’épreuve. Les accueillants acceptant le bénévolat, il fallait quand même trouver un lieu ! En 1995, nous avons pu nous installer dans un centre aéré, mais hélas, pas pour longtemps.

Plusieurs déménagements… une longue itinérance, qui n’ont pas eu raison de notre détermination et nous ont même permis d’affermir, d’affiner notre désir : au fond, de savoir ce sur quoi nous ne voulions pas céder, soit, préserver la discrétion et l’intimité des familles accueillies.


Enfin, en 2002, une heureuse rencontre nous permit d’obtenir le soutien moral, financier et logistique de la Caisse d’allocations familiales. Puis sont venus ceux de la Ville et du Département. Peu à peu, le chemin se fit et nous fûmes enfin reconnus.

La Baroulette prit sa place de lieu ouvert dans la cité !


Roulez jeunesse !


Aujourd'hui, entité au sein d’une maison de l’enfance, la Baroulette, comme Lieu d’accueil enfant parent (LAEP) est repérable par son positionnement et son discours. Elle accueille dans sa structure des petits de 0 à 5 ans et leurs parents. Aussi, se déplace-t-elle dans l’école, proposant sa présence à l’ouverture des portes, dans ce moment où l’enfant et ses parents ont à se séparer. Également, elle s’infiltre dans la ville, l’air de rien, participant à l’élaboration des projets autour de l’enfance. Là où elle passe, ça sème !


La Baroulette est reconnue comme lieu qui soutient qu’un petit sujet, dès bébé, adresse une parole quand bien même son langage n’est qu’en fleurissement : un babillement, des pleurs, une bavouille, un corps qui s’agite… tout autant de façons qu’a le tout-petit d’entrer dans la dialectique du besoin, de la demande et du désir.


Ainsi, les accueillants s’évertuent à donner une place prépondérante aux petits mots de l’enfant, à sa lalangue, à ses jeux spontanés, à ses demandes si significatives de son désir d’exister. S’ils savent d’ailleurs que ce n’est parfois pas si simple pour le petit homme, ils croient très fort au pouvoir créatif de l’enfant. Chaque séance est alors animée selon ce postulat, ce qui peut rendre très vivant ce qui s’y passe. Du jeu de cache-cache au « coucou le voilà », du pétrissage de pâte à modeler à la création de l’escargot, du biberon au faire semblant d’un repas partagé, du gribouillage à l’apparition du bonhomme, et parfois même du quatre pattes, au ravissement des premiers pas… La contingence est permise, il y a de la joie dans la surprise.


Quant aux parents, ils sont reçus avec autant d’attention que de délicatesse. Ils sont entendus dans leur singularité, accompagnés avec finesse, en fonction de la demande, sans insistance mais avec l’idée préalable que chaque parent est unique, de par son histoire, son parcours, ses désirs, et aussi sa rencontre avec son enfant.


Bonjour Baroulette !


Par ailleurs, un travail extrêmement précieux se poursuit dans une école maternelle d’un quartier sensible de la ville. Deux fois par mois, à l’ouverture de l’école, deux accueillants de la Baroulette sont sur le pont, invitant les parents à entrer dans l’école, dans la classe avec leur jeune enfant. Entendons l’effet réjouissant de la rencontre, dans le « Bonjour Baroulette » d’un enfant adressé vivement à une accueillante, récemment.


Nous y voici ! On s’installe, on s’observe et on s’accoste. Ci-après, quelques petites scènes qui laissent entrevoir la tonalité de notre présence en ce lieu :


- Une première, celle d’un petit garçon qui pourra enfin s’arrêter de courir dans tous les sens en criant, quand l’accueillante proposera de regarder le livre qu’il a dans les mains, même si on est dans « l’espace pâte à modeler ». Le petit d’homme se livrera à l’expérience de faire dévorer, au gros ver de terre, un bout de pâte à modeler, ou bien encore de le cacher, de l’écraser, ou bien encore de dire qu’il fait peur !


