Sam Altam est le patron d’OpenAI, qui se définit comme une entreprise dont l’objectif est que l’Intelligence Artificielle générale profite à l’ensemble de l’humanité. Aussi créateur de ChatGPT, il fait l’actualité en rencontrant les plus grands dirigeants et chefs d’États lors d’une tournée mondiale. Menaçant de quitter l’Europe si la législation communautaire est trop restrictive, il dit pourtant aussi craindre que cette technologie tourne mal et qu’elle puisse causer des dommages importants au monde.[1] Mais, selon lui, les avantages dépassent les risques.
Le nom « ChatGPT » vient de l’association des termes « chat » et « GPT » qui signifient « conversation » et « modèle de transduction de langage prédictif ».[2] Cela veut dire que l’IA est capable d’entretenir des conversations par messages écrits avec des humains. Sam Altam met cependant et récemment en garde sur ce qu’il appelle le « problème des hallucinations ».[3] En effet, le modèle pourrait « énoncer des choses avec confiance comme s’il s’agissait de faits, alors que tout aura été inventé ».
Alors qu’une tribune ose le titre « Intelligence Artificielle : l’art de la conversation » [4], on peut y lire que de nouvelles frontières se dessinent dans la relation entre humain et machine, que le langage est une modalité d’interaction qui évolue constamment, et que celui « qui régit désormais l’interface entre humain et machine se rapproche sensiblement d’une forme de langage naturel. De celui que l’humain utiliserait avec un autre humain en somme ».[5] Il remplirait presque toutes les cases d’un schéma du langage parfait défini par Roman Jakobson, bien que l’auteur reconnaisse tout de même que trois fonctions essentielles manquent, l’expressive, la conative et la poétique. Le monde pourrait enfin tourner rond.
Au simple mot « diagnostic », ChatGPT répond : « Bien sûr ! Je serai ravi de vous aider avec un diagnostic. Veuillez me fournir des informations sur le problème ou l’issue que vous rencontrez, et je ferai de mon mieux pour vous assister. » À la question plus précise « Comment définir un diagnostic ? », il répond : « …les professionnels de la santé mentale utilisent le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), publié par l'Association américaine de psychiatrie » ; la critique de ce modèle modérant sa réponse : « Il est vrai que le DSM a été l’objet de critiques et de débats dans le domaine de la psychiatrie. Certains estiment qu’il a conduit à une médicalisation excessive des problèmes mentaux et à une simplification excessive des diagnostics. »
La conversation artificielle est loin de l’art de conférer de Montaigne et de la cueillette des savoirs-y-faire [6] qu’offre la conversation inter-disciplinaire des laboratoires du CIEN, qui devient plus que jamais, comme l’acte analytique, un acte politique. Le texte de Marianne Bourineau le révèle et les Journées de l’École de la Cause freudienne les 18 et 19 novembre 2023 en témoigneront.
Cécile El Maghrabi Garrido a participé à l’organisation d’une journée réunissant des professionnels de différentes discipline et orientation, le laboratoire Mise en jeu de la conversation y était présent, lors d’une rencontre sur le thème « Quelle place pour le diagnostic dans la clinique avec les adolescents ? » Comme elle l’écrit, dans ce numéro, « nous vivons une époque où le diagnostic n’est plus propre à la démarche du clinicien ». Le passage du diagnostic clinique au diagnostic social a cet effet, rencontré de nos jours, qu’« à réduire la souffrance psychique à un dysfonctionnement du cerveau, une prise en charge pourrait se réduire à une prescription, une simple posologie faisant l’économie d’une écoute et d’un accompagnement, comme si tout de la vérité du symptôme était dit dans son diagnostic », dit Julien Borde. Et les effets possibles à l’école, Philippe Lacadée les mesure. Il y a risque de s’orienter vers « une conception de l’homme biologique avec l’aide de la médicalisation à outrance des élèves devant chaque problème devenu trouble ». ChatGPT trouvera-t-il « dans la parole du patient le rapport entre l’angoisse et le sexe, ce grand inconnu » ?[7] Dans l’interview qu’il nous a accordée, Pierre Sidon nous rappelle que Lacan faisait du médecin un futur distributeur de médicaments et qu’« on y est ; et ça se fait en effet dans une ambiance où on est surpris de l’absence d’esprit critique ».
Dominique Grimbert
[1] « Qui est Sam Altman, le patron d’OpenAI, créateur de ChatGPT ? », article rédigé par Hélène Maquet, https://www.rtbf.be/article/qui-est-sam-altman-le-patron-dopenai-createur-de-chatgpt-11202795
[2] « ChatGPT, qu'est-ce que c'est ? », article rédigé par ChatGPT. Numerama https://www.numerama.com/sciences/1200230-cest-quoi-chatgpt-on-a-laisse-chatgpt-repondre-a-la-question.
[3] « Nous avons un peu peur » : l’avertissement du PDG d’OpenAI face aux risques de l’intelligence artificielle, article de Gabriel Manceau,
https://www.01net.com/actualites/nous-avons-un-peu-peur-lavertissement-du-pdg-dopenai-face-aux-risques-de-lintelligence-artificielle.html
[4] « Intelligence Artificielle : l’art de la conversation », tribune rédigée par Nicolas Lenglet, https://www.forbes.fr/business/intelligence-artificielle-lart-de-la-conversation/
[5] Ibid.
[6] « La conversation », rapport rédigé par Ariane Chottin, Françoise Labridy et Claire Piette, diffusé en préparation de l’Assemblée Générale du CIEN du 13 juin 2009.
[7] Cf. Lacan J., « Entretien avec Emilio Granzotto » (1974), Magazine littéraire, n° 428, février 2004, republié dans La Cause du désir, n° 88, 2014.
Comments