LE NOUVEL AMOUR - Philippe Lacadée
Pour parler de l’amour, Jacques Lacan évoque la poésie d’Arthur Rimbaud. Dans le Séminaire Encore [1], il fait référence au poème A une raison [2], qui se scande de cette réplique, qui en termine chaque verset – Un nouvel amour, Rimbaud ayant écrit Le nouvel amour. « L’amour, c’est dans ce texte le signe, pointé comme tel, de ce qu’on change de raison, et c’est pourquoi le poète s’adresse à cette raison. On change de raison, c’est-à-dire – on change de discours. » dit-il. Il fait entendre du lieu de la poésie sa formule d’analyste : l’amour, c’est le signe qu’on change de discours.
Le Monde des livres, à propos d’un colloque sur « L’amour toujours », faisait aussi référence à cette poésie de Rimbaud et à Lacan, citant Alain Badiou qui, dans son petit livre Éloge de l’amour [3], faisait de Lacan le théoricien moderne de l’amour. Dans ce Séminaire Encore, il fait valoir ce qui l’intéresse à ce moment précis dans l’amour : Le nouvel amour de Rimbaud. Ce serait un amour non trompeur, donc séparé de la réciprocité imaginaire, d’une logique signifiante œdipienne, voire mythique, un amour prenant en compte le registre de la pulsion ou de la jouissance, soit un amour répondant ainsi à la question du réel.
Citant le Prince de l’adolescence, Lacan indique Le nouvel amour comme signe, pour un sujet, du surgissement d’un nouvel état, impliquant qu’il change de discours. Au cœur de sa délicate transition, l’adolescent voit surgir en lui, la question essentielle d’un nouvel amour, au-delà de l’amour parental.
Le passage de l’aimé à l’aimant indique « la métaphore de l’amour », repérée dans Le Banquet de Platon par Lacan. Comment l’enfant pris dans l’état d’être l’objet aimé Éroménos consent ou choisit de changer d’état pour se vêtir des habits de l’aimant de l’Érastès ? Comment surgit ce nouvel état ?
Il rencontre à partir de son propre corps d’enfant, du nouveau, un réel qui surgit en lui, comme un trou, voire une absence, quelque chose faisant que son corps d’enfant se métamorphose en un autre corps ; ce n’est plus le corps d’enfant noué à ses parents. Là, ce sentiment du nouveau va le pousser, vers un autre corps que le sien, à inventer les nouveaux nœuds de l’amour, toujours ailleurs, dans un autre lieu, où Lacan note l’importance du signe pointé indiquant ce changement de discours.
Le Monde des livres croyant citer Arthur Rimbaud publie la phrase « la vraie vie est ailleurs », alors que celui-ci a écrit « La vraie vie est absente ». Cette erreur illustre cependant bien ce pousse-ailleurs que je propose de prendre ainsi, aussi comme le signe d’un changement de discours. Ainsi, l’ailleurs comme solution de l’absence n’existe pas, c’est un leurre, aussi vaut-il mieux, se confrontant au réel voilé par l’absence, trouver la solution de se mettre à l’heure d’une invention. C’est là où Rimbaud nous invite à réinventer l’amour.
C’est ce qu’on appelle la crise de l’adolescence. Il s’agit là, pour l’adolescent, de consentir ou pas, à incarner le nouveau réclamé en lui par le surgissement de cet objet lié au sexuel, se réactualisant sous la forme de l’objet du désir ou de la pulsion. Cette voie de l’objet est celle liée à L’Éveil du printemps, titre de la pièce de F. Wedekind (1891), ayant donné à Lacan l’occasion de faire une préface dans laquelle il précise que la sexualité vient faire trou dans le réel, dans le savoir déjà établi, ouvrant ainsi, au sujet, la voie de la jouissance et de la solitude.
C’est là ce fameux moment de désarroi, Hilflosigkeit, sans Autre, où le sujet se trouve pressé par la nécessité d’inventer du nouveau. D’ailleurs Rimbaud, lui-même, le disait avec ses deux formules princeps : Trouver une langue et L’amour est à réinventer. Dans son livre, Ai-je une patrie, Henri Thomas [4] témoigne du désarroi qu’il rencontre au moment même de sa rencontre avec l’Autre sexe, au point qu’il se demande comment parler, à quelle langue il doit se référer, pour dire l’impossible de la rencontre, dire ce qui surgit là. Ce qu’il nomme amour est sa façon à lui d’écrire le signe qu’il doit changer de discours.
Comment trouver une langue pour dire ce qui se joue de jouissance, ce qui se jouit, et toujours de façon contingente ? N’oublions pas, ici, la phrase princeps de l’adolescence concluant la poésie « Vagabonds » : moi pressé de trouver le lieu et la formule [5]. C’est du lieu de la psychanalyse, que Lacan, pressé par le réel en jeu, fera entendre sa formule il n’y a pas de rapport sexuel, définissant l’amour comme suppléance. Là où Rimbaud écrit Le nouvel amour, Lacan lui parle d’Un nouvel amour, ce qui nous permet d’établir, dans la conjonction du Le au Un, le fameux Y a d’l’Un [6], illustrant cet amour qui vise, ou se soutient d’un réel, soit de l’Un-tout-seul dans sa jouissance.
