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Édito #11 - Dominique Grimbert

De pères, il n’y en a que de singuliers. Le père, n’existe pas ; chacun le sien et à chacun la version du père qu’il a eu. Il ne s’agit pas de le confondre avec le Nom-du-Père, le signifiant qui vient nommer ce qui de la fonction paternelle a opéré ou pas. Un père n’incarne pas toujours pour son enfant celui qui sait se faire responsable de sa jouissance, de sa vie et de sa parole, s’offrant ainsi lieu d’identification, de respect et d’amour. Cependant un autre peut l’incarner, et ainsi participer au nouage de plusieurs père-versions.


Si Joey Starr raconte, dans son livre Le petit Didier, avoir eu un père, au service de sa propre jouissance, le privant de sa mère et n’incarnant que le père qui dit non, sa rencontre avec un homme qui s’intéresse à lui, parle de lui et avec lui, est déterminante. Cette heureuse contingence participe à ce qu’il puisse s’inventer une place dans le monde, monde dans lequel il avait un « besoin puissant d’exister » comme la lecture de Jérôme Péhau nous l’indique.


À l’occasion d’une journée sur le thème « La Pulsion de mort à Vif » [1], Virginie Leblanc-Roïc a extrait une autre version du père, du livre de Richard Powers, Sidérations. Il s’agit ici d’un père démuni, ne surmontant pas la perte de sa femme ni ce à quoi le confronte la singularité de son fils. Misant sur la science et laissant à son fils les clés de l’humanité, son choix n’est pas sans conséquences.


Si le déclin du père est annoncé, il ne s’agit pas pour autant de le sauver. « Le Nom-du-Père, on peut aussi bien s’en passer à condition de s’en servir » [2] nous enseigne Lacan. Philippe Lacadée reprendra la lecture du cas paradigmatique du petit Hans pour l’illustrer. S’y entend que de structure, le pouvoir du père est limité, le Nom-du-Père ne peut pas tout régler. Hans a su trouver, à sa façon, avec Freud, une solution chevaleresque à sa déchirure pulsionnelle. L’introduction de l’Autre de la langue qu’il opère, démontre à l’enfant qu’au moins un autre sait se débrouiller avec le désir.


La mise en jeu de la langue comme moment d’ouverture de la parole vers l’expérience de l’Autre et sa différence, c’est l’innovation des conversations avec les élèves dans les écoles et les lycées inventées par les laboratoires du CIEN. Un espace inventé, si l’on consent à en faire le pari, où peut se jouer pour eux « la crise de la langue articulée à l’Autre » [3], l’offre du secours d’un nouveau discours.


Alexandre Stevens, fondateur et directeur thérapeutique du Courtil pendant plus de trente ans, a été l’un des deux assesseurs du CIEN à sa création. Invité à participer à l’une des premières conversations à Bordeaux, il nous offre dans une interview le privilège de bénéficier de son précieux éclairage. Loin de s’ou-pirer le père, avec un savoir-y-faire remarquable autant que singulier, il démontre comment « de ce qui perdure de perte pure » [4] peut surgir « dans la lumière de l’étonnement » [5] la mise en jeu du pari d’un dire qui ne soit pas l’en-pire.






Le Congrès PIPOL11 a pour thème Clinique et critique du patriarcat. Il aura lieu à Bruxelles les 1er et 2 juillet 2023.

[1] Journée vers le congrès de la NLS : « La Pulsion de mort à Vif », avec François Ansermet, Philippe Lacadée et Sandra Cisternas.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 145.

[3] Expression de Philippe Lacadée dans son livre L'éveil et l'exil.

[4] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 545.

[5] Lacan J., Le Séminaire, livre xvii, L’Envers de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1991, p. 89.






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