top of page

Édito #20 - Dominique Grimbert

À l’occasion de la Journée nationale de prévention sur le suicide, le 5 février 2024, le baromètre de Santé publique France indiquait une hausse alarmante des tentatives de suicide chez les jeunes. La progression des hospitalisations d’adolescents et de jeunes femmes en lien avec un geste dit auto-infligé est aussi révélée par une étude de la Drees et de Santé publique France, publiée le 16 mai. Ces tentatives de suicide et automutilations non suicidaires augmentent de façon « brutale et inédite ».

Lacan disait que : « Le seul réel qu’on puisse concevoir, auquel nous avons accès est justement celui-ci, il faudra bien s’en faire une raison : donner un sens aux choses […]. Autrement, l’homme n’aurait pas d’angoisse ». Donner du sens, parfois donc, au point de ne plus savoir s’adapter au mal. Il ajoutait : « La différence entre le réel, c’est-à-dire ce qui ne va pas, et le symbolique, l’imaginaire, c’est-à-dire la vérité, c’est que le réel, c’est le monde. Pour constater que le monde n’existe pas, qu’il n’y en a pas, il suffit de penser à toutes les banalités qu’une infinité d’imbéciles croient être le monde. » Si la France est l’un des pays qui compte le plus de suicides en Europe aujourd’hui, ce monde confronte d’autres jeunes que les Européens à un réel qui les pousse à mettre en jeu leur vie dans une traversée risquée. Desdits harragas, par exemple, ces migrants clandestins devenus le symbole du désespoir et de la détresse de la jeunesse du Maghreb, Chahrazad Derraz en a rencontré. 

En ce qu’il « procède du parti pris de ne rien en savoir », de cet acte radical qu’un sujet pose, personne n’en sait rien. Le suicide reste de l’ordre d’une énigme non déchiffrable, la conclusion irréversible d’une vie, qui fait traumatisme pour l’entourage laissé dans le désarroi, troumatisme en ce que la violence du hors-sens de l’acte le laisse dans la stupeur. Marianne Bourineau dira en quoi trois excentrés magnifiques ont choisi d’imposer cette question du suicide, en étoiles filantes fascinant les surréalistes par leur œuvre fragmentaire et leur vie éphémère. 

Quand le suicide est acté, à défaut de parler, le sujet retrouve son statut d’être parlé, « plus signe que jamais ». Toute tentative de suicide, écrit Pierre-Gilles Guéguen, est du point de vue de la psychanalyse à prendre au sérieux, de même qu’il convient de porter la plus grande attention à l’aveu des pensées suicidaires. Il y a dans toute intention suicide une mise en jeu de l’être qui, comme telle, est toujours un pari. Philippe Lacadée rappelle que, dès 1910, Freud et les premiers psychanalystes se préoccupaient déjà de la question des tentatives de suicide, de l’énigme que constitue le suicide dans l’enfance, et du « fait qu’une sorte particulière de causalité est responsable du suicide des enfants ». Comme l’énonce Camilo Ramirez, dans l’interview qu’il nous a accordée, les jeunes peuvent trouver un appui sur leurs propres mots, il passe par la rencontre avec le corps de l’analyste, sa voix, son regard, ses gestes, son mode singulier d’accueil. Un éclairage précieux pour chacun accompagne des jeunes en souffrance, dont le joint le plus intime du sentiment de la vie est fragilisé.

 

Dominique Grimbert

 

 

 

[3] Lacan J., « Entretien au magazine Panorama », La Cause du désir, octobre 2014, no 88, pp. 165-173.

[4] Ibid.

[5] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 542.

 

 

 

 

Le mal de vivre

 

[…]

 

Ils ont beau vouloir nous comprendre

Ceux qui nous viennent les mains nues

Nous ne voulons plus les entendre

On ne peut pas, on n'en peut plus

Et tous seuls dans le silence

D'une nuit qui n'en finit plus

Voilà que soudain on y pense

À ceux qui n'en sont pas revenus

 

Du mal de vivre

Leur mal de vivre

Qu'ils devaient vivre

Vaille que vivre

 

[…]

 

Barbara

Comments


Commenting has been turned off.
bottom of page