Je vais prendre appui sur Arthur Rimbaud, en montrant comment il précède la psychanalyse. Mais on pourrait aussi bien s’enseigner des Mémoires d’un fou de Flaubert, Le Lys de la vallée de Balzac ou encore Ai-je une patrie d’Henri Thomas, comme mon prochain livre le développera, permettant ainsi de saisir comme c’est toujours dans la contingence que surgit ce nouvel amour. On y verra le signe, pointé comme tel, à chaque fois, qu’on change de discours. Une lecture du Banquet de Platon, s’appuyant sur ce que dit Lacan dans le Séminaire Le Transfert [7], et un texte de Jacques-Alain Miller, « Les deux métaphores de l’amour » [8], étayeront enfin le propos.
A une raison [9]
Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.
Un pas de toi, c’est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.
Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne : le nouvel amour !
« Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps, » te chantent ces enfants. « Élève n’importe où la substance de nos fortunes et de nos vœux, » on t’en prie.
Arrivée de toujours, qui t’en iras partout.
Rimbaud, en tutoyant la raison, en appelle à la création d’une nouvelle raison. Lacan saisit, dans cette poésie, comment l’amour, pour lui, est le signe qu’on change de raison. On change de raison, précise-t-il, signifie qu’on change de discours. Il ne s’agit pas de rejeter notre raison, il s’agit de l’ouvrir, non seulement à un dépassement d’elle-même, mais encore à une aventure qui, dès lors, ne se conçoit pas sans Le nouvel amour. Rimbaud le dit ailleurs, L’amour est à réinventer. À une raison est absolument révolutionnaire, dans le sens de faire un tour, selon Lacan, voire se retourner selon Rimbaud. Un tour, car il y aurait une ancienne raison qui vous empêcherait l’accès à cette illumination désirée, appelée dans ce chant surgissant de vous, la vie enfin changée. Rimbaud n’hésite pas. Il tutoie la raison, « change nos lots, cribles les fléaux, à commencer par le temps » te chantent ces enfants. Les mots importants sont change et chante, et notamment change le temps. Le poète en appelant à l’harmonie [10] tutoie cette raison, comme, de la même façon, dans Une saison en enfer, il s’était donné seul les moyens de tutoyer son âme ; et « il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. »[11] Deux indications du changement de discours : posséder la vérité et tutoyer son âme.
Rimbaud possèderait à un tel point son âme qu’il pourrait lui fixer une fonction, celle d’observer son vœu. En écrivant, dans Une Saison en enfer, « et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps », il veut faire entendre que le point le plus important est loisible, loisible de posséder la vérité pour pouvoir tutoyer son âme, d’autant que l’âme et le corps ne font qu’UN. Donc loisible d’une part, et tu voles selon… d’autre part. Tu voles est une déclaration stupéfiante. Il va chercher la vérité dans une âme et un corps. Il ne dit pas dans une âme et dans un corps, non il joint l’âme et le corps, dans l’UN. Pour lui, l’âme n’est plus dépendante en rien des opérations humaines, ni des communs élans. Elle parle en changeant de discours. Elle ne dépend plus du discours dit-commun [12].
C’est là où, sans doute, Lacan note que changer de raison équivaut à changer de discours. À l’époque de Rimbaud, c’était le discours religieux, qui était le gardien de l’âme et de sa raison. Et dire que Claudel en a fait un chrétien... Pour Rimbaud, l’âme n’est plus religieuse, puisque, dans sa percée, elle se dégage et s’envole, Tu voles selon… et là, il ne précise pas. Il reste des points de suspension, comme ceux de Lacan quand il écrira …ou pire. Lacan dit que l’on peut remplacer ces trois points de suspension par Un dire. C’est sa formule Il n’y a pas de rapport sexuel. Il vaut mieux le savoir car, à sortir de là, on ne dira que pire sur l’amour [13].
Rimbaud poursuit encore ce changement de raison dans un autre texte. « Moi ma vie n’est pas assez pesante, elle s’envole et flotte loin au-dessus de l’action. Ce cher point du monde ». Là se saisit l’image de cette fameuse liberté libre. Liberté qui le pousse-ailleurs. Ailleurs, et à écrire « Il faisait des romans sur la vie / Du grand désert où luit la liberté ravie ». Voilà une âme ayant changé de discours en s’affranchissant de toute pesanteur, et de la gravité. Pourtant il précise bien qu’il n’est pas question ici d’espérance, pas orietur. Bien au contraire, on reste dans Science et Patience. Il coupe court à toute idéalisation ou promesse de bonheur, qui nierait le supplice faisant l’humain d’être pris dans le fer voire l’enfer du signifiant.
La patience au sens étymologique, c’est ce qui se souffre. Ainsi parlera-t-il aussi de souffrance moderne, c’est-à-dire une souffrance liée au fait que l’âme a un corps. Il y a un réel qui, faisant effraction dans le corps, produit une souffrance toujours moderne d’être liée à la contingence. Un corps souffre ainsi du fait qu’un corps, avant toute raison, ça se jouit, raison de plus pour s’en aller tutoyer son âme, et lui demander raison de qu’est-ce que c’est que ça ? que m’arrive-t-il ?
