Interview Manuel Renga et Lise Labro à l’Opéra national de Bordeaux
- Le Pari de l'a-conversation
- 11 avr.
- 15 min de lecture
La juste langue
Dominique Grimbert – Bonjour à vous, Manuel Renga et Lise Labro. Nous vous remercions de nous accueillir au Grand-théâtre de l’Opéra National de Bordeaux en tant que metteur en scène et assistante metteur en scène d’un opéra participatif jeune public, Un Élixir d’amour. Une fabrique à idées d’après L’Élixir d’amour de Gaetano Donizetti, pour ce numéro du Pari de la Conversation sur la mise en scène.
Philippe Lacadée – J’'ai fait un petit schéma d’un enfant connu par un texte de Freud, « Le jeu du Fort-Da » qui joue avec sa bobine en bois attaché à un ficelle pendant que sa mère s'en va. Donc cet enfant met en scène tout seul le départ de sa mère. Plutôt que de regarder la porte par où la mère est partie, il décide d'inventer un jeu. Et le docteur Lacan a saisi, dans ce jeu, l'enfant metteur en scène de son existence. Plutôt que d’être laissé en plan ou d'être prisonnier de la réalité du départ de sa mère, il décide de se débrouiller tout seul avec le vide qu'a laissé la mère, au pied de son lit, soit un réel comme vide dont on sait qu’il est au principe de la création.
Dominique Grimbert – L’enfant n’est pas passif, il n'est pas une simple marionnette, au contraire, il a une part active et se fait metteur en scène de sa vie. La participation que vous offrez aux enfants nous a donc intéressés. Pourriez-vous nous en parler ?
PL – Et vous, Manuel Renga, pourriez-vous nous parler de votre propre création. Je crois que vous habitez à Côme ?
Manuel Renga – J'habite à Milan et ce spectacle a été produit à Côme, oui. Il y a eu plus de deux cents représentations en Italie puis en France avec les DVD, à Paris, en Allemagne…
PL – Comment s'appelle votre spectacle exactement ?
MR – Un Élixir d'amour. Une fabrique à idées parce qu’il y a l'idée du travail et de ce que l’enfant veut devenir quand il grandira. Ça, c'est l'idée de départ. En Italie, on a travaillé beaucoup sur des activités préparatoires parce que c'est un opéra participatif. Les enfants vont au théâtre, mais aussi faire que le théâtre vienne à eux, donc ils ont beaucoup à faire à l'école et aussi à la maison dans le but de participer à la mise en scène. Ce n’est pas vraiment le cas en France, mais ce sont les projets originaux en Italie. En France, c'est un petit mois d’activités, en Italie, ils fabriquent aussi des petits objets qu'ils apportent au théâtre pour les utiliser dans la mise en scène pendant le spectacle. Ils chantent avec les chanteurs et il y a aussi deux petites chorégraphies, c'est le spectacle avec la langue des signes. En Italie, ils travaillent aussi sur l'histoire de Tristan et Yseult, qui est juste mentionnée dans le spectacle. Et ils travaillent pour inventer une histoire en dessinant et en écrivant l'histoire de Tristan et Yseult. Ils en font un petit livre qu'ils peuvent photographier et envoyer au théâtre, comme les photographies de tous leurs objets.
DG – D'où le titre une Fabrique à idées ?
MR – Oui, c'est ça.
DG – D'où est venue cette idée de faire participer les enfants ?
MR – À Côme, la compagnie de théâtre travaille sur cette idée et sur ce projet depuis 25 années. J'ai travaillé sur deux projets : Un Élixir d'amour et l'année d'après Rigoletto. C'était beaucoup plus difficile parce que Rigoletto est un opéra noir assez violent. Mais Un Élixir, c’est un opéra-comique, donc il est un peu plus facile avec les enfants.
PL – Les enfants travaillent le spectacle dans l'école donc ?
