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Impressions du Japon - Philippe Cousty

Lors d’un récent voyage au Japon, j’ai été joyeusement attrapé par une atmosphère Autre, celle qui se dégage des traditions de ce pays, mais aussi celle que produit sa modernité qui me plongea dans ce que Lacan appelle l’alétosphère, laquelle se montrait à moi.



 

Du côté de la tradition, il y a ces multiples Toriis que les touristes visitent mais qui drainent aussi les Japonais adeptes du shintoïsme.

 

À l’égal des temples bouddhistes, ce sont ces bâtiments de bois dont la construction est un jeu de lego extraordinaire qui fait que l’on pourrait les monter et les démonter selon un plan. Ils peuplent le Japon.

 

 

Ces portails m’ont ramené à la porte, signifiant si fort chez l’être humain, puisque la première porte que l’on rencontre, le premier seuil que l’on franchit en tombant dans le monde, c’est celui qui inscrit la marque du langage et fait que plus rien ne sera comme avant, à partir du moment où notre cri aura franchi la porte de l’Autre et qu’il nous l’aura renvoyé transformant notre cri en appel et demande.

 

D’un côté à l’autre de la porte, une transformation se produit, vous n’êtes plus le même, vous naissez à la vie dans l’Autre, au prix d’une perte.

 

Au Japon, il y a le Torii, la légende raconte qu’un jour :

la Déesse Amaterasu très en colère, se réfugia dans la grotte du paradis (ama no iwato). Le monde plongea alors dans les ténèbres et le chaos. Les Dieux se concertèrent et décidèrent d’installer des coqs sur un perchoir à l’entrée de la grotte du paradis. Les deux volatiles chantèrent inlassablement jusqu’à ce que la Déesse Amaterasu, intriguée, sortît de la grotte. La lumière réapparut sur le monde.



 

 

Depuis ce jour, on construisit des perchoirs pour les oiseaux devant les sanctuaires, et ce sont eux qui devinrent ces portails délimitant le monde extérieur du monde sacré franchis aux moyens de rites de purification, franchissement symbolique.

 

Le franchissement se retrouve à l’entrée des maisons, de certains bâtiments, voire restaurants où il faut se déchausser, comme marque qui passe par un dessaisissement, perte d’une partie de soi-même qui n’est pas sans rappeler le franchissement de la naissance.

 

Comment faire exister le franchissement dans la fluidité du monde moderne que Zygmunt Bauman a qualifié de « société liquide » ?


Cette question était fortement présente à mon esprit dans ces mégapoles que constituent Tokyo, Kyoto, ou Osaka.

 

J’en viens donc à mon deuxième propos, la modernité.

 

L’alétosphère c’est cette création signifiante que produit Lacan dans le Séminaire xvii, pour indiquer ce que la science a amené de transformation en produisant des objets qui ne doivent leur existence qu’au nombre comme tel et à sa manipulation.

 

 

L’alétosphère c’est le lieu de la fabrication de ces objets qu’il nomme lathouses, nom qui dit bien le lien avec la ventouse, objets qui sont autant d’objets a et viennent leurrer le désir en se faisant prendre pour ce qui pourrait l’orienter et le satisfaire, combler le manque, la faille sans laquelle il ne peut exister.

 

Ces objets hors corps, le portable les symbolise, hors corps il est pourtant greffé à celui-ci.

 

Au Japon, tout le monde marche en regardant son portable, sans pourtant que, dans la cohue, les gens se heurtent, comme si un septième sens se développait, une boussole indiquant la trajectoire vers laquelle se rendre en évitant les obstacles.

 

Il y a une impression étrange : dans le bruit de la ville, marchent en silence des humains appareillés, et l’on se demande qui dirige qui. La trajectoire et le but vers lequel aller, ou cet objet qui fixe leur regard absent à l’autre ?

 

Dans le métro, tout le monde est rivé au portable, aucun regard, et vous vous sentez parfois plongé dans une solitude qui peut devenir effrayante. Au secours ! Y-a-t-il un pilote dans ces corps ?

 

 

 

Je pensais à Descartes qui dans sa Sixième Méditation disait « je ne suis pas seulement logé dans mon corps, ainsi qu’un pilote en son navire, mais, outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement et tellement confondu et mêlé, que je compose comme un seul tout avec lui. » Eh bien là chacun semble logé dans son portable.

 

Il ne faudrait pas lire dans ce propos une critique ou un rejet, c’est un constat. Cela n’empêche pas les gens de vous indiquer votre route si vous leur demandez, ni qu’ils se mettent en quatre pour vous amener au point où vous voulez. L’hospitalité japonaise est en cela remarquable, étonnante, car peu de pays en ont ce sens.

 

Le portable ouvre les portes à beaucoup de choses : la commande des menus, la rectification de son image, comme ces adolescentes, fixées sur leur écran, pour trouver à mettre en bonne forme leur frange, selfies, avec les figures de styles imposées que sont les codes que l’on retrouve sur le réseaux sociaux, créés par des stars de la musique ou autres, doigt en signe de V, poses diverses, recherchées et travaillées pour coller le plus à l’image d’où elle est prise.

 

Est-ce pour cela que l’on trouve dans ce pays une plasticité au niveau de l’habillage, des tenues empruntées parfois aux mangas venant tenter sur la voie de l’imaginaire d’inscrire quelque chose qui fasse marque de différence et permette ainsi de récupérer une subjectivité ?

 

Je me suis posé la question tant, pour une part, dans ce pays ultra moderne, tout est fait pour automatiser les démarches, et où dans certains quartiers les écrans vous envahissent de publicités, de bruits, images toutes vouées à la consommation, sortes d’idoles érigées au Dieu Consommation, isolant chacun dans un mode de jouir solipsiste. Je pensais que c’est ce pays qui avait vu naître ce mode de vie dit Otaku, où la vie d’un sujet est orientée par sa passion, et l’Hikikomori, véritable épidémie au Japon, et qui est un terme pour un mode de vie en retrait total de la société, évitant tout contact avec le monde extérieur, surtout s'il nécessite une communication, même non verbale, comme passer à la caisse d’un supermarché. L’adolescent s’enferme dans sa chambre pendant des durées prolongées, souvent mesurées en années. Il n’a souvent aucun ami et passe la plupart de son temps à dormir, à regarder la télévision, à jouer sur son ordinateur et à surfer sur internet, moyen privilégié de communication.

 

 

Le Japon est ce pays de contrastes extraordinaire qui en fait aussi le charme, où la tradition coexiste avec la modernité.

 

Sans doute les Japonais s’arrangent-ils mieux que nous de ces contrastes et l’on ne peut sans doute pas superposer l’Occident et le Japon.

 

Ma méconnaissance de la langue ne m’a pas permis de plonger plus avant dans ce qui s’imprima en moi et que je tente ici de mettre en mot.

 

Le Japon, c’est sûr ne vous laisse pas indifférent ! 





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