À la maison de l’Autisme, le Président de la République a annoncé, en cette fin d’année 2023, « la nouvelle stratégie pour les troubles du neurodéveloppement ». S’acte ainsi que la stratégie pour l'autisme, dit « l’impensé de la République » en 2018, se dilue dans la deuxième et nouvelle stratégie des dits « troubles du neurodéveloppement » (TND) pour 2023-2027 : les troubles dys (dyslexie, dyspraxie), l’autisme ou les troubles de l’attention. De la naissance d’un service public dédié au repérage précoce à une grille simplifiée de repérage des écarts du développement, qui devrait bientôt être inscrite dans le carnet de santé, à 6 mois, un bébé aura la garantie que l’Autre se penche de manière attentive et précise sur son développement lors de chaque examen obligatoire de santé, et d’être dirigé le plus tôt possible vers les plateformes de coordination et d'orientation en cas de doute sur la normalité de ses courbes développementales. Face à l’impossibilité d’une réponse relevant de la perfection, le Président a précisé vouloir « une approche la plus humaine et individualisée possible ».
La psychanalyse d’orientation lacanienne se fait responsable d’y introduire la dimension de l’éthique en ce que l’autisme, dans la clinique psychanalytique, est une position subjective qui relève d’« une insondable décision de l’être » [1]. En n’adressant pas d’appel, en ne cherchant pas à communiquer [2], c’est une position défensive contre l’intrusion de l’Autre et du Verbe qu’« un enfant qui se bouche les oreilles » [3] se protège, car pour les sujets autistes « le poids des mots est très sérieux » [4]. L’enseignement de Lacan, par petites touches, nous a donné des pistes à partir desquelles s’orienter, conduisant à ne pas laisser tomber les bras dans notre façon d’accueillir ces sujets. « Analysez-le » [5] disait-il, en précisant qu’ils « n’arrivent pas à entendre ce que vous avez à leur dire, en tant que vous vous en occupez. » Ce numéro illustrera que les sujets autistes de tout âge sont loin d’être des handicapés. À un certain type de discours de prise en charge qui les y réduirait, en appliquant un programme préétabli de rééducation aveugle à ce qui fait leur propre singularité, peut répondre l’offre d’un programme sur mesure, à sa mesure, pas-sans le sujet. L’interview que nous a accordée Katty Langelez-Stevens le révèlera avec clarté.
Lacan l’a précisé dans son enseignement, si « la condition du sujet – névrose ou psychose – dépend de ce qui se déroule en l’Autre » [6] , c’est au niveau de l’Autre que les partenaires de la pratique à plusieurs ont fait le choix décidé d’opérer. De ce qu’il en est de la fonction éducative auprès de ces enfants, de la perspective dans laquelle cette présence s’exerce, « Sommes-nous là pour éduquer ? » sera la question au cœur de ce numéro. Cette question concerne les professionnels de différentes disciplines travaillant dans des institutions du champ médico-social autant que les professeurs et auxiliaires de vie accompagnant des enfants dits autistes dans les établissements scolaires dans leur rapport au savoir. Avec eux, d’autant plus, il s’agit contre toute attente de savoir aussi ne pas savoir.
Ne pas savoir à la place du sujet, chacun avec son style propre, Amaury Cullard, Julien Borde et Philippe Lacadée nous en témoignent, faisant valoir un savoir-y-faire où chacun laisse la place pour un pas-tout, essentiel au fonctionnement selon la structure de l’inconscient. Pas sans un certain esprit, il y a du jeu – une marge pour le sujet – qui s’introduit dans la vie de l’esprit de ces enfants-là, qui n’en sont pas dépourvus, et qui participent activement à la joie que nous prenons à nous mettre au travail avec eux. Cette vie de l’esprit, c’est ce que nous apprend la lecture de Marianne Bourineau lisant elle-même deux autistes écrivains William Theviot, grand pianiste bordelais, et Ange Lise, journaliste. La spécificité de leur vie affective, de leurs sensations, ne peut se gérer au nom du Bien par un maître aveugle, il s’agit de l’accueillir avec respect et délicatesse, pas sans la border, en réfrénant le trop sur mesure, au service de leur invention singulière. La rétention de la voix, en tant qu’objet pulsionnel, constitue l’une des caractéristiques majeures de la structure autistique, comme le démontre Gilles Mouillac, co-fondateur du Nom-Lieu [7]. S’il nous offre de saisir l’importance d’avoir su trouver ce quelque chose à leur dire, cela n’a pu se faire sans laisser sa place au sujet, permettre non pas tant que sa parole se déploie, mais construire, avec lui, une sorte de bricolage, à partir de sa jouissance et ses ravages, en border les contours, pour qu’il puisse trouver un point d’ancrage.
Dominique Grimbert et Philippe Lacadée
[1] Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 177.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre i, Les Écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 95 et 98.
[3] Ibid., p. 98.
[4] Lacan J., « Conférences aux Universités nord-américaines », Scilicet, n° 6/7, 1975, p. 45-46.
[5] Lacan J., « Conférence sur le symptôme », Bloc-note de la psychanalyse, n° 5, p. 19 ou La Cause du désir, n° 95, 2017/1, pp. 7-24.
[6] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Seuil, 1966, p. 574.
[7] Le Nom Lieu accueille et accompagne les jeunes de 16 à 25 ans en situation de fragilité psychique et / ou en situation d’exclusion, en les aidant à se re-mobiliser, en partant de leurs affinités liées aux domaines du numérique. Le Nom Lieu s’inscrit comme un sas, une passerelle entre le milieu scolaire, le secteur du médico-social et le monde du travail.
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