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DÉBAT : Là où c'est trop compliqué

Être capable de réponse et s’en montrer digne


Débat avec Xavier Martinen, magistrat au Tribunal des enfants de Libourne et

Martine Gibert, directrice du Service PEAD Dominique SAVIO


Animation Philippe Lacadée avec Julien Borde



Philippe Lacadée – Remettre la parole au centre. Xavier Martinen, vous nous avez dit que votre souhait était dans un premier temps de vous présenter. Vous voulez ainsi faire entendre la place d'où vous parlez, sa légitimité, précisée en trois points, que je vous laisse le soin de nous préciser.


Xavier Martinen – Merci beaucoup de m'accueillir ici. Je disais en aparté à ma voisine qu’en vous écoutant j'avais le sentiment d'être dans une forme de temple lacanien. Vous êtes venu me voir en me demandant si ce n'était pas trop du charabia, pour moi, ce que j'entendais. Et je vous ai dit « un petit peu quand même ». Pourquoi je me présente comme ça, c'est que dans ma fonction de juge des enfants, mon métier, c’est de m'intéresser à ce qui m’est étranger en permanence. C’est un peu particulier, c’est à dire que je vous entends mettre énormément de mots, sur ce qui sont pour moi des situations essentiellement traumatiques, d’enfants et de familles qui sont figés dans la « non pensée », et je vois bien que pour faire face à ça, vous avez besoin de mettre une quantité de mots, qui, moi, me débordent totalement. Mais je l’accepte venant de vous.


Philippe Lacadée – Vous n’êtes pas exaspéré ?


Xavier Martinen – Non, je ne suis pas exaspéré. Je voulais commencer par ça, parce que, quand je vous ai dit qu’il était important pour moi de me présenter, et d’expliquer pourquoi un juge auprès des enfants, c’est parce que je me dis que je me sens moi finalement assez étranger quand je viens vous écouter. Peut-être vous demandez-vous aussi pourquoi un juge vient s’intéresser à cette question-là aussi. C’est pour répondre à cette question, que je me dis que peut-être vous vous posez, que je vais tenter d’y répondre. J’y réponds parce qu’elle me travaille depuis le début de mes fonctions. Je suis juge, ça veut dire que je ne suis ni psychologue, ni psychanalyste, ni psychanalyste lacanien, ni éducateur, ni enseignant. Voilà, je ne suis rien finalement de ceux qui sont des sachant auprès de l’enfant ou la famille. Et pourtant j’estime que le juge, moi, études de droit simplement, a bien sa place dans le cas des enfants qui sont ou terribles ou compliqués. J’emploie, moi, le terme de en danger ou délinquants pour mettre mes étiquettes à moi sur ces enfants-là. Et je propose, c’est une réflexion, trois raisons qui viennent expliquer qu’un juge intervienne auprès d’enfants et de familles qui sont terribles ou compliquées.

Je vais d’abord préciser que mon métier de juge c’est un métier de prendre une décision. Il y a encore quatre ans, j’étais au tribunal de Saintes et je m’occupais de rédiger des jugements parce qu’il y avait des fissures dans les maisons et qu’un artisan avait mal fait le travail. Il fallait arbitrer et dire qui a tort, qui a raison, et fixer les dommages et intérêts. Et bien je vais jusqu’à dire que mon métier d’aujourd’hui, est assez proche de la fonction que j’avais quand j’étais à Saintes. Et ce qui légitime, en tout cas une partie de mon intervention auprès de familles en grandes difficultés et d’enfants en danger, c’est qu’à un moment donné, il y a besoin d’un expert de la décision.