On est jeté dans un autre temps, une autre expérience du temps, Rimbaud parle de « jours en feu », à quoi répondent « les braises de satin ». Le feu de l’enfer est devenu pour lui, un jour en feu, cependant que Satin évoque Satan dépassé. Aussi, comme le temps, l’éternité vient-elle de changer de nature.« Elle est retrouvée / – Quoi ? – l’Éternité / C’est la mer mêlée / Au soleil ». Voilà le signe pointé du changement de discours. La métaphore de l’amour fait passer ainsi de l’Enfer de Satan à Braises de satin. De Satan à Satin, il fait surgir peut-être justement ce nouvel amour tout en gardant sa raison. Il parle de quelqu’un qui tutoie son âme éternelle, qui vole selon… par une révélation d’illumination, de la nouvelle éternité, de la mer mêlée au soleil, tandis que sur terre chez les mortels, le supplice est sûr parmi les braises.
Enfin ô bonheur, ô raison j’écartais du ciel l’azur, qui est du noir,
et je vécus étincelle d’or de la lumière nature.
De la joie je prenais une expression bouffonne et égarée au possible. [14]
Rimbaud noue la raison et l’amour, voilà ce signe nouveau ayant alerté Lacan. D’ordinaire les mots bonheur et joie suggèrent davantage la folie : « je suis fou de bonheur », « elle est folle de joie ». L’amour, plutôt l’irraisonnable, voire le hors-discours, lorsque le sujet pris par le coup de foudre, peut aller jusqu’à en perdre la raison, voire sortir du lien social. Or, pour lui, il ne s’agit pas de folie, mais d’un simple retournement. C’est de la raison que, pour lui, surgit le bonheur, la joie ou l’amour. Et là, il est d’une précision éclatante lorsqu’il écrit « j’écartais du ciel l’azur, qui est du noir, et je vécus étincelle d’or de la lumière nature ». Il dit quelque chose de très précis. Soudain vous passez à travers le ciel, vous devenez à vous-même une lumière qui n’est plus artificielle comme l’est celle produite par notre triste terre. Cette lumière nature, il va la préciser, elle est celle qui s’équivaudrait à la mer mêlée au soleil. Il avait d’abord écrit la mer allée avec le soleil, mais en fait, il a corrigé en écrivant mêlée, pour bien démontrer qu’il y a toujours, pour lui, une certaine dimension incestueuse, dans le sens où la mer représenterait la terre de jouissance.
Sa poésie « À une raison », commence par un coup de doigt. Un coup de doigt suffit pour que surgisse le nouvel amour. Ce n’est pas le coup de tonnerre, ce n’est pas le coup de foudre, c’est un coup de doigt, presque quelque chose d’imperceptible. Un détail, mais pour Rimbaud, ça suffit à décharger tous les sons, « Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons », c’est-à-dire remet à plat, et alors commence la nouvelle harmonie dans sa poésie. C’est sûrement ça qui a intéressé Lacan, il passe du pas, de leur en-marche à la tête [15]. Il est question d’une nouvelle harmonie, de quelque chose qui aurait à voir avec l’amour nouveau pour ces nouveaux hommes.
La substance rimbaldienne, c’est la jouissance freudienne, cela indique le surgissement de la rencontre, en fait, du réel de la jouissance. On constate ici donc une élévation, dans le sens de ce que Lacan reprendra à partir de l’Éveil du printemps comme éveil de la jouissance. Ça fait référence à la rencontre, à la contingence d’un présent et Rimbaud précise : « arrivée de toujours, qui t’en iras partout ». La nouvelle raison est ce nouvel amour qui vient de toujours, il s’agit de ce qui surgit dans l’instant présent, bien indiqué dans Le nouvel amour. Si Un nouvel amour réduit à l’indistinction du un parmi d’autres, Le nouvel amour associe l’évidence de la présence et du surgissement, c’est la splendeur éclairante d’une illumination de l’état nécessaire pour aller à l’esprit : l’éveil.
Au lieu de continuer à dormir, le sujet doit effectivement entrer dans le temps de la splendeur de ses Illuminations, comme le dit le texte de Rimbaud. Sa poésie suggère que rien n’est jamais écrit, puisque l’on passe, d’un simple mouvement de tête, d’un amour à l’autre. Il y a événement. Quelque chose se passe. Ça cesse de ne pas s’écrire, fût-il un court instant, c’est donc la contingence comme modalité logique qui est à l’œuvre. On saisit là la référence à la signification d’un amour qui soudain devient sans limite, un amour au-delà du père. La poésie « À une raison » ouvre pour la psychanalyse, grâce à Lacan, la voie du Nouvel amour ne dépendant plus des contraintes œdipiennes, un amour ouvert à la contingence qui devient le ressort de ce Nouvel amour. De cette nouvelle alliance entre l’amour et la jouissance, la contingence relève d’un ce n’était pas écrit, un moment de pur hasard, survenant à partir d’un point d’impossible, un ne cesse pas de ne pas s’écrire pour arriver à un cesse de ne pas s’écrire. Lacan précise, dans le Séminaire Encore, que c’est par la contingence que se démontre l’impossible du réel, soit sa fameuse formule il n’y a pas de rapport sexuel.
