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Édito #7 - Y a de l’amour - Dominique Grimbert

L’amour est « la seule chose qui mérite d’exister dans les histoires comme dans la vraie vie » écrit Jean-Claude Grumberg dans La plus précieuse des marchandises.[1]Pourtant, nombreux sont les adolescents d’aujourd’hui à le qualifier de « toxique ». S’ils l’inscrivent ainsi dans l’air du temps, de quelle pollution s’agit-il ? Celle produite par les réseaux ? La rencontre de Julien Borde avec Sabra Ben Ali, la coréalisatrice du documentaire Le Je des réseaux répondra par la négative. Dans La logique et l’amour, Catherine Millot nous offre un éclairage : « Nous étions en train d’ériger des murs afin d’entourer un vide, de fabriquer une vacuole où l’air libre circulait, où nos voix pouvaient enfin résonner et s’élever contre ce « discours capitaliste » que Lacan définissait par « le rejet de la castration, c’est-à-dire des choses de l’amour », ce discours qui […] « reléguait le plaisir dans les oubliettes », pour lui substituer « cette animation féroce du plus-de-jouir qu’on appelle le profit ». […] Et pendant quelques mois, sur les murs, cessèrent de ne plus s’écrire les lettres d’amour. »[2] L’amour, en ce qu’il reconnait le manque, deviendrait-il ridicule à se montrer, honteux à dévoiler une vulnérabilité alors qu’il s’agit aujourd’hui de savoir « gérer ses émotions » afin de tirer le maximum de profit de son cerveau ?


Le réel insiste, le corps parlant qu’est l’adolescent ne pourra jamais se réduire à un organe. L’amour est la condition du nouage qui fait tenir chacun dans l’existence. Comme Vanessa Springora l’écrit : « À l'aube de ma vie, […] et du haut de mes cinq ans, j'attends l'amour. »[3] C’est d’un père qu’elle attend ce « je t’aime, tu as une place dans le monde »[4], comme la jeune Shanna que rencontre Fiona Carrance. Et de ne pas l’avoir trouvé, quand surgit la puberté, la relation amoureuse est contaminée par la jouissance qui a bien du mal à condescendre au désir. « Le Nom-du-Père, on peut aussi bien s’en passer à condition de s’en servir. » Les travaux des collégiens que nous rapporte Marianne Bourineau, inquiets face à la rencontre de l’autre dans la relation amoureuse autant que lucides sur le lien à l’autre incertain, ne questionnent-ils pas au fond, l’existence d’un amour qui saurait y faire avec le réel ? Et c’est à cette question que Philippe Lacadée, par son texte d’orientation révélant Lacan théoricien de l’amour pas sans Rimbaud et Fabian Fanjwaks, dans la précieuse interview qu’il nous a accordée, répondront au vœu de Lacan de « faire l’amour plus digne que le foisonnement de bavardage qu’il constitue à ce jour »[5].



Dominique Grimbert


[1] Grumberg J.-Cl., La plus précieuse des marchandises, Seuil, 2019. [2] Millot C., La logique et l’amour et autres textes, Éditions Léo Scheer, 2019. [3] Springora V., Le consentement, Grasset, 2020. [4] Miller J.-A., « L’image du corps en psychanalyse », de La Cause freudienne n°68, 2008. [5] Lacan J., « faire l’amour plus digne que le foisonnement de bavardage qu’il constitue à ce jour », in « Note italienne », Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 311.





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