Je vais donner un exemple, une situation que j’ai rencontrée quand j’étais juge des enfants à Lille, il y a longtemps. L’enfant n’était pas compliqué mais qu’il existe, c’était déjà en soi terrible pour tout le monde. Un enfant qui naît d’une mère adolescente, dans un camp Rom, un bidonville au bout de la ville de Lille. Cet enfant va m’être adressé parce que sa grand-mère, qui faisait la manche dans un supermarché, l’a jeté à terre et s’est assise dessus. Là, l’enfant est récupéré, il est placé, et la mère qui n’était pas là lors de la scène de grande violence va demander à récupérer l’enfant et va se jouer un conflit entre plusieurs personnes, qui chacune va poser la question « Où est l’intérêt de l’enfant ? ». La mère va dire « Cet enfant c’est le mien. Je veux m’en occuper et j’ai besoin de m’en occuper. J’ai besoin de le voir avancer. » Les associations d’aide aux gens du voyage vont soutenir cette mère et dénoncer la mesure de placement, considérant que j’impose à cette mère et cet enfant une vision normée de la famille. Elles vont également dénoncer le fait que le département empêche l’exercice des droits de visite, par la distance entre le lieu de placement et le lieu de vie de la mère. Un représentant du Département qui va venir non pas dire mais acter une séparation entre la mère et l’enfant, avec un éloignement tel, que ça va empêcher même physiquement la mère de se déplacer jusqu’à l’enfant, les visites c’est à dix ou vingt kilomètres, c’est dans des heures et des lieux qui sont impossibles pour cette mère et donc chacun porte en étendard ce dont aurait besoin cet enfant. Eh bien moi, j’arrive, en ne connaissant évidemment rien, si ce n’est mon oreille et mes lectures de ce dont a besoin un enfant, par contre je vais les rassembler dans mon bureau, et c’est là que mon métier est garant d’une méthodologie, rassembler dans mon bureau et à plusieurs reprises les différentes personnes qui naviguent autour de cet enfant. Ça va être la maman, ça va être l’association qui soutient cette maman qui n’est pas un partenaire de justice, ça va être le Département, ça va être, alors là ça n’a pas été le cas, mais ça aurait pu être un avocat que j’aurais pu désigner pour prendre le point de vue de l’enfant, ça se pratique même quand l’enfant ne parle pas, et ça a été l’occasion pour moi de prendre le parti de dire « Je ne sais pas si cet enfant retournera auprès de sa famille , par contre je ne peux pas l’acter initialement. Et s’en est suivie une deuxième décision après un temps d’évaluation, où je tente de ne pas être dans l’idéologie ou dans le parti pris, où il y a l’expérimentation d’un retour de cet enfant sur le camp auprès de sa mère et où il y a le temps de constater pour cette mère que cet enfant elle ne le reconnaît plus. Elle va dire « Il est tout rose, il est tout propre ». Ça n’est plus l’enfant qu’elle a laissé et ça va être le temps en réalité d’accompagner cette mère vers une déclaration d’abandon de l’enfant. Mais c’est aussi l’occasion de se rendre compte que l’enfant que cette mère voulait investir était issu d’un inceste avec son frère, inceste forcé pour cette jeune fille, se prostituant par ailleurs. D’une situation où chacun porte en étendard ce qui doit être l’intérêt de cet enfant-là, mon rôle à moi est de dire « Eh bien voilà peut-être que nous allons arriver à une rupture totale des liens de cette mère à cet enfant, ce qui a été le cas, peut-être pas, par contre, chacun doit être entendu et la parole de chacun, il faut moi que je sois en position d’écoute, non pas neutre, ce n’est pas possible mais en tout cas assez extérieur des parti pris de chacun pour poser des décisions qui s’imposent aux uns et aux autres. Donc, première légitimité que je propose c’est que je suis un artisan de la prise de décision dans des situations difficiles et dans des situations bloquées. Et ça, je le fais quel que soit le champ, la procédure dans laquelle j’interviens.

Le deuxième support à ma légitimité, « pourquoi un juge auprès des enfants et des familles ? », ça va être un rôle qui est constitutionnel. La constitution française dit que le juge est garant des libertés individuelles et en ça, je m’appelle Juge des enfants. En réalité, je me définis plutôt comme le juge pour les enfants, garant de sa protection par rapport à ses parents, garant de sa protection par rapport à l’institution à laquelle certainement certains d’entre vous appartiennent. Et en tant que garant des libertés, je m’assure, je tente de m’assurer que l’enfant soit protégé souvent de la maltraitance des parents, ou des carences, ou de négligences, mais aussi carences, négligences, maltraitances de l’institution. Et cette place-là que j’assume, qui est vraiment la mienne, c’est une place qui ne me met pas en alliance avec les services éducatifs ni donc avec les spécialistes de la Protection de l’enfance, même si dans la plupart des cas, je viens valider ce qui m’est proposé parce que ça correspond à ce dont a besoin l’enfant. Mais il faut savoir que ce fondement-là de légitimité, il a pour moi un sens très concret dans la vie de tous les jours. Quand une décision de placement que j’ai prise pour retirer un enfant à sa famille n’est pas exécutée pendant un an, six mois ou deux ans, c’est une carence majeure de l’institution. Quand deux frères et sœurs sont placés dans des endroits différents et ne se voient plus du tout, c’est une carence de l’institution, etc. Et donc mon rôle est de vérifier que l’institution œuvre dans le sens de ma décision, décision que je peux modifier à tout instant parce qu’elle est loin d’être figée, elle est loin d’être désincarnée. L’intervenant précédent parlait de droit désincarné, je tente d’incarner le droit au plus près des besoins qui sont suivis.

Le troisième point de légitimité que je propose, qui a été réfléchi par notamment Antoine Garapon qui est un juge philosophe qui écrit beaucoup, c’est le fait que certains juges, le juge des enfants, le juge des tutelles, par exemple, et aussi les juges d’application des peines, sont des juges qui sont concrètement dans le suivi des personnes et, en fait, incarnent ce qu’il appelle lui un office tutélaire du juge[1]. Et ça c’est quelque chose que je vérifie véritablement tous les jours dans ma fonction de juge des enfants. Lui, explique que ce juge qui a un office tutélaire vient auprès des personnes vulnérables, l’enfant en est une, les parents le sont souvent aussi, leur donner les moyens de redevenir capables et, ce faisant, de retrouver une place dans la société comme sujets de droit et comme capables d’exercer des droits. C’est très concrètement ce que vous faites auprès de mineurs non-accompagnés quand vous parliez, je parle des précédents intervenants, vous tentez de permettre à un enfant qui est dans une classe de s’exprimer comme les autres. Voilà, et bien c’est quelque part aussi mon rôle à moi d’aider les personnes qui sont en grande difficulté pour même oser exister, et le paradoxe il est que je le fais dans un cadre qui est pour le coup très normé, très encadré voire très autoritaire, et avec des situations très paradoxales.

