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Du diagnostic clinique au diagnostic social - Cécile El Maghrabi Garrido

Nous vivons une époque où le diagnostic n’est plus propre à la démarche du clinicien. Son usage s’est déplacé du champ de la clinique vers le champ social. Chacun se fait sa propre idée de ce dont il souffre à partir de la masse d’informations fournie par internet, les médias, les réseaux sociaux. Les gens forment des communautés à partir de leur façon de nommer leur symptôme et ils s’avancent dans le monde en la faisant valoir.


Ce mouvement prend racine dans l’idéal d’égalité absolue qui prévaut aujourd’hui et plus anciennement dans les modifications produites dans la loi Kouchner de 2002 qui visait à rééquilibrer la relation médecin-malade. Cette loi a fait du patient de psychiatrie un « usager de santé mentale » et a renforcé la dimension du sujet de droit. Dans le même esprit, le dossier médical qui était le support de travail du médecin est devenu le dossier médical du patient et son informatisation en a organisé la transparence. Les écrits cliniques ont été remplacés par des traces à visée informative et médico-légale.


La relation soignant-soigné s’en trouve modifiée. Une partie des patients vient consulter avec déjà une idée, voire une conviction, quant au diagnostic à porter. Certaines familles livrent avec transparence l’usage qui peut être fait du diagnostic. Je pense à un père qui me disait en parlant de sa fille : « Lors de la réunion au collège, pour qu’on la comprenne mieux, elle veut bien qu’on parle de son autisme mais pas de sa psychose. »


En même temps que cette fonction de justification sociale permise par le diagnostic s’est développée, les classifications se sont transformées, pour ce qui concerne la pédopsychiatrie, dans le sens d’une « neurologisation ». Par exemple, au fil des actualisations du DSM, la psychose infantile a disparu au profit du chapitre des troubles du spectre de l’autisme, considéré aujourd’hui comme trouble neurodéveloppemental. L’adhésion aux promesses de cette thèse organiciste continue d’enfler alors même que les études scientifiques à ce sujet échouent depuis plusieurs décennies déjà à prouver un lien de causalité.


Cette « neurologisation », on pourrait dire aussi « médicalisation » au sens où ce mouvement place la psychiatrie sur le même plan que les autres spécialités médicales, comporte une tentative de normaliser les individus en effaçant toute référence à ce que la maladie mentale comporte d’irrationnel, d’opaque, dans ses manifestations. On ne veut plus entendre parler de ce que l’on nommait avant « la folie ». On pouvait par exemple entendre « dites-moi s’il est fou », façon de nommer dans la langue dite du sens commun que le fils vivait une expérience de vie relevant de la psychose soit ce qui est hors discours, hors lien social. Nous faisons ici référence à ce que Lacan nomma, le fou est l’homme libre soit celui qui fait le choix forcé de ne pas s’aliéner à l’Autre ou libre aussi d’avoir son objet dans sa poche et donc de ne plus rien avoir à demander à l’Autre. Ce que le poète Rimbaud nomma La liberté libre.


De nouvelles catégories diagnostiques sont régulièrement créées à partir de certains traits, certains comportements, ou certaines tendances sociales, et des dispositifs d’expertise diagnostique voient le jour pour en garantir l’évaluation. Or, le caractère épidémique de ces nouveaux diagnostics, si populaires, montre que ce point dit « de folie », que l’on cherche à effacer, concerne l’humanité dans sa grande largeur. Avec le déni de « la folie » disparaît, de la clinique psychiatrique, la lecture psychodynamique des symptômes, sous-tendue par l’approche psychanalytique et son diagnostic de structure, névrose/psychose.


Il n’est pas rare que les parents des jeunes patients que nous accueillons en l’hôpital de jour se présentent en faisant l’historique des diagnostics qui ont été posés jusque-là : le neuropédiatre l’a diagnostiqué TDAH, la neuropsychologue a trouvé qu’il était HPI, le pédopsychiatre a parlé de TOP, mais comme les troubles persistent le jeune est en attente d’une évaluation pour voir si ce n’est pas un TSA… atypique.


Il est crucial que les cliniciens trouvent à s’orienter dans leur démarche d’accueil du sujet en faisant avec ce succès social du diagnostic. C’est la raison pour laquelle nous avons organisé une journée de travail sur ce thème réunissant les hôpitaux de jours pour adolescents des trois intersecteurs de Haute-Garonne, en présence de Philippe Lacadée et Alexis Revet au mois d’avril.


Un élément est à prendre en compte dans le discours tenu par les associations de parents défendant la cause neurodéveloppementale des manifestations hors-norme. On y retrouve un refus de l’interprétation, un refus de la recherche de la fonction du symptôme, dans la mesure où elles génèreraient une certaine culpabilisation des parents. Tout en considérant que ce sentiment de culpabilité est inhérent à la fonction parentale, il y a sûrement à ne pas fermer les yeux sur les ravages d’une tendance à l’interprétation « sauvage » qui ne tient pas compte du réel auquel un sujet a affaire. Les témoignages des familles qui ont eu affaire aux institutions psychiatriques ou médico-sociales peuvent être éclairants sur ce sujet, qu’elles aient été tenues à l’écart ou au contraire impliquées brutalement en se voyant délivrer par exemple qu’une relation trop fusionnelle est à l’origine des troubles. Sur ce point, les 53e Journées de l’ECF qui exposeront ce qu’il en est précisément de l’interprétation dans l’orientation lacanienne constitueront un moment de travail crucial.





Cécile El Maghrabi Garrido





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