La génération désenchantée chantait « nager dans les eaux troubles des lendemains » [1], dans le chaos d’un monde dans lequel plus rien n’avait de sens et « les idéaux : des mots abîmés ». Cette génération demandait « à qui tendre la main », celle d’aujourd’hui la chante en-corps.
Dans ce numéro, nous avons choisi de « ne pas oublier la souffrance que la déliquescence de l'ordre symbolique peut provoquer, pour chaque sujet, un par un ». [2] « La crise de la langue articulée à l’Autre » [3] a ses effets dévastateurs, parfois irréversibles, et révèle l’enjeu de la mise en jeu de la langue comme moment d’ouverture de la parole vers l’expérience de l’Autre et sa différence. C’est ça l’innovation.
Avec Radio Courtil, Lena Burger a su en faire le pari. Lors de son passage à Bordeaux, elle a accepté de nous en dire un peu plus. Nous avons été sensibles au maniement subtil du temps, à la façon dont elle nous fait passer que ce que les enfants qu’elle rencontre produisent traite ce qui les préoccupe. Par la conversation qu’a permis l’ouverture de l’antenne sous forme de « radio direct », malgré la pandémie et ses effets de détricotage du lien à l’Autre, Radio Courtil a su faire vivre le lien social entre les enfants, les parents et le Courtil.
En ne cédant pas sur son désir, chacun, qu’elle que soit la place et la fonction qu’il occupe auprès d’un enfant ou d’un adolescent, peut lui démontrer qu’au moins un autre sait-y-faire avec son symptôme, et ainsi l’inviter à faire le pari de son invention à lui. Cela se lit dans le témoignage de Julien Borde quant au travail de ceux qu’il accompagne. À travers trois petites vignettes, il illustre comment la « voix folâtre » et le « regard errant » peuvent venir à être fixés, par l’appui sur les jeux-vidéos, dans un travail au Nom Lieu dont le point de départ est « l’accroche avec le numérique sous toutes ses formes. » Une adresse peut se constituer d’être vu et écouté via internet faisant ainsi écran, diffraction, délestage d’en trop. Des dires surgissent, venant répondre à ce qui préoccupent ces jeunes, jusqu’à pouvoir nommer parfois au plus juste leur malaise avec l’Autre.
Freud a ouvert la voie, il a accompagné le petit Hans au fil des promenades/fictions qu’il a inventées et élaborées face au réel du sexe auquel il a été confronté. Philippe Lacadée nous le montre. Ainsi, d’inventer, il s’agit de construire « sa solution à l’impasse du sexe » [4]. Nous suivrons donc Hans, Freud qui l’accompagne, mais aussi Lacan dont la lecture nous enseigne. À partir du trou réel que l’enfant rencontre, l’angoisse qui s’en suit et le travail aussi acharné que sérieux de le fixer par la fiction/fixion langagière à partir d’un jeu de signifiant, débouche la mise en équation signifiante et l’invention d’un fantasme qui lui permettra de passer de l’imaginaire au symbolique.
« C’est en tant que le Nom-du-père est aussi le Père du Nom que tout se soutient » [5] D’où la question « En quoi l’art, l’artisanat, peut-il déjouer […] ce qui s’impose du symptôme ? À savoir, la vérité. » [6] Si la vérité a structure de fiction, le fictif n’est pas par essence ce qui est trompeur, « mais, à proprement parler, ce que nous appelons le symbolique. » Dominique Grimbert nous indique comment Eugène Durif, en entrant dans la peau de Lucia Joyce, non seulement se fait passeur de la singularité du destin tragique de la fille restée dans l’ombre de son père, mais par l’écriture de cette fiction traite ce qui le hante.
Dans l’interview qu’il nous a accordée ainsi que ses deux romans, Hugo Lindenberg illustre avec finesse et précision la valeur de la fiction et sa fonction. Il nous livre comment, pour lui, écrire part d’une sensation, et que « ce qu’on appelle la réalité, c’est la rencontre de nos imaginaires ». D’où le titre de son deuxième livre La nuit imaginaire qui vient de paraître, sélectionné pour le Prix Médicis. Le premier, Un jour, ce sera vide a reçu le Prix du Livre Inter en 2021. C’est le réel du secret de la mort de sa mère qui l’a « projeté vers la fiction » laquelle a pris forme d’écriture. Confronté au vide de l’Autre, la fiction littéraire écrit ce qui surgit d’invention mettant à sa juste place La Chose.
La fiction peut se définir comme une réponse à ce qui échappe aussi bien aux objets du désir que sont le regard et la voix. Avec Hans, le récit, inclus dans le rêve et ses associations, forme aussi un second récit sur le mode d’une fiction alors adressé à un Autre qui en accuse réception. N’oublions pas, comme l’indiquent Freud et Lacan, que le récit d’Hugo, Eugène ou de ces jeunes ont la même structure, une structure de « fiction ». Voies royales ouvertes vers l’Autre scène, celle de l’inconscient mais aussi bien la mise en scène de sa vie que ce soit à la radio ou dans le numérique.
Bonne lecture à vous !
Dominique Grimbert, Philippe Cousty, Philippe Lacadée
[[1]] Mylène Farmer, « Désenchantée », Album L’autre, 1991.
[2] Miller J.-A., « Conversation d’actualité avec l’école espagnole du Champ freudien, 2 mai 2021 (I) », La Cause du Désir n°108, juillet 2021, p. 54.
[3] Voir texte Ph. Lacadée, thèse développée dans L’éveil et l’exil.
[4] Idem.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Le Seuil, 2005, p. 22.
[6] Ibid.
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