J’ai en tête une audience, il y a deux ans maintenant, avec un père, que j’ai revu à plusieurs reprises qui disait oui à tout. « Je fais le placement de vos enfants ? – Oui. » Je lui aurais demandé n’importe quoi il aurait dit oui. Et en fait tout le travail auprès de ce monsieur ça a été de lui dire qu’en audience qu’il avait le droit de dire qu’il n’était pas d’accord. Et son enfant avait même besoin d’entendre qu’il était capable de se confronter à moi. Et c’est ça, entre autres, de faire exister un enfant ou un parent en l’occurrence, comme sujet de droits y compris comme capable de s’opposer à l’institution que je représente. Voilà, donc moi mes outils de travail, je reprends l’idée de l’artisan. C’est l’audience, c’est la décision, c’est aussi comme un artisan… Je dis artisan parce que je travaille seul. Je travaille avec une greffière mais nous sommes dans un binôme avec une totale liberté dès lors que l’on respecte le droit pour prendre les décisions. Je n’ai aucune hiérarchie. Je n’ai pas de lourdeur institutionnelle. Ce qui me permet aussi, ce rôle de juge tutélaire, qui vient prendre soin, qui vient aussi prendre des risques, et je vais terminer sur ce point-là pour en donner un exemple et faire comprendre.

Je sais qu’il est compliqué pour le Département par exemple de prendre le risque de, je vais dire ça comme ça, de risquer la vie d’un enfant pour peut-être le sauver à la fin. Un exemple. Mohamed, il est tuberculeux, il est mineur isolé étranger, c’était le vocable utilisé il y a dix ans pour les mineurs non accompagnés. Il vit dans la rue. Il est tuberculeux, il crache du sang et le médecin me dit : « S’il ne se soigne pas, il en a pour trois à quatre semaines à vivre. » Mohamed refuse de se soigner. Il refuse d’aller en foyer, il refuse d’aller à l’hôpital. Et quand il va à l’hôpital, il s’enfuit par la fenêtre à l’étage, il manque de faire exploser l’hôpital en mettant le feu à une bouteille d’oxygène. Donc autant vous dire que quand il commet des actes de délinquances dans la rue, il est connu comme le loup blanc. Les policiers ne veulent pas l’arrêter, ils ne veulent pas être contaminés et en fait, lui, c’est vraiment l’enfant terrible, c’est-à-dire qu’il vient terrifier les policiers, l’hôpital, les éducateurs, tout le monde. Et il est au bout de sa vie puisque, dans quelques semaines, il est mort si rien ne se fait... Eh bien, le risque que j'ai pris, le choix que j’ai fait avec le procureur, ça a été d’abord de poser un cadre, de fermeture, de l’enfermer à l’hôpital psychiatrique, qui est le seul lieu dans lequel j’avais le droit de l’enfermer puisque je n’avais pas de dossier pénal pour le mettre en prison. Ça a été d’imposer à l’hôpital de le prendre en m’appuyant sur l’avis d'un psychiatre avec lequel je travaillais, alors même qu’il n’avait peut-être pas de pathologie psychiatrique. Ça a été d’assumer la colère froide de l’hôpital qui l’a mis dans une pièce et qui ne l’a ni regardé, ni approché, ni touché, et qui l’a juste laissé là en me signifiant qu’ils n’en voulaient pas. Mais ça a permis de le rencontrer, la rencontre entre ce jeune et moi et ça m’a permis de prendre le risque de lui dire : « D’accord, tu restes dehors puisque ce n’est pas possible autrement. Par contre, tu viens prendre un médicament tous les jours. » Et ce contrat, il l’a rempli, c’est à dire que je ne sais pas ce qu’il est devenu mais j’ai eu des nouvelles quelques mois après, je sais qu’il s'est retrouvé en prison en Suisse, donc il a continué son errance, et a continué ces passages à l’acte, mais la prise de risque, ça a été d’accepter qu’il reste dehors. Ce que lui a gagné, c’est qu’il est resté en vie et finalement c’est la seule chose que j’ai cherché pour lui. Cette prise de risque, à mon sens, elle est possible parce que c’est un juge qui la prend. Ça deviendrait une carence si c’était le Département qui la décidait. Vous voyez le paradoxe et l’ambivalence de cet exemple.

Voilà ce que je voulais dire pour me présenter, pour présenter la place du juge auprès d’enfants et de familles en danger et d’enfants terribles.


Philippe Lacadée – Au fond, ça poursuit ce qu’on disait tout à l'heure puisqu’on a pu assister à une éthique du bien-dire. C’est à dire que vraiment, vous avez tout à fait bien dit, au plus près, cette très belle expression « artisan de la prise des décisions » qui sûrement marquera nos esprits. Bon, comme je sais qu’il y a beaucoup de personnes dans la salle qui travaillent à partir de vos deux fonctions, si vous en êtes d’accord, je passe la parole à Martine Gibert pour que vous puissiez vous présenter ou nous présenter une « création » ...