Lacan le théoricien de l’amour
Dans Éloge de l’amour [16], Alain Badiou démontre comment Jacques Lacan en soutenant sa thèse provocatrice, mais solide, il n’y a pas de rapport sexuel, est de fait le théoricien de l’amour. Lacan établit, en effet, cette formule du lieu de la psychanalyse, là où Freud a produit l’essentiel de sa découverte que la sexualité est en grande partie une affaire propre à chaque sujet et ce, dès l’enfance. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si Freud nous dit que la mère du célèbre petit Hans lui disait, face à l’éveil de la jouissance de son érection : « laisse cela c’est une cochonnerie ». Voilà comment une mère entendait ravaler la découverte de la sexualité de son fils, de la jouissance de son corps propre, soit l’affaire essentielle du réel de son sexe, à une saleté. Il peut y avoir une médiation du corps de l’autre, mais en fin de compte la jouissance rencontrée, voire éprouvée, lorsque le sujet rencontre son partenaire, ne sera toujours que sa propre jouissance. Lacan repère que le sexuel, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ne conjoint pas, ne suffit pas, à rendre partenaires, mais, bien au contraire, il sépare, comme l’indique l’étymologie de sexe, soit sexus / séparé.
Si la formule de Lacan Il n’y a pas de rapport sexuel fait scandale, c’est dans la mesure où Lacan démontre comment chacun, dans l’affaire de l’amour, lorsqu’il croit faire l’amour à l’autre et bien, dans cette affaire du lieu de l’amour, il y a non-lieu. Le sujet n’a affaire qu’à sa propre jouissance. C’est cette implication, dans sa propre affaire, ce dont seul le sujet est responsable, qui a fait scandale. Mais, ce que Lacan révèle, par la même occasion, est essentiel : c’est parce qu’il n’y a pas de rapport sexuel que l’amour vient justement y suppléer. Il précise la question de la contingence pour introduire ce réel qui, soudain, change et pour illustrer comment l’amour vient suppléer au non-rapport sexuel. Les affinités de l’amour avec la contingence démontrent, a contrario, l’impossible auquel il fait suppléance, soit le non-rapport sexuel, au même titre que le symptôme. Lacan ira jusqu’à parler d’aimer son symptôme, ce qui revient à dire s’identifier à lui. Mais cette suppléance de l’amour au non-rapport sexuel indique en quoi et pourquoi il est attaché au réel et prendra, par conséquent, une autre forme quand le sujet en analyse sera confronté à ce point de réel que constitue le non rapport sexuel. On saisit dans les cures comment quand le rapport au réel du sujet change, sa manière d’aimer change aussi. Ce qui change, à la fin d’une analyse, c’est le fait d’avoir rencontré ce réel produisant dès lors le surgissement d’un nouvel amour.
C’est ce qui se passe aussi dans cette délicate transition de l’adolescence, où se joue le surgissement d’un nouveau rapport au réel. C’est en effet là, le point de rencontre avec la jouissance, point de pure contingence où se nouent, d’une nouvelle façon corps, signifiant et jouissance, produisant le nouveau « nœud de l’amour »[17]. La contingence se retrouve autour d’un même point logique, au cœur de la rencontre amoureuse, nouée à la rencontre avec la jouissance, là où Rimbaud parle de substance. Il nomme nouvelle harmonie, nouveaux hommes, comme entrés dans une nouvelle raison.
Il démontre par sa poésie, comme suppléance au rapport sexuel qui n’existe pas, que Le nouvel amour devra s’inscrire dans un discours, devra trouver une langue pour se dire, Un dire juste pour bien-dire le réel de sa jouissance. Nous pourrions ainsi dire qu’il ouvre, à son insu, la voie de la psychanalyse. Alors, se saisit que ce qui intéresse l’amour, pour Lacan, ce n’est pas la rencontre, l’union des aimants et des aimés. Il s’agit plutôt de comprendre comment surgit le désirant, là où justement il était aimé. C’est ce passage d’aimé à désirant qu’il va travailler. Ça intéresse, au plus près, la question du passage de l’enfant à l’adolescent, puisque l’enfant serait l’aimé, en tant qu’il s’identifie au phallus imaginaire de la mère, c’est-à-dire à ce qui manquerait à la mère, à l’autre. Lacan fait référence à Rimbaud, en ce qu’il lui ouvre une voie, celle de saisir le moment où ça change, un moment qui confronte le sujet à un manque, un moment décisif de changement.
Le changement de discours : de désiré à désirant.
La littérature nous offre la possibilité de lire comment à partir d’une rencontre surgit l’amour comme signe d’un changement de discours. Lacan, lui aussi, l’a mis en évidence dans son séminaire Le Transfert [18], à partir du Banquet de Platon. Ce Séminaire lui sert à faire l’éloge de l’amour, et à étudier la question du changement de discours, qu’il retravaille dans le Séminaire Encore. Ce qui l’intéresse particulièrement, c’est le moment de changement, le moment où, le sujet passant d’être désiré à désirant, fait surgir l’amour [19]. Il l’éclaire à partir de l’entrée de Socrate dans la série des discours portant sur la nature et les qualités de l’amour qui se tient au Banquet, chacun des invités proposant sa théorie de l’amour.
