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Édito #14 - Dominique Grimbert et Philippe Lacadée


Si une phobie scolaire peut s’éclairer de l’énoncé « On me harcèle dans mon école » lors d’une rencontre avec un analyste, et l’angoisse s’alléger du poids sur la poitrine quand des paroles s’adressent à celui qui entend, l’actualité nous démontre qu’il ne s’agit pas de banaliser le harcèlement menant certains au pire. Il a pris une autre ampleur à l’erre du numérique, écrit Philippe Lacadée, avec la présence des réseaux sociaux. 

Si l’on parle de harcèlement scolaire, on parle aussi de cyberharcèlement. Le phénomène ne se limitant plus à la cour de récréation [1], il vient faire retour dans tout l’espace public, le monde scolaire, professionnel ou la vie politique et concerne les enfants, les adolescents comme les adultes. S’il s’agit, dans ce cas, d’insulter et d’humilier la victime, en partageant avec d’autres via les réseaux des images l’identifiant et la commentant, la rumeur enfle, provoque l’onde de rires qui, tel un écho, se dilate dans le petit monde qui nous entoure, amplifiant le point d’impact sur celui qui le subit. Il n’y a plus de coupure entre l’intimité de la chambre et la vie publique, aucun lieu n’est plus protégé, le harcèlement passe à travers tous les remparts d’autrefois. 

Le Suédois Dan Olweus le définit à partir de trois composantes : l’agression, la répétition et le déséquilibre des forces.[2] L’angoisse y est provoquée par un sujet porteur d’une faiblesse qui suscite en lui l’envie de réduire à néant ce qui, en l’autre, fait tache. Il ne s’agit alors plus seulement là de rabaisser le sujet au corps qu’il a, mais d’anéantir le sujet en tant qu’être. Véritable plaie d’une haine ordinaire où la dimension projective de la faiblesse du harceleur semble ignorée, il convoque l’autre au point de réel du sexe, de l’origine et de la mort, qui l’angoisse. 

Dès 1836, Victor Hugo adressait aux Braves gens, un « Prenez garde aux choses que vous dites ». « Le mot », Marianne Bourineau nous en offre une relecture. Si Morgane Pistre le différencie du signifiant, Sébastien Dauguet en fait un usage silencieux pour qu’il n’ait pas l’occasion de prendre la valeur d’un signifiant qui figerait l’être. 

Le Pari de la conversation entend faire valoir la nécessité de ne pas se laisser prendre par certains discours tenus sur le harcèlement. Même si celui-ci existe, il s’agit de ne pas le détacher de ce qui fait l’humain, soit une part obscure qui peut se projeter dans l’autre et lui faire vivre un enfer. La Conversation aux Douves #5, présidée par Ronan, collégien et conseiller départemental des jeunes de la Gironde, en témoigne. Ce qu’il s’agit de mesurer, c’est la coexistence simultanée de l’ombre et de la lumière. En suivant Freud, nous pouvons soutenir que, parfois, l’ombre de l’objet indicible tombe sur le moi, et que c’est bien au cœur de l’humain qu’elle ek-siste. Cette version de la mélancolie, où l’objet déchet, rejeté, semble prendre le pas sur ce qui s’éprouve, en la projetant sur l’autre, tente d’en être soulagé, ce qui nous impose de faire entendre que seule une expérience de parole peut la situer à sa juste place. 

L’ombre s’abat sur l’analyste que joue François Berléand dans la pièce de théâtre La Note aux Bouffes Parisiens, puis s’engage pour lui une conversation ; heureuse contingence pour une rencontre avec l’acteur. Son rapport intime à la psychanalyse n’est pas étranger à ce qu’on lui propose des rôles d’analystes, ce rôle, et celui de Freud qu’il jouera très prochainement dans Freud et la femme de chambre

 



Dominique Grimbert et Philippe Lacadée

 

 

[1] Boyd D., C’est compliqué. Les vies numériques des adolescents, Collection Les enfants du numérique, p. 252.

[2] Ibid., p. 253.




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