Martine Gibert – « Une bonne idée » … Je vais vous présenter ce service de placement éducatif à domicile, le PEAD, ces modalités d’intervention ou éléments qui peuvent répondre au « compliqué ». Ce service est né d’une idée un peu originale, présentée en 2014 au Conseil départemental de la Gironde. Idée venant du fait que j’arrivais à l’nstitut Don Bosco à l’époque pour être directrice d’une maison d’enfants à caractère social qui accueillait des enfants principalement sur décision de justice dans le cadre de placement. J’ai été un certain nombre d’années, directrice d'un service d’AEMO, assistance éducative en milieu ouvert, nous intervenions dans ce cadre-là, auprès d’enfants aussi à protéger, mais nous y intervenions dans le cadre de leur famille. Donc, en arrivant sur cette maison d’enfants, j’ai saisi, on va dire, l’opportunité de pouvoir présenter au Département, au nom de l’association Don Bosco, un type de mesure qui permet d’intervenir au domicile, mais d’une manière soutenue, intense et dans le cadre d’un placement. Le Département a validé cette proposition, et nous avons démarré pendant une période expérimentale de trois ans, période pendant laquelle nous avons construit, et en particulier avec les magistrats du tribunal de Libourne, puisque notre service à ce moment-là, avait un territoire d’interventions qui était exclusivement sur le Nord-Gironde , avec un nombre réduit de situations, mais on travaillait particulièrement avec deux juges des enfants de Libourne, qui n’étaient pas à l’époque Monsieur Martinen mais deux autres magistrats. Donc une modalité d’interventions qui s’est construite peu à peu, et dans le cadre quasi exclusivement d’une intervention judiciaire.

C’est une mesure de l’entre-deux. On n'est pas dans le cadre de l’AEMO puisque, contrairement à l’AEMO, on ne se contente pas d’être dans du conseil, à l’autorité parentale et du soutien aux enfants. On n'est pas non plus dans un placement classique du côté de la suppléance à l’autorité parentale où les enfants sont accueillis et la structure qui accueille les enfants supplée l'autorité parentale répondant aux besoins des enfants qui lui sont confiés. On est donc dans un entre-deux, l’idée du PEAD étant de faire avec, on est vraiment dans une forme de « béquillage », le mot n’étant pas très joli, mais c’est ce qui se passe. On met les mots et les mains dans le cambouis des familles dans le sens où on intervient au domicile, en ayant comme objectif de proposer aux enfants des conditions de vie au domicile qui soient les plus favorables à leur éducation et au fait de pouvoir grandir.

Un placement à domicile veut dire éléments de complexité, veut dire placement au domicile, donc bien évidemment, on est dans un paradoxe, le paradoxe de l’énoncé. Placement, c’est un terme que tous les enfants et les parents de la Protection de l’enfance connaissent très bien. C'est la mesure ultime qui fait souffrance bien que ce soit une mesure de protection pour les enfants, le fait de devoir être séparés de leurs parents, de leur famille, de leurs frères et sœurs, de leur entourage. Donc quand le juge des enfants prononce une mesure de placement à domicile, tout le monde entend, toutes ces familles, tous ces enfants, entendent le « à domicile » et entendent, je crois, que c’est une forme de dernière opportunité de pouvoir ne pas être séparés, qu’il n’y ait pas de de nouvelles ruptures dans leur famille.

Autre point de complexité, on intervient à plusieurs. Les équipes sont pluridisciplinaires, minimum deux intervenants dans chaque situation, minimum trois interventions par semaine. Plusieurs professionnels, donc, des éducateurs spécialisés, des éducateurs de jeunes enfants, des TISF (technicien de l’intervention sociale et familiale), des CESF (conseiller en économie sociale et familiale), des éducateurs scolaires, des psychologues, une équipe d'environ une dizaine de personnes pour intervenir auprès d’environ 35 à 40 enfants, équipe qui est encadrée et animée par un chef de service éducatif. Donc, plusieurs professionnels rencontrent les enfants et rencontrent les parents, chacun travaillant sur une partie du projet d’accompagnement de cette famille et de cet enfant, avec une nécessité de se parler beaucoup, de se coordonner pour intervenir donc auprès de ses enfants et de ses familles.

Autre élément que je souhaiterais souligner, c’est que lorsque nous intervenons auprès d'une famille et les enfants, on s’autorise une première période d’environ deux à trois mois qui est une période de diagnostic partagé. En fait, on intervient sur une décision d’un juge des enfants auprès d’enfants en danger et à partir d’un dossier, qui a été débattu. Il y a des éléments qui caractérisent la situation de danger de l'enfant et qui fait état, la plupart du temps, d’un parcours long de ces familles en Protection de l’enfance, parfois plusieurs générations. Souvent, pour ses enfants, on arrive après qu’il y ait déjà eu a minima d’autres mesures en milieux ouverts et parfois aussi des placements. Donc on arrive avec des éléments importants et précis sur la situation de ces enfants, mais chaque professionnel, chaque fonction, va aller rencontrer chaque membre de la famille, les enfants, les parents pour leur demander ce qui de leur point de vue à eux fait problème, ce qui fait qu’on en est arrivé à cette situation d’avoir été devant un juge des enfants. Qu’est-ce ce qui fait que leur situation a été signalée, quelles sont de leur point de vue ce qui fait difficulté, problème, où sont les problèmes ? Cette question est posée aussi bien aux parents qu’aux enfants. Et où on le décline d’une manière globale, tant du côté de l'éducateur spécialisé que du psychologue, de la TISF, en essayant de rapprocher ce que nous avons trouvé dans un dossier et ce que les parents et la famille nous présentent. L’idée étant qu’on puisse faire émerger peut-être une demande et, en tout état de cause, écouter ce que les parents et les enfants ont à dire de leur situation.