Dans le premier discours, Lacan repère la métaphore de l’amour, soit la merveille de l’amour quand quelqu’un qui est éroménos, aimé, se transforme, et accepte d’être érastès, de devenir à son tour aimant. C’est ce sur quoi Alcibiade va buter à la fin du Banquet. Il veut savoir pourquoi Socrate refuse à se manifester comme érastès à son égard, à la métaphore de l’amour. C’est ce refus de Socrate à l’endroit de la métaphore qui permet à Lacan de repérer chez lui une anticipation du psychanalyste. C’est ce qui s’est mis en jeu, non sans une certaine violence, dans la relation Verlaine-Rimbaud où l’on ne saisit pas toujours très bien la marche en avant de l’un ou de l’autre pour passer de l’aimé à l’aimant.
Mais qu’avait donc ce Rimbaud ?
Voici la métaphore de l’amour, érastès vient à la place où était éroménos [20]. Il y a merveille de l’amour dans cette métaphore à partir du moment où le désir est situé comme allant de celui qui n’a pas – celui qui manque, l’aimant, le désirant – vers l’aimé, à savoir celui qui a. Celui qui, aux yeux de l’autre, a, ce qui fait l’attrait, accepte, consent, à un moment, à se découvrir, dévoiler, à lui comme celui qui n’a pas ? « À cet égard, la dignité apparaît du côté de celui qui a, et ce serait une chute pour le sujet de s’admettre comme celui qui n’a pas. »[21] Le Séminaire sur le transfert inverse cette perspective, et montre que sous un autre angle, consentir à être l’aimé, éroménos, à être repéré à partir de l’objet et comme objet, serait là au contraire une chute pour le sujet. On a, là, avec ces deux termes, celui qui a et celui qui n’a pas, les deux termes de l’algèbre lacanienne : a, à savoir ce qu’a celui qui est aimé. Et celui qui est aimé, c’est celui qui a a. Celui qui n’a pas, qui est le désirant, on peut l’écrire S barré.
La métaphore de l’amour opère un déplacement. Là où il y avait a, s’inscrit S barré. S’ouvre alors la voix / voie du mythe de Diotime – qui n’est pas une convive mais une femme qui se glisse dans Le Banquet, évoquée par Socrate. Au moment même où s’atteignent, avec Diotime, les réalités supérieures de l’amour, arrive Alcibiade, qui raconte sa fascination pour Socrate et quelques attouchements suspects avec lui. Qu’y a-t-il donc de si aimable chez Socrate ? À l’intérieur de cette enveloppe laide, il semble y avoir, en lui, quelque chose de précieux et c’est ça qui a attiré Alcibiade.
Cette enveloppe terrible d’adolescent « au grand corps osseux et comme maladroit qui grandissait encore et de qui la voix, très accentuée en ardennais, presque patoisante, avait ces hauts et ces bas de mue », disait Verlaine de Rimbaud. Il poursuivait, « Ce n’était ni le Diable ni le bon Dieu, c’était Arthur Rimbaud. » Mais, c’est aussi Rimbaud, en se présentant avec son « Bateau ivre » au Cercle des poètes, qui avait en lui cette chose précieuse du poète, aux yeux de Verlaine, alors poussé dans sa position d’érastès. C’est davantage une sorte de protecteur que Rimbaud avait cherché en Verlaine. On pourrait dire qu’il s’est servi de lui. Il lui avait envoyé ses premiers poèmes : « Les effarés », « Accroupissements », « Les douaniers », bref cinq poésies. Verlaine lui répondant : « Venez, chère grande âme, on vous appelle, on vous attend. »
Verlaine dans l’attente et Rimbaud dans l’instant
Verlaine était alors apparu comme l’éroménos, dans l’attente. Quand il appelle Rimbaud, à Paris, le 20 septembre 1872, celui-ci lui demande de trouver une solution pour son logement et de lui apporter une solution à ce double problème : vivre à Paris quand on est sans ressources et pouvoir se consacrer à l’activité de sa pensée, qui devrait prendre la forme d’un grand poème, celui dont il rêva, et sur lequel il se mit au travail. Il est clair que même si Rimbaud a de l’admiration pour Verlaine, il n’attend de lui qu’une protection, c’est son côté terrible d’un sans-cœur. Verlaine, lui, se situe bien autrement, comme désirant. Il le désire déjà, ce Rimbaud, car c’est bien lui le sentimental.
Avant de partir à Paris, Rimbaud lit son « Bateau ivre » à Delahaye. « J'ai fait cela, dit-il, pour présenter aux gens de Paris » Comme je lui prédis alors qu'il va éclipser les plus grands noms, il reste mélancolique et préoccupé : « Qu'est-ce que je vais faire là-bas ?... Je ne sais pas me tenir, je ne sais pas parler… Oh ! pour la pensée je ne crains personne. » [22] « C’est un génie qui se lève », s’entend-il dire, lorsqu’il lit son poème au Cercle des poétes, à Paris. Dès lors, il devint pour Verlaine celui qui avait en lui cet agalma, l’attirant définitivement, jusqu’au point de vouloir quitter sa femme Mathilde pour son amant.
