« J’veux sentir la vie » - Étienne Germe
- Étienne Germe
- 10 avr.
- 4 min de lecture
Mon expérience de l’enseignement du théâtre s’inscrit dans le cadre d’une option facultative en lycée. Ce dispositif accueille chaque année une vingtaine d’élèves environ par niveau, volontaires pour découvrir la pratique théâtrale dès la seconde et prolonger cette découverte en première et en terminale. L’encadrement est assuré par un partenariat entre un enseignant et un comédien. Les contraintes économiques ont diminué d’année en année le nombre d’heures de l’intervenant extérieur et celui-ci joue désormais le rôle de guide et de conseil pour l’enseignant, souvent seul avec son groupe. Titulaire d’une certification, j’exerce dans ce cadre depuis une quinzaine d’années. Les élèves ont deux heures de pratique par semaine. Le premier trimestre permet un travail d’atelier qui nous conduit progressivement au choix d’un projet de spectacle. L’année est rythmée par sept ou huit dates de représentations dont le but est de permettre la découverte du répertoire classique ou contemporain et les différentes facettes du spectacle vivant : circassien, danse, marionnettes, clown, théâtre, mime… Au mois de mai, un stage de quatre jours permet de finaliser le projet annuel et de proposer deux représentations publiques, en après-midi puis en soirée.
Enseigner le théâtre suppose qu’on prenne conscience très rapidement qu’il est impossible d’enseigner le théâtre et que l’on fasse de cet impossible une boussole. Lorsqu’il se métamorphose en comédien, un élève transcende sa condition. Il acquiert une densité, une voix, une présence, une visibilité qui le grandissent et souvent, le dévoilent à lui-même et aux autres. Pour prendre un exemple, la seule présence au plateau d’un groupe de vingt adolescents face public portant leur regard sur ceux qui les regardent est d’une grande force. Tout est là : leur jeunesse, leur spontanéité, leur vivacité, leurs respirations, leurs gênes, leurs maladresses, leurs rires, leurs inquiétudes… Ils offrent le spectacle de la mise en perspective de leur âge. On ne peut pas enseigner ça, on peut simplement accompagner ce qui surgit, ce qui accepte de se dire, de se faire entendre, ce qui accepte d’exister au monde et au regard de tous.
De ce qui surgit, il y a les voix. Prenons l’exemple d’Adrien. Cet élève a commencé le théâtre en seconde. Il est arrivé, visiblement encombré par son grand corps d’homme et la tessiture de sa voix. Peut-être venait-il demander au théâtre un chemin pour donner de la visibilité à son propre corps et de l’intensité à sa propre voix. De fait, sa timidité l’amenait à recroqueviller chaque propos comme un escargot dans sa coquille. Le fait d’être vu, au plateau, figeait en lui les mouvements et lui donnait le talent involontaire du clown, empêtré dans le fatras du réel. Il aura fallu trois ans de fréquentation théâtrale pour que surgissent un corps, une voix, une présence, à la manière d’un mûrissement, passant insensiblement de celui dont on rit à celui qu’on écoute.
De même, toute mise en scène doit trouver un point d’équilibre entre le conseil et la créativité de chacun. Comme pour les professionnels, la tentation est grande de faire du comédien un pantin et de faire de l’autre le prolongement de ses désirs et volonté. Les incertitudes qui traversent les adolescents peuvent les amener à se soumettre aux injonctions. Un spectacle réussi peut être le résultat d’un processus de soumission humainement détestable. Les élèves sont toujours très étonnés lorsqu’ils se rendent compte que les propositions de celui qui les accompagne sont malléables. Les idées qu’ils apportent, leurs contradictions, les propositions de mise en espace sont agissantes et le spectacle qui se construit est le résultat d’un échange, un puzzle d’émotions, de décisions et d’inventivité collective. L’adulte est convoqué comme regard extérieur, il met en jeu son expérience, sa pratique, sa compétence mais il n’est pas au plateau. Il ne porte pas la responsabilité de ses choix. La prise de risque est toujours pour celui qui joue.
Pour donner un dernier exemple, le spectacle que nous préparons cette année a fait l’objet d’un débat interne : que proposons-nous au plateau pour imager le texte sur lequel nous travaillons ? La proposition du groupe a été une fête d’anniversaire. Nous partons donc de là. Chacun se construit un rôle à partir de cette situation. Untel sera le frère, l’autre la voisine, les autres sont des amies du club de tennis… Les personnages de la pièce seront nos invités. Une scène collective nécessite une danse : une élève, Lilly, propose une chorégraphie improvisée, une autre la filme, transmet la scène à chacun et la semaine suivante, le groupe développe les mêmes pas de danse. Le texte nous parle d’une chanson dans les dernières répliques. Une autre élève, Agathe, invente une mélodie, écrit des paroles, envoie l’enregistrement à chacun et le premier essai voit le groupe réuni autour d’un piano, chantant d’une seule voix, intimidée, fragile, les paroles suivantes :
Couplet 1
17 ans, j’pense toujours à l’avenir, je cherche un chemin, un destin
J’ai un rêve, j’veux grandir, m’évader, me perdre, me trouver,
Mes désirs me portent, je me vois libre, je n’veux plus reculer devant rien
Je m’envole avec cet espoir mais l’angoisse me retient
Refrain
Mais j’sais pas si c’est par là que j’veux aller
Quelle est ma destinée ? Mon futur tant redouté
Je cours, je m’élance, j’me relève et j’m’accroche
Changer, tout oser, tout donner, vivre à 17 ans
Couplet 2
17, j’commence à tout lâcher, un passé que je vois, s’effacer
Les années me poussent à d’voir grandir, et laisser mes repères, s’envoler.
Sous mes pas, je sens tout ce qui m’attend, un futur que j’apprends à tracer.
Les erreurs, je les prends comme tremplin, un bagage pour demain, avancer
Bridge
Je dessine ma route, effaçant les doutes, j’avance, prêt à tout, j’veux sentir la vie
Je dessine ma route, effaçant les doutes, j’avance, prêt à tout, j’veux sentir la vie…
Étienne Germe
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