Philippe Lacadée – Donc merci. En attendant que les gens posent des questions, (à Xavier Martinen) j’aimerais bien que vous puissiez revenir sur une phrase que vous avez dite « aider les personnes », vous avez dit ça, je crois « pour même oser exister ». Et ça, ça me paraissait important.


Xavier Martinen – En fait, ça renvoie à ce que, même si ce n’est pas tout le public que je reçois, mais une grande partie des personnes que je reçois, sont dans tous les aspects de leur vie des oubliés et des délaissés. C’est un enfant qui serait mis au fond de la classe, ou qui fera tellement de problèmes qu’il n’existera que par les problèmes. Ce sont les parents qui auront été tellement des non-élèves qu’ils n’iront jamais à l'école pour demander comment ça se passe pour leur enfant, qui ne vont répondre à aucune demande, convocation, qui vont s’enfermer, qui vont vraiment ne pas exister socialement. Et, en réalité, le fait de venir poser des injonctions, mais y compris physiques… Une dame n’est pas venue, je vais la faire convoquer, mais je vais envoyer les gendarmes pour la convocation. Dans la réalité, c’est très contraignant, mais cette dame, quand je la verrai, alors que le parcours de vie dont j’ai connaissance montre qu’elle a un parcours tellement cabossé, qu’elle n'a jamais existé pour elle-même, ni aidé son enfant, encore moins… le paradoxe, c’est qu’en audience, dans un cadre où il y a en permanence, dans la tête des gens, mais aussi dans la réalité du placement, les gens arrivent terrifiés, et dans le même temps, c’est un lieu où ils peuvent porter une parole. En sachant que la première parole que j’utilise, et je commence toujours par cette parole est celle de l’enfant. C’est-à-dire que je reçois l’enfant systématiquement en premier, seul, pour d’abord parler et ensuite l’écouter, jamais dans l’idée de faire avouer ou dire des choses..


Philippe Lacadée – Peu importe son âge ?


Xavier Martinen – Alors, je vais recevoir des enfants qui ont trois ans et quatre ans et qui ont été maltraités par leur mère. Ils l’ont dit et le disent, avec des mots. Leur mère fait l'objet d’une réponse pénale, mais qu’eux ne comprennent pas. Le plus petit dit « Alors maman, elle est en cage ? ». En fait il ne comprend pas qu’elle ne soit pas en cage sa maman. Comme sa maman est très fragile et vulnérable, le procureur a fait le choix d’une réponse beaucoup plus douce que pour quelqu'un d'autre. Donc elle n’ira jamais en prison cette personne. Ces enfants de trois et quatre ans sont dans une incompréhension de l’absence de punition de leur mère. Donc, ces enfants, je vais les recevoir pour tenter de leur expliquer.

Techniquement moi, je fixe une limite d'âge quand j’entends les enfants. Je les convoque tous, absolument, à partir de six ans ou sept ans et je les entends ensuite, lorsque j’estime qu’il y a un besoin particulier ou lorsqu’un service éducatif m’en fait la demande ou qu’un enfant me le demande. Si un enfant le demande, je l’entends, c’est systématique. Je ne vais pas forcément parler de la même manière, évidemment, vous le comprenez, avec un tout petit ou avec un grand. Par contre, je vais toujours lui expliquer les choses. Voilà, et j’ai envie de dire que ça fonctionne. Dans mon bureau, je n’ai rien mis pour accueillir l’enfant. J’ai des chaises, les mêmes pour tout le monde, il y a mon bureau, il y a ma robe noire accrochée au porte-manteau, il y a des codes, des dossiers partout… Mais l’enfant se situe immédiatement dans cet espace-là. Je l’ai vécu hier avec une enfant dont une des problématiques, la principale, c’est qu’elle est prise dans un conflit intense entre ses parents. Sa mère allant la forcer à écrire un courrier pour dénoncer son père, sa mère allant cacher, sous son lit à elle, une photo de son père nu, pour dire que c’est le père qui lui a donné la photo, etc. Et un père qui fait l’inverse sur son côté, et où partout dans les rapports, il est écrit que cette enfant a la parole empêchée. Mais, dans mon bureau, elle avait identifié le sujet. Elle a dit : « Ben à ma mère, je ne peux pas lui dire parce qu’elle se met en colère ». Mais à moi, elle pouvait me le dire. Elle n’était pas capable de dire à sa mère autre chose que ce qu’elle voulait entendre. Une autre adolescente, sans que j’en comprenne les tenants et les aboutissants arrive et dit : « J’ai besoin d’être placée. » Ça arrive de temps en temps. Elle sait qu’elle a tapé à la bonne porte, la porte de la seule personne qui peut effectivement décider de l’enlever de sa famille. Et j’ai fait le choix de l’entendre jusqu'à ordonner le placement, alors même que j’avais des éléments d'inquiétude, mais pas forcément au point de retirer cette enfant de la famille. Tout ça pour dire que, dans mes audiences, je fais exister la parole de l’enfant, non pas toujours pour l’écouter, contrairement à ce que je vous montrais à l’instant avec cette adolescente, mais en tout cas pour tenter de la comprendre et surtout de la faire comprendre ensuite aux parents, puisque ce qu’un enfant me dit, je le redis à tout le monde. Ça c’est un principe qui me constitue et qui est foncièrement différent de ce que vous connaissez en thérapie, par exemple…


