Celui qui accompagne un enfant dans la construction de sa subjectivité, n’entend parler que de ça, de la relation à ses parents proches. « Le petit Hans a promené Freud et son père qui ont su s’en faire les dupes, lui permettant à leur insu de trouver… les circuits inédits où il établit tout seul les seuls mythes qui intéressent la psychanalyse, soit les mythes de sa libido. » [1]
Céline l’enseignante, et Julien l’éducateur, tous deux analysants civilisés, ont mis en fonction dans leur discipline les conséquences de leur rencontre avec la psychanalyse. Ils nous diront comme ils se laissent promener par Aimé et Gabriel. [2] Se faisant partenaires, ils ont accueilli ce qui les préoccupait, une maison familiale sans toit qui n’est pas à l’abri des tempêtes pour l’un, un nom à partir de la résonance d’un son à construire dans un atelier bois, pour l’autre. Chance leur est alors offerte de nouer leur libido au langage, en bricolant ça.
Lacan a désembrouillé le signifiant opaque famille au cours de son enseignement. « Qu’il connaisse bien la spire où son époque l’entraîne dans l’œuvre continuée de Babel, et qu’il sache sa fonction d’interprète dans la discorde des langages. » [3] S’interroger sur la famille et ses embrouilles, c’est l’éclairage que nous propose Philippe Lacadée. Partir de ce que l’enfant dit et de l’usage qu’il fait de ces dires, parce que la famille dont il parle est d’abord de l’ordre du réel. D’ailleurs, Lacan, en juillet 1956, disait « Dans deux ou trois générations, on n’y comprendra sans doute plus rien, une chatte n’y retrouvera plus ses petits ». [4] « Vidée, la mère ! » [5] écrit Marie-Hélène Brousse, en 2020.
Cette anticipation n’a pas été sans effet. Saisir les fonctions de soins, puis celle de conjuguer la loi au désir, pour en articuler une troisième, la fonction de résidu, qui situe la consistance de la famille comme un réel hors sens. Ainsi s’opère le passage d’une clinique au nom de l’Œdipe à une clinique du symptôme. « Lacan énonce […] la fin de l’histoire de parenté et le début de l’alliance homme-femme telle que la psychanalyse en explore les impasses. » [6]
Dans le champ large des pratiques institutionnelles de l’enfance, l’orientation par le réel du résidu est la barrière contre certaines pratiques désubjectivant l’enfant. Des professionnels de différentes disciplines de l’institution Bellefonds, que nous avons rencontrés dans la Cité, en témoignent. L’analyste n'est pas le gardien nostalgique des formes anciennes, il est le témoin des éclairages inédits qu’apportent les reconfigurations familiales qui n’ont pas fini de nous déboussoler.
« Le seul rapport que le sujet puisse rencontrer » [7], c’est le rapport entre ses parents ou avec ses parents. La famille étant le pari pour humaniser le rapport de l’enfant à sa jouissance. Alors Pas sans les parents, ou plus précisément, pas sans Lalangue, un a-parent-te-ment poétique de l’enfance.
Dominique Grimbert
[1] Lacadée Ph., « Un lieu pour construire et protéger la formule d’une invention », Mental, no 18, octobre 2006.
[2] Textes de la rubrique Travaux de laboratoire. L’inter-disciplinaire y met du CIEN, réservés aux abonnés.
[3] Lacan J, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1981.
[5] Brousse M.-H., Mode de jouir au féminin, Navarin, 2020, p. 37.
[6] Laurent É., « Le Nom-du-Père entre réalisme et nominalisme », La Cause freudienne, no 60, Navarin/Seuil, juin 2005, p. 138.
[7] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Cause et consentement », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 23 mars 1988, inédit.
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