top of page

Interview de Vessela Banova

Vessela Banova est psychologue clinicienne, Docteur en sociologie, membre de la NLS et de l’AMP, Présidente de l’association Enfant et Espace qui gère 9 centres sociaux à Roussé et à Sofia, Vice-présidente de la Société bulgare de psychanalyse lacanienne et responsable du CIEN Bulgarie. De 2001 à 2008, elle a été Vice-présidente de l’Agence nationale pour la protection de l’enfant en Bulgarie. Sa venue dans la région bordelaise fut l’occasion d’une rencontre et d’un temps de partage autour des livres pour enfants qu’elle affectionne particulièrement. Elle nous offre aussi son récit de la reconquête du Champ freudien en Bulgarie telle qu’elle l’a menée, accompagnée de certains collègues aquitains.



Vessela Banova – Le premier laboratoire créé par le CIEN s’appelait « Grandir sans parents ». Il se réunissait à Sofia à l’Institut de l’Alliance française où venaient, de toute la Bulgarie, des équipes des trente-trois institutions qui accueillaient les bébés abandonnés. Mais, pour mieux comprendre, un peu d’histoire.

La politique sociale de l’État devait répondre à la mortalité infantile et à d’autres problèmes en mettant en place une institution qui s’appelait « Mère et enfant ». Elle était organisée et fonctionnait comme un hôpital. Le personnel, c’étaient des infirmières. Les enfants étaient divisés dans différentes unités selon leurs problèmes. Mais, avec les années, leur fonction devenait de plus en plus sociale, pas médicale, parce qu’évidemment, dans les années cinquante, les problèmes sociaux continuaient. Donc, on a commencé une réforme pour les organiser comme des établissements sociaux, faire des groupes de personnels stables, parce qu’il y avait des enfants qui rencontraient une infirmière une fois par mois, par exemple. À ce moment-là, c’était sous le chapeau du ministère de la santé qui a approuvé le projet de réforme et l’État et a octroyé des postes pour des assistantes sociales, pour des éducatrices, pour des psychologues dans ces trente-trois institutions. On a réorganisé entièrement la prise en charge et on a demandé une aide pour faire une formation pour les accompagner. Médecins du monde en Aquitaine nous a aidés à financer, les premières années, les visites des psychanalystes et des psychologues bordelais, Daniel Roy, Philippe Lacadée et Sylvain Maccali...

Alors régulièrement en Bulgarie, et de tout le pays, sont venues à Sofia des équipes inter-disciplinaires qui étaient très désemparées et déprimées. Pour la première fois, elles pouvaient parler, adresser à quelqu’un leurs observations sur leurs enfants. On a créé, avec l’aide de Philippe Lacadée et Judith Miller, le premier laboratoire du CIEN. Le principe a été de ne pas aller dans les maisons pour les visiter, ce que faisaient les ONG, mais de demander aux personnels des maisons de venir à Sofia, et de travailler à partir de la parole de certains membres des différentes équipes parlant des enfants. Ce qui a fait que ce laboratoire a eu un double effet, sortir de l’anonymat les enfants dont on nous parlait et le personnel aussi. Il y a eu une seule visite, c’était la première fois, parce que Médecins du monde insistait pour aller les voir. Mais, rentrés de cette visite dans une institution Mère-Enfant à Sophia, on s’est dit avec le CIEN : « ça suffit, on ne regarde pas, on ne va pas visiter, on va écouter les gens ». Et donc, pendant plusieurs années, on écoutait le personnel de ces institutions, on a travaillé avec leurs observations des différentes étapes de la souffrance psychique et les manifestations de l’inconscient comme la présence de symptômes, suite à une séparation précoce d’avec la mère. On a parlé, on a écrit, sur cette expérimentation brutale d’un roi, Frédéric II, je crois, avec les nouvelles équipes confiées aux religieuses qui ne devaient pas parler entre elles, et où tous les enfants sont morts jusqu’à la fin de la deuxième année. On a pu travailler le soir, anonymes.