MR – Oui, ils commencent en septembre, au début de l'année scolaire. Et ils vont voir le spectacle entre février et mai. Ils travaillent beaucoup et il y a des personnes du théâtre qui vont dans les écoles faire des laboratoires, des workshops, enseigner les chants et qui travaillent avec les enseignants aussi. Le théâtre de Côme prépare un petit livret avec beaucoup d'informations que les enfants vont lire. J'ai proposé aussi de faire des petites scènes d’improvisation sur les personnages. Donc il y a des cours de théâtre dans les écoles et ils travaillent sur les personnages de l'opéra. Après, ils vont voir le spectacle au théâtre. Donc, ça c'est une grande partie du programme de l'enseignement de la musique dans les écoles primaires.
PL – En Italie ?
MR – Oui.
PL – C'est différent en France, je suppose ?
Lise Labro – Oui. C’est beaucoup moins.
PL – Beaucoup moins orienté vers le théâtre ou la musique ? Alors justement, en France, comment les écoles sont-elles choisies ?
LL – Je ne sais pas si un partenariat avec l’Opéra est proposé à toutes les écoles de Bordeaux. Lors de la prochaine représentation, je sais que ce sont des écoles de la périphérie bordelaise qui seront présentes avec des écoles de zones dites défavorisées. En tout cas, les deux représentations scolaires sont pleines, et il y a mille cent places dans la salle. Ils ont ici aussi tout un programme pédagogique pour apprendre les chants participatifs. Parce que le principe de ces opéras, c'est de partir d'une œuvre entière, une œuvre en général qui fait trois heures à l'opéra et on arrive à un spectacle d'une heure, une heure et quart. Donc on a beaucoup coupé dans la musique mais on a gardé le fil essentiel de l'histoire. Et tous les chœurs classiquement chantés par les chœurs de l'opéra sont chantés par les enfants. Donc au moment des chœurs, la salle s'allume et tous les enfants chantent.
MR – Le chef d’orchestre se retourne et va diriger les enfants.
PL – Ce sont tous les enfants qui chantent ou simplement ceux qui ont préparé ?
MR – Tous les enfants. Mais je pense que tous les enfants qui viennent voir les spectacles sont préparés.
DG – Sur le site de l'opéra des séances préparatoires sont accessibles.
LL – Oui, des ateliers.
PL – Vous avez l'air passionné par ça ?
MR – Oui. J'aime beaucoup ce travail. Je suis aussi professeur à l'Académie de Théâtre à Milan, sur différents sujets mais aussi le théâtre musical pour les enfants. Et je pense que c'est vraiment important de faire ça pour les enfants parce que la musique arrive sans passer trop par le cerveau. Et il faut trouver des émotions que les enfants ne trouvent pas dans la vie aujourd'hui. J'ai vu beaucoup d’enfants et le moment que je préfère, c'est quand les enfants entrent dans la salle. Pour beaucoup de ces enfants, c'est la première fois qu’ils viennent dans un théâtre. Ils ont entre six ans et douze ans. Leur visage est expressif. À Milan, par exemple, on est à l’Archiboldi. Le théâtre a été construit pendant les travaux de reconstruction de la Scala. Donc ils sont deux mille enfants ensemble. C'est très beau.
PL – Quand ils entrent dans la salle de l'opéra, ils sont saisis, quelque chose se passe en eux ?
Qu'en disent-ils eux ? Peuvent-ils en parler ?
MR – Ils parlent beaucoup du spectacle et ils disent aussi : « Oh ! Mais tu as vu ça ?! Regarde là ! » C’est un public très animé. Quand l’opéra ou le théâtre est né, pendant le temps de Shakespeare ou des Grecs, les personnes étaient dans le théâtre pour parler, pour discuter, pour voir quelque chose fait pour penser aussi.
PL – Ah oui, c’est vrai. C'était participatif déjà.
LL – C'est pour ça qu’il y a les ouvertures dans les opéras. Elles ont été créées pour capter, pour dire aux gens : « On va commencer. » Donc toutes les ouvertures classiques, c'est juste l'introduction : « S'il vous plaît, votre attention », le temps qu'ils se mettent à finir de manger par exemple. C'était très vivant.
