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Édito #2 : MNA, partir pour vivre au péril de sa vie

La vie s’appauvrit, elle perd en intérêt, dès l’instant où nous ne pouvons pas risquer ce qui en force l’enjeu suprême, c’est-à-dire la vie elle-même.

Sigmund Freud [1]


Édito


Faire quelques pas, aller à la rencontre de jeunes étrangers pour entendre ce qu’ils ont à dire, faire vivre des conversations et savoir accueillir le ratage comme heureuse contingence, parier sur la pratique du « parler en langue » comme chance de pouvoir trouver les mots justes et qu’émerge le désir. Voici ce que nous proposent Marianne Bourineau, Julie Grivart-Versapuech et Jérôme Péhau dans la rubrique des travaux de laboratoire. Les mineurs non accompagnés se sont engagés dans une traversée au péril de leur vie. « Eux pour qui l’exil inhérent à l’adolescence prend corps avec un autre exil, forcé » comme l’indique Philippe Lacadée. Place aux langues et à leurs inventions dans la Cité, comme nous y invitent Wajdi Mouawad et Wahib Chakib. Mettre en scène ceux qui tachés par l’existence risquent leur vulnérabilité au choix forcé d’une autre vie qu’ils pensent toujours mieux ailleurs.


Dominique Grimbert




« S’instruire des a-ccompagnés », un laboratoire du CIEN à Bordeaux.


« Les poètes déclarent que (…) l’enfance est donc partout chez elle, comme la respiration du vent, le salubre de l’orage, le fécond de la foudre, prioritaire en tout, plénière d’emblée et citoyenne d’office »

Patrick Chamoiseau [2]


En mars 2019, des professionnels de différentes disciplines répondent à l’invitation de Philippe Lacadée de construire un laboratoire autour de leurs questions qui font énigme et de leurs pratiques, souvent inventives, à partir de leurs rencontres avec des adolescents étrangers isolés [3]. Dès nos premières conversations, ce que nous disent ces jeunes nous semble symptomatique de points de rencontres avec un réel propre à chacun et ce, bien avant qu’ils n’arrivent en France, et qui souvent se réactualisent lorsqu’ils y arrivent. Car, fragilisés et pleins d’espoirs pour ce pays parfois rêvé, qu’ils fantasment comme étant celui des droits de l’Homme, ils ont fréquemment affaire à des interlocuteurs leur refusant, ou réduisant cruellement, le temps nécessaire à leur parole, à leur énonciation, à cause de la date limite d’une majorité civile, qui signe la sortie des dispositifs de l’Aide Sociale à l’Enfance, ou de décisions administratives paradoxales ou arbitraires.

Faisant usage d’un dispositif ayant pour socle la conversation inter-disciplinaire, notre laboratoire de recherche, offre une ouverture dans les impasses dont témoigne chaque participant (éducateur, enseignant, psychologue, médecin …) qui prend source dans sa fonction auprès de ces jeunes. Un des participants rédige un texte, à partir de sa pratique, que les autres ont lu en amont du temps propre à la conversation. Offrir un temps à l’énonciation invite à en dire plus, seule possibilité d’un savoir nouveau, qui aura des effets pour les participants lorsqu’ils se retrouvent en situations de recevoir ces jeunes, et pour les institutions les accueillant. Nous laissant instruire par ce que nous disent ces adolescents exilés, isolés entre les langues, une autre modalité de réponse est possible, une autre modalité de rencontre avec, dans ce cas, un autre Lieu qui sache se faire lieu d’adresse, et invite à entendre ces jeunes à partir de leurs positions d’être objet, ce que Lacan nomme objet a. Et c’est bien là qu’il s’agit de les a-ccompagnés. Soit s’asseoir en leur compagnie pour savoir mieux entendre ce qu’ils ont à nous dire, gageant que cette offre leur fournisse un appui dans le choix forcé de leur traversée vers une autre langue, et pour leurs innovations.

Le laboratoire se réunit le premier mardi de chaque mois, en vidéoconférence.

Celles et ceux qui sont intéressés pour y participer peuvent s’inscrire en envoyant un courriel à : sinstruiredesaccompagnes@gmail.com

Marie-Ève Saraïs et Philippe Lacadée,

Responsables du laboratoire

[1] Freud Sigmund, Essais de psychanalyse, Payot, 1975, p 255.

[2] Chamoiseau P., Frères migrants, Paris, Seuil, 2017, p. 135.

[3] Jeunes étrangers arrivés seuls en France et nommés par l’administration française des acronymes : MNA pour Mineurs Non Accompagnés, et il y a quelques années MIE, pour Mineurs Isolés Etrangers.






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