Rimbaud était tout à fait indifférent aux soucis conjugaux de son compagnon, il vivait d’abord pour lui-même, sans avoir besoin de l’autre pour mener sa vie dans l'intensité. Car si le sans-cœur était agacé par le cœur de l’autre, il avait la ressource, et comme le privilège, d’atteindre la plénitude sans avoir besoin de Verlaine. (127) La sensibilité propre de Rimbaud fait qu’il vit dans l'intensité de l’instant, dans cette sensation qui, dès 1870, était le sujet d'un poème. (130) Il faut relire l’ensemble des poèmes datés de mai 1872 pour comprendre qu’ils expriment la solitude absolue et que Verlaine n’y a pas la moindre place.
Le couple Verlaine Rimbaud
Dans leur couple, Verlaine apparaît comme un élément faible qui a besoin d’être aimé, d’être protégé par l’amour de l’autre. Il occupe la position de l’aimant demandant l’amour en retour. Il se place dans la situation du petit garçon, tout en se rendant compte de ce que cela peut comporter d’exaspérant pour son partenaire. Il promet à Rimbaud de ne plus l’emmieller avec ses petitgarçonnades, il va jusqu’à y jouer la soumission
Les silènes de l’Antiquité étaient de petites figurines fendues en leur milieu que l’on pouvait ouvrir. Fermées, elles représentaient un joueur de flûte grotesque, ouvertes, elles montraient la figure d’une divinité. C’est cette image qu’utilise Alcibiade, dans Le Banquet de Platon, pour faire l’éloge de Socrate, si laid à l’extérieur mais renfermant à l’intérieur de sublimes richesses. Il y a, en Socrate, de sublimes richesses, quelque chose de précieux, et cependant, ce n’est rien de précis. La substance de cet objet n’est pas vue mais apparaît voilée, comme une sorte de secret, détenu par Socrate, qui allume le désir d’Alcibiade.
C’est du fameux « Bateau ivre » de Rimbaud qu’émerge l’objet agalmatique. Alors s’allume le désir en Verlaine. Rimbaud en a joué au point d’en faire Une saison en enfer, voire son jouet. Cela surgit quand quelque chose se fabrique, à partir du sujet barré, et se forme du manque-à-être. C’est ce que Jacques-Alain Miller nomme « la seconde métaphore de l’amour », métaphore qui fait que, à partir du manque-à-être du sujet, se forme quelque chose qui peut le faire éroménos. Ce manque-à-être s’illustrait dans l’ennui de Rimbaud, dans sa ville, qu’il haïssait tant, et qui ne le lui a d’ailleurs jamais pardonné. C’est ce quelque chose qui a motivé sa fugue, comme recherche de quelque chose de refusé de partout. C’est aussi cette quête, de la chose poétique, qui l’a poussé en avant et en marche. Et c’est là qu’il y rencontra sa position d’être l’éroménos, enfin l’aimé, là où il n’avait jamais ressenti cette position dans le désir de sa mère, cette bouche d’ombre éteignant toute étincelle de désir. Éroménos / érastès ; a/ S barré. Là où il y avait du manque, là où il y avait du désir, là où il y avait le sujet barré, c’est précisément là que se forme ce qui le fait aimable.
Ainsi Rimbaud passa-t-il des Déserts de l’amour au Nouvel amour.
Si Diotime, avec le mythe de la naissance de l’amour, prend toute la théorie de l’amour dans le registre de l’avoir, dans la partie finale du Banquet, il y a un changement de discours, une inversion. « Le terme de la visée n’est pas au niveau de l’avoir mais de l’être. Il s’agit d’une transformation, d’un devenir du sujet. » [23] Cela s’oppose à tout ce dont il s’agissait de cet objet comme quelque chose qu’on a. L’objet, lui-même, se révèle comme une transformation du manque du sujet. Jacques-Alain Miller montre que, pour Socrate, ce serait une chute que devenir l’aimé. Ce manque, incarné par Socrate, est résumé par la phrase : « Plus il désire, plus il devient lui-même désirable. C’est dans cette phrase que je vois ce qui n’est pas développé du secret de Socrate, qui est précisément qu’il s’est, en quelque sorte, lui-même, identifié à son propre sujet. Ce qui fait de lui, en effet, un désirant, quelqu’un qui est habité par le désir de savoir. Et c’est précisément cette intensité du désir qui lui donne comme l’apparence de quelqu’un qui a ce dont l’autre manque. Le paradoxe est bien visible : Socrate [osons ici Rimbaud] est l’érastès, mais il refuse d’être l’éroménos, quelqu’un de digne d’être aimé. » [24] C’est ce que lui reprochera Verlaine. En refusant d’être l’aimé, Rimbaud ira jusqu’à la maltraitance de Verlaine puis le quittera. Le coup de feu en est la conséquence, l’ultime tentative de Verlaine de le retenir et de le garder auprès de lui.