PL – C'est pour mettre en appétit, mais d'une autre façon.
MR – Oui, c'est ça, exactement ! Et normalement, l'ouverture, c'est le mélange de tous les motifs les plus connus, entendus, dans l'opéra.
PL – Comment avez-vous rencontré l'opéra, enfant ou adolescent ?
MR – J'ai eu un grand-père qui était passionné de musique. Il écoutait des vinyles d’opéra. Donc, tous les dimanches, quand on déjeunait ensemble, on écoutait de l'opéra. Après, j'ai étudié le théâtre à l'Académie nationale de théâtre. J'ai travaillé beaucoup dans le théâtre. J'ai travaillé avec Dario Fo pendant plusieurs années. Et cet Élixir, en 2017, était mon premier opéra comme metteur en scène. J'ai gagné un petit prix. Non, ce n'est pas un prix. È stata una call publica per cui abbiamo presentato dei progetti et hanno schelto il mio.
DG – Il y a eu un appel public et son projet a été choisi.
PL – C'est quand même beaucoup plus musical la sonorité de votre langue, l’italien.
MR – Oui, la chose importante, c'est que ces projets soient pensés pour l'âge de l’enfant, per l’età giusta, perchè a quel età, ogni anno cambiano il livello di comprenzione e il livello di capacità critica. Qui, tre anni, quatro anni, c’è una differenzia enorme. [en fonction de l’âge, parce qu’à cet âge, chaque année le niveau de compréhension et la capacité critique changent. Entre trois et quatre ans, il y a une différence énorme.]
DG – Y a-t-il des réactions, des inventions ou des créations d'enfants qui vous ont marquées plus spécialement ?
LL – Quand ils fabriquent des choses ? On a souvent beaucoup de dessins après les spectacles. On en reçoit, surtout pour les spectacles, les opéras participatifs. Ils en font très souvent, qui sont souvent merveilleux, vraiment. Ils ont résumé en un seul dessin, parfois, des scènes ou une scène, mais aussi toute l'histoire en un seul dessin. On saisit qu’ils ont incorporé l’histoire pour la produire en un seul dessin
MR – Les storyboard.
LL – Oui, exactement. Moi, j'adore quand ils font des dessins après.
PL – Et ces dessins, qu'en faites-vous ?
LL – À Paris, ils les ont gardés. Moi j'ai fait cinq opéras participatifs à Paris au théâtre des Champs Élysées. Et ils font tout un fichier où ils gardent les dessins. Je pourrai leur demander si ça vous intéresse que je vous en envoie. Peut-être en ont-ils sur Rigoletto.
PL – Toi, Lise, tu en as fait cinq à Paris ? Sur quel thème ?
LL – J'ai fait Les Noces De Figaro, Élixir, après, il y a eu Rigoletto, ensuite, La Cenerentola et l'année dernière, La flûte enchantée. L'année prochaine, je ne peux pas le dire, parce que c'est un secret.
MR – Pour Élixir, en Italie, ils ont produit des objets qui sont l'élixir pour avoir un monde meilleur. Chaque classe a produit cet objet avec peu d'informations ou de consignes, donc ils ont pu produire ce qu'ils voulaient avec la recette et les ingrédients pour avoir un monde meilleur. On a eu des bouteilles avec des choses très colorées et dans la recette : un peu d'amour, mais aussi des canelés de Bordeaux ou du vent… On a eu les ingrédients les plus différents.
Et ces objets sont dans le spectacle. Les classes apportent l’objet au théâtre et il y a une scène au milieu du spectacle…
LL – Oui, où on voit les objets sur scène.
MR – Et les enfants peuvent voir et ils participent aussi avec ça. Le théâtre de Côme a beaucoup d'expérience. Il a ouvert beaucoup de relations, avec Paris, Bordeaux… en Autriche et à Oman, par exemple dans la péninsule d’Arabie, et toute l'Italie et la Sicile.
LL – Oui, ils ont fait une grosse tournée.