Philippe Lacadée – Ça vous constitue ?


Xavier Martinen – Oui, c’est le principe du contradictoire. C’est-à-dire qu’un juge, dans toute fonction, se doit de respecter à tout prix le principe du contradictoire, même si je ne vais pas tout répéter forcément au même moment. C’est-à-dire que je ne peux pas être partie prenante d’un secret. J’ai vécu une situation où un secret était gardé y compris par la justice. C’était un secret de filiation, très simple, c’est-à-dire « Tu n'es pas l’enfant de ton père, tu es l’enfant de etc. » Et, le fait, à un moment donné, alors que c’est dans la problématique, c’était un enfant extrêmement délinquant, eh bien, j’avais lu des écrits de tout le monde qui disaient : « Bon là il est en prison, on ne sait pas ce qu’il va devenir. Mais ce qu’on sait, par contre, ça, et tout le monde le disait : « Si on lui dit, ce sera encore pire. » Eh bien on est rentré dans le secret et rien n’a bougé pour ce garçon, qui est resté enfermé et qui est resté une sorte de monstre qui terrifiait tout le monde. J'ai l’expérience au contraire de la force de dire les choses dès lors que je ne suis pas moi dans la jouissance de dire pour dire des horreurs, mais, dès lors que ça vient servir la situation. Un exemple où j’ai utilisé la parole très violente. Une fille vit avec sa mère, le père est en prison pour l’avoir violée. La mère et la fille vont voir le père en prison. La mère dit « de toute façon je ne divorcerai jamais, il a été condamné à tort. » La fille se perd dans cette situation et elle abandonne toute scolarité, elle abandonne tout projet de vie, et elle est en fait arc-boutée viscéralement. Elle dit que son père est innocent et que c’est une injustice. Eh bien, j’ai utilisé la violence des mots qui a été de leur dire à toutes les deux les déclarations du père dans le cadre du procès d’assises auquel elles n’avaient pas voulu assister. Je leur ai lu le fait que le père reconnaissait les viols. Ça a été extrêmement violent mais ça a produit immédiatement pour la mère le fait de dire : « Bon, je divorce. » La fille n’a pas suivi ça, mais sa mère a pu la protéger de son père en lui interdisant d’aller le voir, et en marquant dans sa vie de tous les jours les choses. La parole et le contradictoire, oui, c’est quelque chose qui nous constitue. Si je ne le fais plus, je ne suis plus juge, en fait. Bien entendu, j’ai l’exception et la loi m’autorise à ne pas le respecter, si la parole met en danger la vie de l’enfant ou sa sécurité. Et, en fait, ça m’autorise à différer le contradictoire. Je me suis égaré dans la question…


Philippe Lacadée – Non, non. Respectez ce contradictoire parce que ça serait dommage que vous ne soyez plus juge.


Xavier Martinen – Alors c’est effectivement pourquoi j’ai commencé par expliquer qui je suis. C’est que c’est, bien entendu, un risque de ma fonction de devenir père à la place du père, de devenir mère en même temps, de devenir éducateur à la place etc. Ils me tirent en permanence à cette place là…


Philippe Lacadée – Ça rejoint la fissure que vous évoquiez au début…


Julien Borde – Merci. Moi j’avais une question pour Martine Gibert. Vous dites, si j’ai bien saisi, ce que c’est que le PEAD. Vous dites, c’est un placement. Il me semble aussi, qu’on dit, qu’un placement, c’est une mesure de séparation. Donc le PEAD, c’est une mesure de séparation dont la modalité de mise en œuvre prend la forme d’un droit de visite et d’hébergement élargi, qui aboutit à ce paradoxe du placement à domicile. Ça reste néanmoins une mesure de séparation. Donc ma question est la suivante, de quoi le PEAD aide-t-il l’enfant et ses parents à se séparer ?


Martine Gibert – Effectivement, c’est une mesure de placement. C’est une mesure où on va essayer de séparer les membres de la famille, faire en sorte que chacun soit à sa place, les enfants à leur place d’enfants, les parents à leur place de parents, mais je pense que ce qui est important, ce qui est entendu par les enfants, par les parents, c’est le fait qu’on va quand même pouvoir continuer à vivre ensemble.