Le paradoxe de la relation Verlaine-Rimbaud à la lumière de Platon
Lacan relève bien que Socrate [Rimbaud] a su se montrer tant et plus l’érastès d’Alcibiade [Verlaine]. Il a bien montré qu’il appréciait Alcibiade et qu’il avait quelque chose pour lui. D’autre part, il se trouve qu’Alcibiade, fasciné par le désir de Socrate, par rien d’autre que par son désir, en a fait son éroménos. Alcibiade croit l’aimer. C’est là le paradoxe de la position de Socrate, dont on peut dire qu’il ne s’éclaire qu’après coup par la psychanalyse. Tout en n’ayant pas caché en quel sens il était l’érastès d’Alcibiade, et alors même qu’il est son éroménos, Socrate / Rimbaud se refuse à être cet éroménos. Socrate se refuse à être désirable, il se refuse à être ce qui est digne d’être aimé, c’est à dire qu’il y refuse son consentement. C’est là que Lacan note qu’il n’y a rien en lui d’aimable : son essence est de l’ordre du vide, du creux. Socrate est celui qui sait que c’est à partir de ce qu’il présente de vide, à partir de ce qu’il n’a pas, que surgit cette apparence qui fait miroiter au regard d’Alcibiade / Verlaine ces agalmata. Il se présente comme celui qui n’a pas, comme un vide. C’est aussi la position du psychanalyste, qui plutôt que de se prendre pour l’objet aimé, même si c’est ça qu’il a suscité, incarne cette position de vide.
« Socrate sait qu’il ne détient que la signification qu’il engendre à retenir ce rien. Socrate il n’y a rien en lui qui soit aimable, son essence est ce vide, ce creux ». Retenir ce rien est quelque chose d’autre que simplement un sujet barré. Retenir ce rien qualifie la position de l’analyste, c’est un S barré entre parenthèses. L’analyste est dans cette position, on ne sait pas où il est. Il ne dit pas oui, il n’est pas représenté par le signifiant, il est juste là pour engendrer la signification de savoir. C’est ce qui s’appelle le désir de l’analyste. Socrate le dit très bien à Alcibiade, tu te trompes, car c’est celui-là que tu aimes, c’est Agathon, ce n’est pas moi. Comme Rimbaud ne cessera de dire à Verlaine qu’il se trompe, c’est Mathilde, sa femme qu’il aime. C’est là où l’on voit, par ce signe, que l’on change de discours, ça produit d’autant plus d’amour en Alcibiade pour Socrate, autant qu’en Verlaine pour Rimbaud. Lacan y voit le premier pas de la psychanalyse. Et c’est pour ça qu’il cite la poésie de Rimbaud : « l’amour est le signe qu’on change de discours ».
L’amour est le signe qu’on change de discours.
S’agissant de discours, dans la théorie des quatre discours Jacques Lacan, le discours du maître s’éclaire par régression du discours de l’hystérique. Et le discours de l’hystérique s’éclaire par son progrès vers le discours de l’analyste. Les mots régression et progrès [25] mettent en relief un quart de tour topologique des places. On pourrait dire qu’il s’appuie sur la poésie de Rimbaud, pour illustrer ce quart de tour, car il met lui aussi en évidence, à partir de détourner et de retourner, à la fois un progrès, mais aussi une régression. C’est à partir de ces catégories-là, celles du discours, et à partir de la poésie, illustrée par la tête se détourne, la tête se retourne, qu’il met en évidence le surgissement de ce que peut être le discours de l’analyste. Le discours de l’analyste, c’est le surgissement du discours lorsque vous parlez à partir de l’objet qui cause votre désir. C’est pour ça qu’il vaut mieux que le psychanalyste ne vienne pas se mettre lui-même à la place de l’objet aimé, comme Socrate / Rimbaud aurait pu le faire. S’il avait dit oui à Alcibiade / Verlaine, je suis ton objet aimé, il n’aurait pas pu écrire son « À une raison » et ainsi changer de discours pour faire surgir ce nouvel amour.
Le pas de Freud soit l’offre à Dora que sa tête se retourne
Le passage par régression du discours de l’hystérie au discours du maître (discours de l’inconscient) est un signe d’amour. Ainsi le premier pas de la psychanalyse, est la manœuvre faite par Freud, dans le cas Dora, quand celle-ci le met au pied du mur en lui disant : Et maintenant que je vous ai dit ce qui ne va pas ; que voulez-vous que j’y fasse ? Freud semble lui donner raison en notant il suffit de retourner ses reproches contre la personne qui les énonce. C’est-à-dire qu’il lui dit : mais regardez la propre part du désordre amoureux que vous dénoncez, regardez la propre part que vous y prenez. Freud lui propose un retournement, il lui propose de changer de discours. Plutôt que d’être dans le discours de l’hystérie qui dénonçait le maître ou l’autre comme un imposteur ou comme un séducteur : Regarde la propre part que tu prends toi-même à être partie prenante de l’opération. Dora reconnaît qu’en effet elle a tout fait pour que Madame K et son père se retrouvent. Elle a favorisé leurs rencontres. C’est ça que Lacan appellera « la rectification subjective chez Dora ».