PL – Les enseignants qui acceptent ces moments participatifs, que disent-ils par rapport aux enfants ? Que ça leur apporte quelque chose ? Que ça transforme leur façon de voir le monde ?
MR – Oui, les enseignants sont très heureux parce qu’ils ont beaucoup d'aide par le théâtre. Il y a du matériel, des livrets, et il peut enseigner la musique autrement qu’avec les normes traditionnelles. Beaucoup d'enseignants disent que les enfants, après le spectacle, veulent écouter la musique et l'opéra à l'école. Et ça, c'est magnifique.
LL – Oui, à Paris, ça jouera dix-sept fois en juin et il y a de plus en plus de séances Tout public parce que le bouche à oreille a très bien fonctionné et c’est archi plein. Plein de fois, l'hiver dernier, sur La flûte enchantée, dans le métro et le bus, je suis rentrée avec des familles et les enfants chantaient les airs dans le bus et dans le métro.
MR – Parce qu’ils voient le spectacle avec l'école, avec la classe, et après ils vont le voir avec la famille. Ils peuvent revenir.
PL – Ça, c'est intéressant. En 1935, Paul Valéry avait écrit un texte « Le bilan de l'intelligence », où il disait : « l'école est trop préoccupée par les résultats scolaires, comme si cela devait être le but essentiel. Elle ferait mieux de s'intéresser à ce qui favorise l'intelligence, le mouvement de l’esprit, le plaisir pris à la recherche. De même, Heinz Wismann a écrit un livre qui s'appelle Penser entre les langues où il dit aussi que c'est très important à l'école qu'on mette l'esprit de l'enfant en mouvement. Pour cela, il préconisait la mise en mouvement plus que le résultat et mettait en œuvre la mise en scène de pièces de théâtre avec les élèves.
MR – Voilà.
PL – Sans se préoccuper du but, du résultat scolaire, de favoriser non pas le cerveau, mais le mouvement de l'esprit. Ce que Freud avait déjà introduit, en 1918, dans son texte « Pour introduire une discussion sur le suicide ». Inquiet par le suicide des élèves, il précisait que l’école ne doit pas soutenir l’inexorabilité de la vie mais qu’elle doit introduire du jeu dans la vie de l’esprit. On pourrait dire qu’il vaut mieux l'Élixir d'amour que la Ritaline. Des professeurs, disent : « Cet élève est excité, il faut le mettre sous médicaments. » Là, on pourrait dire qu’on va lui faire une prescription…
MR – D’élixir d’amour.
PL – Tu serais d'accord Lise pour nous parler un peu de son travail de clown ?
LL – Quand on fait des créations, des mises en scène, l'inconscient travaille beaucoup. On ne sait pas ce qui nous guide, mais c'est beaucoup l'inconscient. Et donc on se met à faire des choses qui sont liées souvent à notre histoire. J'ai un ami qui est metteur en scène et qui a fait un spectacle qui s'appelle L'inconnu. En fait, il ne connaissait pas son père. Après, tout le monde lui a dit que c’était incroyable comme ce qu’il racontait était vraiment ce qu’il a vécu enfant, et ce dont il ne se rappelait plus.
DG – Il aurait eu ça en tête, il n’aurait peut-être jamais pu le créer.
LL – Il n’aurait jamais pu le créer. Oui.
DG – S’il avait su ça avant, ça aurait peut-être inhibé ou perturbé le rapport à l'écriture. Ça rejoint ce que dit Lacan, que l'artiste précède le psychanalyste. Au cours d’une analyse, l’analyste ne touche pas au processus de création et, dans cette orientation, il respecte aussi le symptôme du sujet comme si c’était sa propre création. Même s’il en souffre, il l’aide à l’alléger de cette jouissance nocive pour en faire une autre production.