Monsieur Martinen le disait tout à l’heure, quand les familles arrivent en audience, quand les enfants arrivent en audience, la crainte énorme, c’est le placement et le placement dans le sens de « On va être séparés. On ne va plus se voir. » Les membres d'une même fratrie, parce que c’est quand même la réalité, malheureusement, du quotidien des placements, ne vont plus se voir… Donc le terme de placement résonne dans les familles de la Protection de l’enfance, comme effectivement une séparation. L’originalité de cette mesure, c’est effectivement qu’on est bien dans le cadre de d’un placement, les enfants sont confiés. Donc on a une légitimité à suppléer au parent, par exemple, sur un accompagnement médical, qu’il ne pourrait pas prendre en charge, on a cette légitimité-là. Mais je crois que ce qui ce qui est important, ce que les parents et les enfants entendent, c’est une chance encore de rester ensemble. Alors la manière dont on va travailler la question de la séparation, c’est effectivement en travaillant sur les places, en expérimentant. Aussi parce que ce sont souvent des familles où le tiers extérieur a peu de place, l’école a peu de place, les activités de loisirs ont peu de place, les voisins ont peu de place, les grands-parents et la famille élargie n’est parfois plus là et donc nous, on va aussi travailler en particulier avec les enfants à des expériences de séparation, ne serait-ce que être en rendez-vous avec l’éducateur seul, sans que les parents soient présents. On organise aussi des mini-séjours, on organise plusieurs activités où enfants et parents ne sont pas ensemble.


Michèle Elbaz – Je voulais rebondir sur la question qui vient d’être posée. De toute façon, je crois que la question de la séparation, ce n’est pas une question géographique. C’est une question qui est à travailler à partir du signifiant qui va séparer et qui va permettre que se construise un lien. Mais je voulais poser une question aussi à Monsieur le juge. Ce n’est pas une question, c’est presque un commentaire, parce que j’ai beaucoup apprécié l’éthique que vous avez un peu dénudée de votre travail. Souvent il est obscur, n’importe qui sait les tenants de la fonction et vous avez commencé par nous dire, expert de la décision, et quand vous avez dit, artisan de la décision, là, j’ai soufflé agréablement parce qu’en effet il y a tout un monde, entre l’expert qui s’agrippe à une espèce de théorie et puis l’artisan qui a une éthique de la matière qu’il est en train de travailler, et cette matière, il se trouve que c’est une matière humaine, si j’ose dire, et vous avez été jusqu'à nous dire un exemple, d’une question de vie ou de mort. Mais je peux dire que, pour connaître un petit peu ces questions, c’est toujours une question de vie ou de mort, mais on ne le voit pas. C’est recouvert par des commentaires, etc. Enfin, une dernière question, sur quel corpus pratique d’analyse, de clinique, d’intelligence des situations, en dehors de ce que vous nous avez dit d’important concernant les attendus de votre fonction, sur quel corpus ou avec quel échange, vous vous trouvez finalement ?


Philippe Lacadée – Y a-t-il d’autres questions ? En attendant vous pouvez commencer à répondre.


Xavier Martinen – J’ai l’autorisation. Je respecte toujours le cadre. (Rires)

Non, simplement, je vous redis que je ne suis pas formé en fait à ces questions-là. C’est toute la difficulté. Alors je suis malgré tout sensibilisé, c’est-à-dire que concrètement, lorsque j’ai été élève à l’école de magistrature à Bordeaux, c’est une école, où l’on n’apprend que le droit. Le droit, c’est comme un dictionnaire. Par contre, c’est une école où l’on apprend à l’utiliser et à le faire vivre dans les situations judiciaires. C’est une école qui forme quasiment exclusivement par la mise en situation, que ce soit à l’école ou que ce soit dans la vie réelle, puisque les deux tiers de ma formation ont été de prendre de vraies audiences sous contrôle de quelqu’un, et avec quelqu’un qui pouvait récupérer l’audience à tout moment. Et dans la formation, je vais reprendre plutôt l’idée du touche à tout, c’est-à-dire que mon métier il est aussi d’être ouvert à de multiples champs professionnels, et à savoir comprendre le langage de chaque expert, et de savoir le traduire en décision et ça à l’école de magistrature, j’ai eu de multiples rencontres, soit conférences, soit ateliers ou autres, pour travailler des choses aussi différentes que la sociologie, l’anthropologie, la psychologie, la psychiatrie, la fiscalité, l’environnement, etc. Donc l’idée, c’est de rester branché sur le monde. Et, dans la vie quotidienne, il y a ce qu’on appelle une expérience prudentielle, c’est ce que disent les médecins, c’est-à-dire qu’en fait, c’est par l’expérimentation et par la répétition de situations que je me construis une forme de situations qui vont s’enrichir les unes avec les autres. Pour vous dire, je suis actuellement 550 familles, soit environ un peu plus de 1000 enfants. Chaque semaine, je vois entre 20 et 25 familles. Pour vous dire que, dès la première année de fonction, il y a maintenant quelques années, au bout d’un mois j’avais vu une centaine de familles. À chaque fois j’apprends. Je peux me tromper et j’ai heureusement quelques garanties si je me trompe. Vous avez raison de dire que ce sont toujours des questions de vie ou de mort et les décisions que je prends c’est avec la crainte qu’il arrive quelque chose mais, pour le coup, j’ai les épaules pour le supporter je représente seul mon institution et ne dépend pas d’une hiérarchie. Après, je vous dresse un portrait où tout a l’air très bien construit, j’ai aussi tout à fait conscience que, dans ma fonction, je suis dans une solitude qui fait que si je n’avais pas mon stock de chocolat dans le bureau d’à côté, si je n’avais pas les échanges permanents avec ma greffière, avec mon collègue, je ne tiendrais pas...