- Une autre scène, dans ce même moment, une petite fille refuse la proposition de sa maman d’aller lire une histoire, observatrice alors du jeu qui se passe autour de l’horrible ver de terre. Petite fille dont la maîtresse venait de dire, délicatement, qu’en classe on ne l’entendait pas… Une petite conversation s’établit : on parle, avec les mères et les enfants, de ce qu’ils aiment faire à la maison, à quoi ils jouent. Les enfants disent « les pistolets », « les poupées », les mères répondent : « non, pas les pistolets chez nous, c’est pas bien ! », « les poupées bah non c’est pour les filles ! ». L'accueillante seulement introduira de l’étonnement face à ces propositions, par un « ah bon » et adressera un regard amusé aux enfants.

C’est alors qu’à un moment, surgit de la bouche de la petite fille : « eh bah papa prend maman en photo quand elle dort ! » Rires de surprise, mais parole prise au sérieux un « Voilà une amusante histoire que tu racontes ! », soutiendra ce jeune parlêtre – dont il est dit qu’on ne l’entend pas – dans son énonciation, qu’il y a dans la famille une jouissance au sujet de laquelle elle n’est pas si dupe !


« Roulezcafé »


De plus, la Baroulette est très souvent invitée à participer à des réunions, avec les partenaires, sur la politique de la ville concernant l’enfance et la parentalité. C’est aussi l’occasion de se faire partenaire de la ville, à certains endroits, de contribuer à des propositions d’accompagnement des familles et des enfants : le « café-parents » en est un exemple. Certains matins, après avoir laissé son enfant dans la classe, les parents peuvent s’arrêter à la sortie de l’école boire un café qui leur est offert par certains professionnels de l’enfance qui travaillent sur la ville. Occasion de parler de la pluie et du beau temps si l’on veut, mais aussi de parler de ses préoccupations du moment.


« La Baroulette c’est ma nourriture »


La Baroulette organise aussi des événements, des conversations à thème, des conférences et même dans le passé deux colloques. Un exemple d’une de ces manifestations : une soirée exceptionnelle le 15 mars dernier. Ce soir-là, à Rochefort, la Baroulette a invité Philippe Lacadée à faire conversation sur le thème de la parole, activité principale de l’enfant. En effet, à côté des multiples activités proposées à l’enfant pour améliorer son épanouissement, la Baroulette, orientée par la psychanalyse, promeut la circulation de la parole et situe celle-ci comme activité principale de l’enfant.


À cette demande, Philippe Lacadée a répondu en proposant « Les mots, nourriture essentielle de l’enfant ». Un titre poétique qui nous a enthousiasmés, d’autant plus qu’il venait en écho à cette jolie parole qui nous avait été adressée par une maman, il y a bien longtemps « La Baroulette, c’est ma nourriture ! » D’ailleurs, il a attiré un public nombreux et joyeux ! Dans une langue imagée, Philippe Lacadée a fait valoir à quel point l’enfant goûte les mots, les absorbe, les dévore ou aussi bien les recrache.


S’il a une bouche pour manger, il a aussi une bouche de la demande et son développement est lié à quelque chose qui s’ordonne entre amour et désir, mais qui doit être incarné par une présence qui aide l’enfant à aimer la langue. Sans oublier la bouche autoérotique, celle qui se jouit grâce à la pulsion orale autour de l’objet plus-de-jouir en jeu. C’est cette bouche de jouissance qui se jouit aussi du goût des mots, nous indiquant que la sonorité du mot est pour le petit d’homme une substance jouissante.


Il a souligné l’importance de la parole, des mots, mais pas seulement des mots parlés, aussi de ceux inconnus qu’on rencontre par exemple dans les livres, sources d’un malentendu toujours fécond. Les livres sont là pour ouvrir les questions que rencontrent les enfants et leur permettre de (se) les poser. Illustrant avec force son propos par la lecture des merveilleux livres pour enfants qu’il avait apportés dans sa hotte, Philippe Lacadée a enchanté le public. Une discussion a suivi lors de laquelle une participante a témoigné de la place des livres dans sa vie personnelle et professionnelle : « Une mine d’or ! ». Une magnifique soirée, conviviale et vivifiante qui confirme l’importance de la Baroulette et de la psychanalyse dans la cité.


La Baroulette, un lieu en dehors du discours du maître. Un lieu où la spontanéité est préservée. Un lieu, au cœur de la cité, d’accès libre, où l’enfant et ses parents sont accueillis avec leur singularité.


Françoise Martin et Estelle Planson





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