Donc les enfants, au début, n’étaient pas parlés et petit à petit, ils apparaissaient dans les paroles du personnel. C’est très intéressant. On a plusieurs publications Grandir sans parents, Grandir avec ou malgré ses parents, Les marques de la différence, Le Symptôme de l’enfant, Comment grandit une fille, comment grandit un garçon ? et la dernière publication Apprendre la langue de l’enfant. Là, précisément, il y a un texte de Daniel Roy qui parle de l’espace nouveau pour la parole libre, la parole gratis etc. Philippe Lacadée, lui, avait lu des auteurs bulgares comme Anton Dontchev et son livre Les Cent Frères de Manol ou Le Péché d’Yvan Béline de Yordan Yovkov. Il nous a parlé ainsi de clinique analytique à partir de nos auteurs de littérature et des contes bulgares éclairant la position infantile face au désir de l’Autre de la mère. Notamment dans Le Péché d’Yvan Béline, il nous a montré, à partir de la louve blanche de ce récit, la différence entre le désir de mère et que veut la femme ? car la louve blanche incarne ce désir d’autant que le blanc en bulgare incarne ce désir énigmatique d’une femme. Il a lancé cette idée du comment utiliser des livres d’enfants avec les institutions. Et là, avec les institutions, on a travaillé avec des livres d’enfants.

À la fin de « Grandir sans parents », on a constitué Enfant et Espace en tant qu’association à but non lucratif. Au début, on a commencé comme un groupe qui organise des petites formations, fait des supervisions et maintenant on gère neuf centres sociaux à Roussé, à Sofia, dans deux villes de Bulgarie pour des enfants handicapés, des enfants autistes, des enfants en souffrance, des enfants dont les parents se séparent en s’adressant au tribunal. Pendant la pandémie, les enfants qui ont perdu leurs proches étaient en grande souffrance...


PdC – On peut faire un parallèle avec l'Aide sociale à l’enfance en France ?


VB – Oui, c’est nouveau. En Bulgarie, on avait une loi de l’aide sociale, mais c’est en 2000 qu’on a adopté la loi pour la protection de l’enfant, ce qui a donné le début de ce qu’on appelle des services sociaux, différents types de centres, avec différents profils pour accueillir des enfants à risque. Mais, comme c’est gratuit, c’est le département pour la protection de l’enfance qui réfère les cas. On constate que, maintenant, tous ces centres sociaux sont ouverts pour tous les parents qui peuvent s’y adresser quand ils ont des problèmes, donc c’est le soutien le plus accessible. Et comme en Bulgarie, il n’y a rien qui peut ressembler au réseau de santé mentale infantile en France, rien du tout, il y a peut-être dix-huit pédopsychiatres dans tout le pays, il y a des territoires qui ne sont pas recouverts de pédopsychiatrie, tous les enfants en souffrance psychique arrivent vers le système social. Pour L’enfant-espace, la cause est d’aider les collègues à reconnaître le plus tôt possible la souffrance psychique en tant que telle, et qu’elle ne glisse pas derrière la délinquance, le retard mental, etc. Ce qui n’est pas facile du tout. Ce n’est pas facile de faire entendre au-delà de la souffrance psychique la dimension de l’inconscient et la position subjective à respecter, incluse dans le symptôme qui fait souffrance.

Mais au moins, dans le discours social est entré la nomination « souffrance psychique ».

On parle de ça. Et en même temps, donc, en 2004 on a créé Enfant et Espace et, en 2006, le groupe du Champ freudien qui maintenant a permuté en groupe associé de la NLS. Donc là, en Bulgarie, le CIEN fait partie des activités du groupe lacanien bulgare. Mais, moi, je suis responsable du CIEN Bulgarie pour l’instant, c’est toute une réorientation, de l’année 2000 jusqu'à 2008, j’étais vice-présidente de l'Agence pour la protection de l’enfant. Philippe Lacadée et Daniel Roy, avec Judith Miller, m’ont beaucoup aidée et j’ai compris à la fin qu’il fallait lâcher des idéaux. Ce qu’on peut faire, c’est trouer le discours, donner toute sa place au symptôme comme invention, et là je pense que je le fais bien.

À cette époque, j’avais un collègue qui était pédiatre, il a fait une spécialisation de pédopsychiatrie, et ainsi l'Unicef nous a invités en tant qu’Enfant-Espace à accompagner de nouvelles petites équipes Unicef, avec leur financement dans le cadre de leur projet. Ils ont constitué des équipes au sein de la Bulgarie Nord-Est où il y a de minorités absolument ségréguées. Ce sont des petits villages, isolés, refermés, on disait que c’est le Moyen-Âge en Europe. Ces petites équipes n’étaient pas encadrées dans le système de la protection. Elles étaient mobiles, elles pouvaient être très innovantes et pleines d’initiatives. L'Unicef nous a invités, avec encore deux autres associations, d’abord à faire leur formation qui a duré trois ou quatre ans, parce qu’on voyageait et après, quand ils ont commencé à travailler, à les accompagner, des supervisions, mais c’était la conversation comme vous l’avez inventée au CIEN à Bordeaux.

