Cristiane de Freitas Cunha Grillo
Deborah Lemos Lobato de Araújo
Gabriela Antunes Ferreira
Les demandes excessives faites aux Janela da Escuta [1] ne viennent pas des adolescents, mais plutôt des professionnels qui travaillent avec les adolescents dans les divers domaines de l’éducation, de la santé, de l’assistance sociale, de la socio-éducation, etc. Quelque chose de l’adolescence se présente comme étrange et insupportable, provoquant le renvoi des adolescents au service, ce qui peut parfois cacher une rupture ou un abandon du jeune par le professionnel. C’est aussi souvent une demande de médiation qui viserait à contrôler le corps, la parole, la pensée et le désir des adolescents, en les rendant plus conformes aux normes, sans rien mettre en question. On attend de l’adolescent la performance, la productivité et le fonctionnement plein comme une réponse aux demandes néolibérales.
Les excès viennent aussi d’un excès d’angoisse des mères et des grand-mères qui veulent absolument parler de leurs enfants et petits-enfants, se plaindre à propos d’eux. Elles regrettent la perte de l’enfant gentil et le surgissement de l’adolescent énigmatique, qui s’éloigne d’elles, qui subvertit un prétendu ordre familier. Un adolescent qui, très souvent, obéit à un projet déjà établi, destiné au pire. Il y a une prolifération d’objets qui consomment le corps, une objectification du savoir qui est dans la poche de chacun (J.-A. Miller, 2015), ce qui subvertit le lien à l’Autre, cet Autre abîmé (É. Laurent, 2020). Parmi tous ces objets, il y a la drogue, licite et illicite. Et au Brésil, la guerre contre les drogues justifie le massacre de la jeunesse noire, dans le silence des incarcérations et de la mort de ces jeunes.
Le laboratoire Janela da Escuta accueille les cas qui constituent des impasses pour les politiques publiques. À partir d’une construction du cas qui extrait le savoir du jeune, on invente de nouvelles formes d’interventions cliniques et d’articulations politiques, tout en pariant que la construction peut provoquer le surgissement d’une équipe concernée pour chacun des cas. De cette façon, il y a un déplacement d’une pratique rigide, protocolaire, basée sur des idéaux imposés aux jeunes et sur le refus de l’accueil vivant de l’adolescent, vers une pratique guidée par la singularité, par l’invention qui dépasse le cas, en le considérant comme exception et paradigme, tout à la fois. Les participants du Janela da Escuta, suivant l’orientation de Philippe Lacadée (2011), s’invitent à s’asseoir à côté de l’adolescent pour que chacun puisse traduire à sa façon ce qui a déjà été nommé comme le pire.
Invention d’une réponse, d’un lieu
L’enfance de Marina, une fille noire de la campagne du Minas Gerais, a été marquée par la circulation de l’objet drogue dans sa famille. Le destin des parents engagés dans le trafic de drogues, entre allers et retours dans la prison, a amené Marina à un autre destin : la maison de la grand-mère maternelle. À l’adolescence, un dénouement est arrivé à partir de la sortie de prison du père, un homme autoritaire et abuseur. Il a imposé que Marina habite avec lui et lui a fait subir plusieurs violences, y compris sexuelles, de sa part et de la part d’autres membres de la famille paternelle. Marina a été rejetée et culpabilisée par ces abus.
Cette expérience avec le traumatique, impossible à inscrire, l’a menée à pratique très risquée : l’usage et le trafic de drogues. Pendant la période où elle vivait seule, elle est tombée enceinte. Un des effets de cet événement a été l’interruption du lien aux drogues et la quête d’un soin effectif pour le duo mère-bébé : l’accueil institutionnel des deux, ensemble. Durant le post-partum, à la maison d’accueil, aux prises avec les apprentissages du soin de son enfant et une nouvelle image d’elle-même, un point d’irruption l’amène à une nouvelle rencontre abusive avec les drogues. On pourrait s’interroger si la quête de cette jouissance, à ce moment-là, opérait comme une certaine suspension au milieu d’une expérience aussi fragmentaire et intense que celle du post-partum. Des mesures extrêmes ont alors été prises : une hospitalisation pour le traitement de la toxicomanie pendant huit mois, tandis que son enfant vivait sa précieuse première année de vie ; ensuite, quand elle a été libérée, sous une sensation profonde d’étrangeté à propos d’elle-même, de son image corporelle et de sa subjectivité engourdie par des drogues psychiatriques, elle a été persuadée qu’il fallait renoncer à la maternité et confier son enfant en adoption. Aujourd’hui, elle ne reconnaît pas cette décision comme la sienne et en tant que « mère orpheline », elle cherche à récupérer la garde de son fils.
À partir de cette perte, agir avec de la force et du leadership dans des scènes de conflit semblait donner du soutien à une expérience d’être qui ne se réalisait qu’en prouvant de quoi elle était capable. Elle raconte qu’elle tombait toujours dans le piège provocateur des camarades : « vas-y, Marina, montre que tu viens de là-bas ! », expression qui traduit le courage dans sa forme mortifère. Habitant dans une maison d’accueil à la campagne, Marina et d’autres jeunes se disputent pour des parts de gâteau et elle est arrêtée pour tentative d’homicide.
Au système socio-éducatif, Marina est renvoyée au Janela da Escuta. Au laboratoire, elle participe aux échanges, aux ateliers d’art et commence un parcours avec un analyste. Elle s’efforce de construire un lieu, un foyer. Elle pense à habiter avec sa mère, qui devrait sortir de prison bientôt, ou avec un jeune qu’elle a rencontré dans un cours qu’elle a eu. Elle témoigne maintenant de ce qu’elle trouvera comme la juste mesure de son expression dans le monde : « je ne viens pas de là-bas, je viens d’ici », réponse qu’elle esquisse au laboratoire. Au Janela da Escuta, elle peut improviser des réponses et des questions dans la rencontre avec une analyste. À l’atelier d’art, elle assume le rôle de celle qui invite les adolescents : « il ne faut pas être artiste, on va juste dessiner ! »
Marina a passé son enfance et une partie de son adolescence plongée dans l’excès de violences, de diagnostics, de drogues, d’institutions (la maison d’accueil, la prison). Au laboratoire, dans le hiatus de l’interdisciplinaire, Marina peut trouver une place digne pour qu’une parole inédite puisse surgir.
Cristiane de Freitas Cunha Grillo
Deborah Lemos Lobato de Araújo
Gabriela Antunes Ferreira
[1] Le Janela da Escuta est un programme d’extension et de recherche de la Faculté de Médecine de l’Université fédérale du Minas Gerais et aussi un laboratoire du CIEN (janeladaescuta.org).
Références bibliographiques :
Cosenza D. Clinica dell'eccesso. Derive pulsionali e soluzioni sintomatiche nella psicopatologia contemporanea. Milão, Franco Angeli, 2022.
Lacadée Ph. L’Éveil et l’exil. Enseignements psychanalytiques de la plus délicate des transitions : l’adolescence. Nantes, Éditions nouvelles Cécile Defaut, 2007.
Laurent É. Tratamiento psicoanalítico de la psicosis e igualdad de las consistencias. In Miller J.A, Briole, G. La conversación clínica. Buenos Aires, Grama Ediciones, 2020.
Miller, J.A. En direction de l’adolescence. Disponível em https://www.lacan-universite.fr/wp-content/uploads/2015/04/en_direction_de_ladolescence-J_A-Miller-ie.pdf. Acesso em 17 de abril de 2023.
Comments