Philippe Lacadée – Et avec nous ?


Xavier Martinen – Et avec vous… Bien entendu, j’ai trouvé ma manière de réfléchir à la fonction, c’est notamment d’être dans des temps de formation ou d’échange et donc d’être obligé d’élaborer un peu sur ce que je fais, mais en justice, nous n’avons quasiment pas, nous expérimentons, j’ose à peine le dire, des temps de supervision et d’accompagnement.


Geneviève Cloutour-Monribot – Vous avez parlé d’un juge philosophe qui écrit beaucoup et c’est juste pour vous demander qui c’est ?


Xavier Martinen – Antoine Garapon. En fait, il anime une émission sur France Culture depuis longtemps et il est vraiment très présent dans les médias, il écrit beaucoup. Il a été juge des enfants effectivement, et le terme d’artisan est un terme de Laurence Bellon qui est aussi une juge des enfants historique et qui a écrit un livre qui s’appelle L’Atelier du juge.


Philippe Lacadée – On l’avait invitée aussi quand on était jeunes.


Danièle Laufer – Par rapport au terme d’artisan, je suis obligée de réagir parce que nous à Bordeaux, on a mis ça au travail. On a ouvert un atelier de criminologie lacanienne où l’on sait que travailler à plusieurs avec des magistrats, des psychologues et des experts, essayer de bien-dire et sortir chacun de sa solitude, en se gardant de tout discours d’expert. Il y a beaucoup à faire.


Philippe Lacadée – Par rapport à ce que disait Michèle Elbaz sur la séparation, je veux dire que même les élèves de Lacan, les meilleurs, Maud Mannoni, au fond, vous avez connu peut-être, a pensé qu’il fallait séparer les enfants physiquement. C’était l'époque où il y avait des lieux de vie à la campagne où à l’époque, le Larzac…


Martine Gibert – J’ai eu le privilège d’être stagiaire pendant un an, et d’avoir travaillé à l’école expérimentale de Bonneuil avec Mannoni.


Philippe Lacadée – Ah, formidable. Alors il y avait l’instance centrale qui était le lieu expérimental. Et après, on envoyait pour la séparation, l’enfant ou l’adolescent, avec l’éducateur. Le docteur Lacan, dans le Séminaire 11, dit à peu près ceci, Mais vous savez, ce n’est pas forcément de cette séparation-là dont il s’agit, c’est la séparation qui permettrait justement à l’enfant d'avoir un autre signifiant, ou une autre idée, pour le représenter et se séparer de l’aliénation dans laquelle le prend sa mère. C'est pour ça que, dans notre hôpital de jour, il y a plus de trente-huit ans, j’ai été à un moment donné dans un lieu de vie, près de Montpellier pour accompagner un enfant dans cette séparation-là, le séparer physiquement de l’hôpital de jour et de sa mère. Ce que je trouve intéressant, et c'est ce que vous disiez très bien, d’où la question pour nous des discours, est-ce que vous pensez que, quand, comme ça, des discours se tiennent dans la famille, un peu comme le disait Xavier, quand il a parlé de la violence des mots, est-ce que du fait de la fluidité du discours qui s’introduit, ça permet à l’enfant de circuler dans la séparation, signifiante plutôt que de rester figé ou pris dans ce dans quoi on voulait le prendre ?


Julien Borde – Comme l’air dans la pipe.


Martine Gibert – On essaie de désamalgamer. Encore une fois ce n’est pas un joli terme mais, on se rend vraiment compte que les personnes sont les unes à côté des autres, pas à leur place, les enfants sont beaucoup parentifiés dans ces situations de Protection de l'enfance. Les parents ont des réactions très infantiles… Le fait d’arriver, de parler, de parler à plusieurs voix, on n'a pas effectivement une seule voie d’expert, mais à plusieurs voix, le fait aussi d’expérimenter... Parce que voilà, il y a effectivement la question de l’échange verbal avec ses enfants et ses parents, mais il y a aussi vraiment la question du faire avec, dans des situations où, l’expérience de vie du quotidien est très lourde, très embourbée, très difficile, très violente. Voilà, le fait d’être avec et de parler, effectivement, ça ouvre des portes.


Philippe Lacadée – Ça tombe très bien puisque ça va être l’ouverture des portes.

Jusqu’à quel âge on peut venir frapper à votre porte ? Parce que moi j’aurais bien aimé rencontrer un juge comme vous.


Xavier Martinen – Je reçois parfois des parents, parfois des grands-parents… Parce que finalement la plupart d’entre nous, d’entre vous, avons des enfants autour de nous et certains ont besoin d’être protégés.



[1] Garapon A., Perdriolle S., Bernabé B., La Prudence et l’autorité. Réflexions sur l’office du juge au xxie siècle, Odile Jacob, 2014.





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