Dans l’équipe, il y avait des Roms aussi. Il y avait deux infirmières qui s’étaient mariées très jeunes, mais leurs maris étaient ouverts et ils les ont laissées terminer la formation d’infirmières. C’était très bien parce qu’elles parlaient la langue rom. Et finalement, quand elles sont arrivées dans le village, elles ont repéré là où il y avait un enfant avec une maladie, un handicap et elles ont commencé à aider les familles à avoir accès à la santé publique, parce que théoriquement, ils ont l’accès, mais ils sont tellement pauvres qu’ils ne peuvent pas bouger du village. Elles ont gagné leur confiance et après ça, les Roms les ont laissées intervenir au niveau social.

Dans les familles roms, c’est la belle-mère paternelle qui règne. Elle est absolument l’incarnation du patriarcat. C’est le patriarcat, elle gère, elle peut tout faire et ils ont une habitude très nocive, celle de saler le corps du nouveau-né pour qu’il n’ait pas de sueur. Et donc, il y avait des cas mortels. Là, l’infirmière rom est allée dans une famille en ayant déjà appris de notre travail, comment parler, ce que j’ai appris à La Demi-lune, l’hôpital de jour de Philippe Lacadée à Bordeaux. Et donc j’ai transmis ça et elle a pu changer le sens de son énonciation. Elle a dit à la belle-mère : « Tu sais ? Ah OK, c’est bien de saler le corps, mais maintenant, le sel n’est pas le sel d’autrefois, il y a beaucoup de produits chimiques qui peuvent blesser le corps ». Et alors, ils ont arrêté.

Donc elle a appris cette démarche de parler, écouter, changer le sens mais surtout, savoir entendre et chercher, questionner, poser des questions à la femme derrière la mère. Il y avait un cas comme ça, la mère qui ne soignait pas ses enfants, les enfants étaient très négligés. Quand ils nous ont raconté ça, on leur a posé la question : « Mais est-ce que vous parlez avec elle ? Comment est-elle en tant que femme ? Qu’est-ce qui se passe ? » Ils nous ont dit : « Mais on ne l’a pas fait ça. Non, on va le faire. » Et la fois d’après, ils ont partagé avec nous le fait que, dès qu’ils ont posé les questions, elle a commencé à raconter son histoire très triste, pleine de violences, d’abus, etc. Et, pendant leur visite, elle a pu et peut parler d’elle-même. S’ils ne peuvent rien faire avec tout ça, les enfants commencent à devenir propres, bien vêtus... Elle a commencé à les caresser.

Là, ils ont inventé une activité qui s’appelait « Atelier pour les mamans ». Ils invitaient toujours la mairie à donner un petit espace et y invitaient les mères avec leurs bébés. Les mères rom ont quinze, seize, dix-sept ans. Et, Daniella (c’est une collègue psychologue qui faisait partie de l’équipe de la ville de Novi Pazar) a écrit le scénario pour une vidéo. Elle a eu l’idée de projeter des contes de fées sur les murs ou lire des contes de fées. Philippe Lacadée nous avait parlé de cela, dans une favela à Rio, où il était allé travailler avec un psychologue qui avait ouvert un petit lieu avec des livres, là où dans les favelas personnes n’avaient de livre chez soi. Et ce discours des contes a pu ouvrir un espace de parole, qui était absolument clôturé du côté des mères, bref un lieu à soi. Après, elles ont commencé à faire des ateliers là où elles peuvent. Et, pendant l'été, c’est à l’extérieur que les enfants ont pu faire des objets, du théâtre surtout à partir des contes des fées.


PdC – Les photos que vous m’avez envoyées, c’est ça ?