PL – Oui. Lacan s'est intéressé au théâtre et à l’écriture parce qu'il dit que, souvent, l'artiste dit beaucoup mieux ce qui est en jeu que le psychanalyste. Certains sont trop pris dans des schémas préétablis sans tenir compte de la parole du sujet et comment il met sa vie en scène. Et c'est là où il dit que le psychanalyste n'a pas à faire le psychologue, mais à se laisser enseigner, à apprendre de l'artiste, du créateur, qui lui met toujours en scène la singularité de sa subversion créatrice. C'est pour ça qu'il a beaucoup travaillé Shakespeare, Claudel, la pièce de Wedekind L'éveil du printemps…
MR – Ah oui ?
PL – Oui, il en avait fait la préface, pour la publication en français.
MR – Je mets beaucoup de moi dans chaque spectacle. L'Élixir, le thème du travail, c'est quelque chose qui me parle. Quand j'étais jeune, ma mère a eu un restaurant et elle m'a forcé à faire l'école pour devenir cuisinier. Et après j’ai voulu étudier beaucoup et j'ai fait œnologie, donc la production du vin, et après j'ai fait l'académie de théâtre.
PL – Et après l'Élixir… le vin…
(Rires)
MR – L’Élixir à Bordeaux, c'est magnifique. Et aussi, Rigoletto, le thème c'est le théâtre donc les enfants vont voir tous les secrets du théâtre : les machinistes, le décor qui se déplace sur le plateau. C'est quelque chose que je connais très bien donc je pense que beaucoup d'informations viennent de moi.
DG – L’Élixir est un opéra-comique alors que Rigoletto est tragique. Quelle différence avez-vous vu dans l'accueil du jeune public ?
MR –Quand j’ai su qu’on allait faire Rigoletto, j’ai dit : « Avec les enfants de 6 ans ? » Mais je ne pense pas qu’on ne puisse pas parler de certains thèmes comme la mort, la violence… il faut trouver la juste langue pour dire ça, pour parler de ça.
LL – Oui.
PL – C'est joli ça, « la juste langue ». Je n'avais jamais entendu ça. « La juste langue », on mettra ça en titre.
MR – Oui. Et ça, c’est ce qui est difficile avec Rigoletto. Avec le comique, avec L’Élixir, c'est facile, on parle de petites choses d'amour, d’humanité... Avec Rigoletto, on a trouvé l'idée de créer un médium. C'est un groupe de théâtre qui doit mettre en scène Rigoletto et les comédiens jouent toujours les doubles positions.
LL – Le double jeu.
MR – Et les enfants savent que tout ce qu’ils sont en train de voir, c'est quelque chose qui est joué. C'est plus simple pour eux. Ce n'est pas quelque chose de vraiment vrai, mais c'est quelque chose qui est joué. Et cette idée, c'est bien pour laisser le temps d’imaginer, de penser et de ne pas être trop forcé. Parce que la musique de Verdi, c'est très puissant.
LL – Dense.
MR – C'est dramatique. « Cortigiani, vil razza dannata… » Donc l'orchestre, la musique, c'est très différent de Donizetti. Et il peut faire peur aux enfants. Avec Rigoletto, abbiamo aggiustato lo spectacolo nelle prime recite, perchè io sono andato e vedevo le reazioni quindi potevo un po moderare o aggiungere o togliere perchè [ nous avons ajusté le spectacle lors des premières représentations. J’y suis allé et j’ai vu les réactions, donc j’ai pu un peu modérer ou ajouter ou retirer parce que ] c’était très difficile de travailler sur Rigoletto. Mais enfin, les enfants ont beaucoup aimé. Parce que les enfants aiment le drame, aiment l'aventure, aiment les personnages méchants, et ils ajoutent leur propre subversion créatrice, comme vous dîtes, et c’est ça qui les rend joyeux.
PL – Mais oui, parce que souvent, c'est en eux. Quelqu’un disait en Angleterre, lors de la seconde guerre mondiale, qu’il ne faudrait pas que les enfants écoutent à la radio tous les drames de la guerre, la mort et tout ça. Winnicott, le psychanalyste, leur a répondu de ne pas s’inquiéter, que c’était moins pire que ce qui se passe dans leur tête. Donc ça, ça les soulage.
