Les institutions du Groupe SOS Jeunesse 95 du Val-d’Oise accueillent des enfants et des adolescents placés, ainsi que des jeunes majeurs. Leur pratique s’inspire de ce que Jacques-Alain Miller a nommé la pratique à plusieurs, une modalité inédite et unique de travail clinique, qui fut inventée en 1974, avec des enfants autistes et psychotiques, effectué par plusieurs personnes, dans un contexte institutionnel précis. Antonio Di Ciaccia en fait une description détaillée. [1]
Une version de cette pratique dite à plusieurs s’est mise en place dans les institutions dirigées par Assad Mohamed qui nous a accordé une interview. En effet, quand le rapport du sujet avec le signifiant est fragilisé, notamment par le pacte de fer qu’il a établi avec sa jouissance mortifère, ou quand le sujet est traumatisé par le savoir de l’Autre, son désir et sa jouissance, la valeur de réel est telle, pour lui, que cette pratique peut se révéler opératoire et créer un lieu de vie où l’atmosphère est plus vivable. S’orienter de la singularité opère alors un « doux forçage » [2], et offre à l'enfant la possibilité de troquer l’obscurité du hors-sens auquel il a à faire, sans loi et résistant à toute symbolisation, pour un peu de semblant.
Les professionnels y sont des partenaires, chacun étant susceptible d’incarner la « fonction éducative » car elle est ici l’affaire de tous ceux qui participent à la vie institutionnelle : éducateurs, psychologues, maîtres de maison, chefs de service, agents d’entretien, cuisiniers, secrétaires, directeurs aussi les référents extérieurs de l’ASE, les professeurs… Les partenaires de ces différentes disciplines tentent de mettre en place auprès du jeune une position de savoir ne pas savoir [3] lui permettant alors de loger au sein de la rencontre une chance d’être a-cueilli dans sa singularité. C’est au cœur même de cet accueil que s’offre un lieu de l’Autre décomplété [4] pour le sujet à venir, un lieu où il peut se loger sans danger, un lieu où « un désir qui ne soit pas anonyme » peut se rencontrer, celui qui lui permet de se constituer sujet de sa propre énonciation.
Soumise aux règles et aux lois de la Protection de l’enfance, l’institution veille à n’écraser ni la singularité de l’enfant, ni celle du professionnel qui incarne la fonction éducative, en ce qu’elle est « la marque d’un intérêt particularisé » qu’il porte à l’enfant et humanise, pour lui, le désir. Les travaux de Lucile Collard, Gurvand Beguec et Daniel Doumbia illustrent ce qui de la contingence d’une rencontre peut s’écrire tant pour l’a-cueilli que pour l’a-cueillant. Junia Couto et Viviana Saint-Cyr ont su le lire, l’entendre et le mettent en valeur.
Philippe Lacadée, psychanalyste invité de cette journée d’étude, transmet l’expérience d’une autre pratique à plusieurs. À La Demi-Lune, l’invention du Conseil sait se faire loi accueillante. Dans un établissement de soins, donner sa place à cette loi qui accueille le Witz, échappant à la règle aveugle du langage, dire oui au nouveau, soit le style d’une modalité particulière de jouissance propre à chacun, permet en retour au sujet de trouver un non, modifiant l’économie de sa jouissance en la réfrénant, et un nom lui offrant l’accès à une nouvelle nomination parmi les autres, une chance inventive.[5]
Dominique Grimbert
[1] Di Ciaccia A., Quelque chose à dire à l’enfant autiste. Pratique à plusieurs à l’Antenne 110, Éditions Michèle, 2010.
[2] Ibid.
[3] Baio V., in Di Ciaccia A., Quelque chose à dire à l’enfant autiste. Pratique à plusieurs à l’Antenne 110, op.cit.
[4] Di Ciaccia A., « La pratique à plusieurs », La Cause freudienne n°61, 2005, pp. 107-118.
[5] Lacan J., Discours aux Catholiques, Seuil, 2005, p. 21.
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