VB – Oui, oui, ce sont des petits Roms de Novi Pazar, une ville perdue là, dans la vallée du Danube. Et les enfants ont vraiment tellement bougé, ça les a accrochés, mais, tout le temps, il y avait les mamans et les enfants. Finalement, on a laissé. Au début, l’atelier pour les mamans, c’était avec les tout-petits jusque trois ans et après, comme ça s’était connu, elles ont commencé à envoyer leurs enfants plus grands, que vous voyez sur les photos de cette présentation et là, précisément, les photos sont celles d’un écrivain bulgare contemporain qui a écrit un conte sur les deux hiboux, une hibou fille, un hibou garçon et leur communication, comment ils jouent... Les enfants ont aimé ça, ils ont fait des dramatisations, des dessins.


PdC – Je reçois une enfant. Elle a été maltraitée, violentée par son père, avec une maman qui ne pouvait pas du tout se positionner, contrer le père et qui a laissé faire... Les enfants étaient enfermés dans une cave avec des bouts de verre. Elle a été placée assez tôt en famille d’accueil. La seule modalité de rencontre possible a été de nous asseoir toutes les deux dans le canapé et que je lui raconte une histoire. Au fur et à mesure elle s’est blottie contre mon épaule. Pendant des mois, la séance, c’était ce temps : elle rentrait dans le cabinet, elle allait chercher son livre, elle se mettait dans le canapé, elle m’attendait et je lui racontais des histoires... Jusqu'à ce qu’elle puisse, à un moment donné, prendre la parole et commencer à me raconter, à se raconter. À l’époque, le juge des enfants devait déterminer si elle devait voir sa maman ou pas. Une des premières choses qu’elle a su me dire clairement, c’est : « Je ne veux pas voir ma mère. » Elle a réussi aussi, ensuite, à en parler au juge.


VB – Comme ça, c’est génial.


PdC – Il y a un livre de Wajdi Mouawad, un dramaturge libanais qui s’appelle Pacamambo. C’est une petite fille qui perd sa grand-mère. En fait un des personnages dans ce livre c’est la mort. La petite fille accompagnée de son chien s’est enfermée, elle ne veut parler à personne et surtout pas au psychiatre à qui on lui demande de parler... Et il y a le dialogue entre elle et la mort. Elle lui dit comme elle est en colère contre elle qui lui a volé sa grand-mère... C’est très intéressant, parce que la mort devenant un personnage, l’enfant s’autorise à lui parler aussi à ce personnage, à prendre la parole face à cette mort qui l’angoisse.


VB – Moi, j'ai le plaisir de faire collection des livres d’enfants parce qu'il y a de très belles éditions. Les dernières années, il y a eu quelques éditions traduites mais aussi, des livres d’auteurs bulgares, absolument géniaux ! Là, il y a un livre qui est traduit du français, La Fabrique des mots, qui raconte que les mots, il faut les acheter et qu’alors les pauvres n’ont donc pas toutes les paroles pour s’exprimer. Parfois les enfants trouvent dans les ordures certains mots inutiles comme Rhododendron. Parfois, ils les attrapent avec des sacs à papillons, et s’y raconte une histoire entre un garçon et une fille. C’est un très beau livre. Donc je m’amuse parfois à les lire quand je ne sais pas exactement quoi faire.

Récemment je recevais une fille adoptée, elle a écouté et lu avec moi toute l’histoire. Sa mère m’a dit : « C’est la première fois, d’habitude elle ne supporte pas les livres. »

Parfois, je dis même à mes étudiants qu’au lieu de lire des livres pour adultes, ils devraient lire des livres pour enfants, parce qu’il y a là vraiment tout.

Parmi les vidéos qu’on a faites, j’en ai fait une, enfin le scénario. J’ai pris le chapitre du Petit Prince quand il rencontre le renard parce que j’en ai marre de toutes ces bêtises qu’on a fait pendant tout le processus de désinstitutionalisation en Bulgarie. On a fermé les grosses institutions pour enfants, on a fermé des lieux d’accueil. Aussi, la réponse apportée était toujours de comprendre l’enfant : « On doit donner beaucoup d’amour ». Et alors, on ne voit rien qu’une mère, toujours dévorante, et on ne tient pas compte du fait qu’au-delà ou en deçà de la mère, il y a le désir de la mère en tant que femme. Et on a dû inverser toujours la femme comme ça... C’était pour moi comme les conséquences de l’apport essentiel du conte de Yordan Yovkov dont nous avait parlé Philippe Lacadée.


PdC – Oui, ce qui revient au niveau de l’enfant à toujours le laisser dans une jouissance ?