MR – Absolument. Je suis d'accord, oui.
DG – Et les plus âgés, autour de 12 ans, ne sont-ils pas trop défensifs par rapport à la question de l'amour ?
PL – Certains jeunes m’avaient dit : « Monsieur, l'amour c'est toxique »
MR – Oui. On dit ça : « L'amour, c'est dangereux ». C'est un thème difficile avec les adolescents mais si les professeurs sont bien, l'opéra peut ouvrir des discussions, des moments très intéressants et très importants pour le jeune public.
DG – Donc la dimension comique facilite ?
MR – Avec les petits c'est une route plus courte pour arriver à eux. S’ils aiment, ils s’amusent du spectacle. C'est donc plus facile qu'ils écoutent tout le spectacle.
LL – C'est pour captiver aussi leur attention.
MR – Oui, c'est ça. Je n'aime pas le comique de films, le comique tout contemporain. Et je pense qu’il faut avoir quelque chose d’exotique, quelque chose de vintage, quelque chose d’étrange, de bizarre pour les enfants. Par exemple, L'Élixir, c'est dans les années 1930-1940, donc on a les hommes qui viennent des safaris en Afrique avec les costumes d'époque.
LL – Le Charleston.
MR – Le Charleston, la danse de Charleston et c'est un comique qui vient des frères Marx ou Charlie Chaplin ou Buster Keaton.
PL – Ça, c'est le metteur en scène qui s'occupe de tout ça.
MR – Oui. Et on est ensemble.
LL – Manu a tout créé mais c'est vrai qu'on est attentifs.
PL – Mais assistante metteur en scène, ça consiste en quoi ?
MR – On dit que l'opéra sans l'assistante à la régie ne peut pas exister.
PL – Pourquoi ?
MR – Parce que, quand je travaille sur un opéra, toute mon énergie, la tête et le corps, c'est dans la création. Mais il y a beaucoup d'autres choses comme les relations avec les techniciens, les techniciens, l'organisation, le temps, les relations avec le théâtre, avec les personnes qui travaillent dans le théâtre, le marketing… et l'assistante de la régie, c’est quelqu'un qui a tout ça en tête. Et il faut aider, sauver le temps, passer beaucoup de temps. Et si on travaille bien ensemble, on peut faire beaucoup en un petit temps.
LL – C'est ça. C'est optimiser le temps.
MR – Par exemple je ne suis pas du tout un bon assistant. J'ai travaillé avec Graham Vick, un maestro de l'opéra qui est mort il y a quelques années maintenant du Covid, en Italie, à Bologne.
Mais je n'étais pas un bon assistant, parce que toujours, quand il me demandait quelque chose, dans ma tête venait comme Je ferais ça.
DG – Ça nécessite de se mettre au service de l’autre ou de répondre au désir de l'autre, un peu comme un passeur de ce que veut l’autre.
LL – Oui. Il y a une espèce d'empathie qui est assez hallucinante. Moi, je m'en suis aperçue sur la reprise de Madame Angot, parce que je l'ai reprise en mise en scène sans le metteur en scène. Je n'avais donc pas fait la création et je n'avais jamais travailler avec ce metteur en scène. Et je me suis aperçue que le travail a été vraiment de comprendre ce que le metteur en scène avait envie de faire, ce qu'il voulait faire, et quand tu es tellement imprégné du travail, que tu sais vers où il veut aller, tu essaies même d'aller plus loin, s'il n’a pas eu le temps. Parce que c'était ça l'histoire avec Madame Angot, c'est qu'il n’avait eu pas le temps, parce qu’il y avait eu un très gros décor à gérer.
DG – C’est véritablement se mettre au service du désir de l'autre, tout en obtenant pour soi-même une satisfaction.
LL – Complètement, et moi j'ai adoré faire ça.
PL – Et le dépasser.
LL – Et le dépasser, oui.
PL – Tu y vas toi, au-delà du désir de l'autre ? C’est une aventure.
LL – C'est joli, non ?
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