C’est ce qui permet à Dora de se reconnaître comme désirante. Je suis donc désirante de ce dont je me plains. Mon désir est engagé. Là où je me plaignais d’être lésée tout en étant l’aimée et désirée par monsieur K, je dois maintenant examiner comment c’est moi qui suis désirante dans cette opération. Et c’est là où le transfert est opérant, là où surgit l’amour grâce au désir de l’analyste. Elle passe d’un déplacement, d’un retournement : sa tête se détourne, voire sa tête se retourne dirait Rimbaud… On peut utiliser le discours de l’hystérique justement pour que le sujet produise un savoir, voire un ça-voire, puisque c’est son invention, mais l’amener, jusqu’au point au-delà de l’impuissance, où il rencontre un impossible, et c’est ça ce court moment de rectification subjective, ce premier pas dans l’histoire de la psychanalyse où Dora va pouvoir saisir les signifiants qui l’ont déterminée, c’est-à-dire retrouver sa raison au-delà de l’irraisonnable qu’elle dénonçait. Elle peut enfin dire qu’elle a tout fait pour que son père rencontre madame K. C’est en tout cas ce qu’elle lui a donné à voir.
Le nouvel amour
Le sujet devient l’aimant d’un savoir, un savoir que l’analyste incarne en tant que désirant, désirant autre chose qu’un objet, c’est-à-dire que l’analyste désire au-delà de l’objet qu’il peut représenter pour l’analysant ou l’analysante. C’est ça qui permet de faire saisir comment à la fois en prenant appui sur la poésie de Rimbaud, on peut saisir Le nouvel amour qui peut surgir comme ça, dans le temps de la rencontre du réel, au moment de l’adolescence, par exemple, mais aussi dans l’analyse.
C’est ainsi que peut s’entendre ce Dit de Lacan, dans son Séminaire L’Angoisse : « Seul l’amour est ce qui permet à la jouissance de condescendre au désir », seul l’amour offre de passer de la jouissance, (souffrance ou symptôme) au désir. C’est ce que met en œuvre la cure analytique. Avec son offre, la psychanalyse permet à la demande du sujet d’ainsi donner naissance à un nouvel amour. Cette demande est supportée et mise en acte par le transfert qui se révèle aussi être un autre nom de l’amour. C’est là où dans ce pari d’une conversation éclairée et asymétrique se joue un changement de discours opérant, quand le sujet passe du discours hystérique, favorisé par la cure, et l’acte opératoire de l’analyste, au discours de l’analyste. Freud d’ailleurs ne comparait-il pas l’analyste à un chirurgien, qui avec l’opération de sa coupure sait extraire l’en-trop de jouis-sens du mot / maux / motérialisme.
C’est bien alors à la table des mots que se dénonce la position d’aimé, ou de mal aimé. Il y rencontre dans son assiette subjective une mutation comme signe du nouvel amour, si cher au poète et que Lacan remarqua. C’est là où la psychanalyse offre une issue aux impasses imaginaires de l’amour qui conduisent certains à rencontrer des analystes.
[1] Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, 1972/1973, Éditions Seuil, 1975, p 20/21.
Rimbaud A., Illuminations, « À une raison », Œuvre-vie, Édition du centenaire, établie par A. Borer, Arléa, 1991, p. 339.
[2] Rimbaud A., Illuminations, « À une raison », Œuvre-vie, Édition du centenaire, établie par A. Borer, Arléa, 1991, p. 339.
[3] Badiou A., Éloge de l’amour, Éditions, Flammarion, Café Voltaire, 2009.
[4] Thomas H., Ai-je une patrie, Éditions Gallimard, 1991.
[5] Rimbaud, A., “Vagabonds”, op. cit., p. 349.
[6] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, 1971/1972, Éditions du Seuil, 2011, p. 137.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, 1960-1961, Éditions du Seuil, 2001.
[8] Miller J.-A., « Les deux métaphores de l’amour », in Revue de l’ECF, n° 18, Juin 1991, p. 217-222.
[9] Rimbaud A., Illuminations, « À une raison », op. cit., p. 339.
[10] Sollers Ph., Illuminations, p. 25.
[11] Ibid., p. 453.
[12] Sollers Ph., op. cit., p. 27.
[13] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, op. cit., p. 12.
[14] Rimbaud A., Délires II, op. cit., pp. 433-434.
[15] Sollers Ph., op. cit., p. 31.
[16] Badiou A., op. cit., p. 23-24.
[17] Guyonnet D., « Amour et jouissance », in Les Nœuds de l’amour, enseignement sous la direction de P. Prost, 2010-2011, supplément de La Lettre mensuelle, ECF, 2011, p. 61.
[18] Lacan J., Le Séminaire, Le transfert, livre VIII, Le Transfert, 1960-1961, Éditions du Seuil, 2001.
[19] Luchelli J.-P., « Amour et changement de discours », in Les Nœuds de l’amour, op. cit., p. 96.
[20] Miller J.-A., « Les deux métaphores de l’amour », in Revue de l’ECF, n° 18, 1991, p. 218.
[21] Ibid., p. 219.
[22] Brunel P., Ce sans-cœur de Rimbaud, op. cit., p. 114.
[23] Miller J.-A., op. cit., p. 220.
[24] Miller J.-A., op. cit., p. 219.
[25] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 21.
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