VB – Oui et les petits autistes qui font n’importe quoi pour un peu mettre à distance... Et j'écris ce chapitre, et je nous mets la vidéo « Attachements et séparation », parce que la mère a appris qu’il s’agit d’une distance à bien mesurer et introduire le pas... celui de la séparation.


PdC – Plutôt que dévorer...


VB – Oui. Et ça, c’est très bien parce que la visualisation est bien. On l’a récemment présentée au grand public. Ce sont des vidéos amateurs parce que c’est une partie de mes collègues qui, dans le cadre d’un projet, a appris à faire ça. Certaines sont très moches, mais d’autres sont un peu mieux. On transmet...


PdC – Ça illustre le texte de Judith Miller « La reconquête du Champ freudien ». Finalement ce que vous décrivez avec ces équipes, ces infirmières qui rencontrent les mamans, ça illustre tout à fait ça. Et, quelque part, la place du professionnel orienté par la psychanalyse d’orientation lacanienne c'est de venir trouer les discours...


VB – Exactement.


PdC – Et de laisser place à cette femme...


VB – C’est ce qu’on peut faire, oui. Même dans l'association, j’ai cette approche avec mes équipes. Il y a deux endroits où ça marche, mais là ce sont des équipes dans lesquelles chacun est engagé dans l’expérience analytique. C’est un accueil à temps partiel, on a défendu devant la municipalité le programme thérapeutique. Mais par exemple, dans les lieux d’accueil de type résidentiel, où il y a encore ces jeunes qui ont passé toute leur vie dans des institutions, ça c’est terminé maintenant. Plutôt arrivent des enfants, comme cette fille dont je vous ai parlé, des familles vraiment démunies et avec beaucoup de négligence et de violence, mais là dans les lieux de type résidentiel, c’est très, très dur d’être lacanien. Quand même, on a construit une équipe thérapeutique, ça veut dire que tous ceux qui s’intéressent vont en thérapie et supervision, se réunissent et c’est grâce à la pandémie qu'on a commencé par le zoom à se réunir chaque lundi, parce que la moitié est à Roussé à 350 km de Sofia. Et depuis 2020, c’est régulièrement.

C’est un espace pour se confronter à l’imprévu, là où nous n’avons pas de bancs. Ça marche et j’ai commencé à inviter les centres résidentiels à présenter des cas cliniques de temps en temps dans cet espace. Mais on ne peut pas, pour l’instant, faire un plan par avance parce que le personnel, à l’origine, a été missionné par l’État. Eux, ce sont des personnes comme ça, pour qui c’était l’expérience de la paix et, l’État l’a voulu comme ça, que des femmes avec formation secondaire, parce qu’elles doivent faire la cuisine, et les enfants vont tout le temps à l’extérieur. Et j’ai dit : « Ce n’est pas possible. On travaille dans cette institution avec des enfants dits autistes. Non, si on laisse faire comme ça, après ça va être le désastre. » Pour les psychiatres, l’hospitalisation, c’est difficile. Et donc les femmes ne se rendent pas compte qu’elles ne peuvent pas parler de la façon dont elles parlent à la maison. Et très doucement, très tardivement, on les a amenées à bouger, mais ce n’est pas évident du tout.


PdC – Ça a ouvert des perspectives quand même, ce confinement et cette crise. Ça nous a obligés à inventer.


VB – Exactement. Et mon équipe est très contente, parce que j’ai quelques jeunes qui évidemment sont très dedans, orientés. Et elles ont écrit un truc qui présente leur expérience pendant la pandémie. Elles l’ont appelé « Accès à l’aide thérapeutique dans le milieu digital ». Et elles ont très bien montré quels sont nos repères dans notre travail en utilisant des notions qui sont accessibles comme le malentendu de la langue, le corps de l’enfant et la langue, l’inconscient dans le fonctionnement psychique... et comment la pandémie nous a obligés, parce qu’on était obligés par le ministère social de passer en consultations visuelles…


PdC – Ici, deux mois seulement.


VB – Ça a duré plus longtemps chez nous. Et ces vidéos ont montré comment on a pu utiliser ces points de repères, d’orientation, dans la nouvelle situation, et à quel point, finalement, c’est un par un, que la psychanalyse c’est une place pour le un par un. Pour certains, c’était très bien je crois. Un petit autiste, par exemple, montrait une petite partie de son front et la consultation visuelle était possible.


PdC – Le premier Pari de la conversation a été un numéro spécial numérique. Plutôt que de diaboliser le numérique, nous avons essayé de mettre en avant ce qu’il permettait. C’est ce à quoi nous ouvre l’orientation lacanienne, une clinique à partir ou, qui respecte le symptôme.


VB – Je pense que j’ai lu ça.


PdC – Pendant la crise sanitaire, du jour au lendemain, on a été confinés, tout était en suspens. Une petite fille n’avait plus ses copines, n’avait plus l’école, n’avait plus sa référente, plus de visites en point rencontre et elle était confinée avec une famille d’accueil très angoissée et du coup angoissante. La possibilité de la mise en place de la vidéo a eu des effets importants. Ses deux rendez-vous par semaine pas sans le regard, au niveau du transfert, ça a produit quelque chose de très précieux.


VB – Oui, le regard, c’est ça. Tout à fait. Finalement, grâce à la psychanalyse, ça s’avère très intéressant.


PdC – On s’autorise à inventer.


VB – Oui. On a inventé les vidéos parce qu’on s’est rendu compte que les parents, au lieu de lire, ça leur plaît de regarder des vidéos.


PdC – Donc, vous aussi dans votre pratique, Vous travaillez avec des livres quand vous recevez des enfants ?


VB – Oui. J’ai une collection et ça me fait plaisir. Il y a certains livres qui n’ont pas du tout de texte. Donc on peut raconter une histoire, mais ce sont des illustrations. Et là, je suis tombée sur un livre comme ça. Il est très rigolo. Deux amis, l’un qui est pingouin et l’autre tapir, un autre animal. Et ils habitent ensemble, mais ce n’est pas supportable parce que le pingouin comme un petit obsessionnel, est très strict, il nettoie et range tout. Et le tapir vit dans le chaos et le bruit… Les illustrations sont superbes, faites au crayon. Et finalement, la solution c’est que le pingouin s’est déplacé pour habiter autre part, ils se réunissent uniquement pour se rencontrer. Ça a résolu le problème.

Mais parfois, il y a des livres que les enfants contemporains adorent, ce qui m’étonne. Il y en a un par exemple dans lequel c’est un acte qui est dessiné et c’est juste la description de l’acte. Un garçon est surpris, il est tombé, il n’y a pas d'histoire, pas de discussion. Les aventures du petit DRANDYO. C’est très connu. Et cette génération qui grandit dans les écrans aime ça.


PdC – Oui c’est factuel ?


VB – Oui


PdC – Ça ne raconte pas les choses de l’amour… Et quand les enfants ont pu lire des contes de fées avec leur mère, avez-vous mesurer un effet sur le lien mère-enfant ?


VB – Oui justement parce qu’ils ont pu, à travers ce discours, se dire des choses. Le discours des contes a pu ouvrir une possibilité de dire des choses…


PdC - Comme si ça créait un espace Autre qui permet du coup de les mettre en conversation ?


VB – Oui. Et là, imaginez-vous, quand on a mis cette vidéo sur les contes de fées sur la page Facebook, parce qu’on a créé toutes les vidéos dans le cadre d’un projet pour obtenir le financement, on était obligés de publier au moins sur ce réseau, tout de suite, il y a eu une réaction des experts des droits de l’enfant nous disant que c’était raciste de raconter des contes de fées stupides, oubliés et anciens aux enfants roms au lieu de leur raconter leurs propres contes. Si les origines sont derrière tout le temps, ça crée et endurcit un discours très raciste d’autant plus avec de telles formes de réactions, parce que la spéculation avec les discours de droite est énorme. On cache sa jouissance Autre derrière ça. J’ai dit que je racontais des contes roms… Et, on voit la joie des enfants qui explorent.

PdC – C’est ça la curiosité, c’est quand même aller vers l’autre.


VB – Oui par exemple ils explorent une autre façon d’exister. On a fait un petit livre mais il est en bulgare, et n’a pas été traduit, avec huit scénarios. Ici les auteurs de scénarios ont pu expliquer un peu plus pourquoi ils ont fait ça. Le malentendu de la langue était tellement brutal avec les Roms parce que l’échange n’était pas possible, que le discours des contes en fait a rendu possible de ne pas avoir peur de malentendu. Et quand vous lisez les citations des enfants, ça, ça s’entend.


PdC – Merci.





コメント


コメント機能がオフになっています。
bottom of page