L’actualité nous le démontre encore, le harcèlement peut mener au pire. Quelque soit le cadre dans lequel celui qui le subit le rencontre, en milieu scolaire, professionnel, sportif, amical, familial ou amoureux… il s’agit toujours d’une rencontre ayant valeur d’insupportable. Dan Olweus en définit les trois composantes : l’agression, la répétition et le déséquilibre des forces. [1] Il provoque angoisse, face à une haine ordinaire, et isolement, seule réponse possible parfois pour certains, pouvant aussi les mener jusqu’à l’acte radical. « Les mots tuent » [2] écrivait Marion avant de se suicider. Si l’insulte peut avoir le dernier mot, nous faisons le pari d’en faire le premier mot d’une conversation inter-disciplinaire dans laquelle il s’agira d’y mettre du sien, voire du CIEN.
PdC[3] – En 2013, Nora Fraisse[4] a écrit un livre bouleversant dans lequel elle racontait l’histoire de sa fille Marion, âgée de treize ans. C’est après avoir été insultée puis harcelée par ses camarades de classe qu’elle a posé cet acte irréversible. Son récit a vivement interpellé le public, les médias et les politiques sur la question du harcèlement scolaire. Lucas, treize ans, avait, lui aussi, exprimé vouloir mettre fin à ses jours. Il était harcelé en raison de son homosexualité et s’est suicidé, il y a quelques jours.
Philippe Lacadée – Pour saisir ce phénomène, il me semble important de bien situer ce qui se joue, voire se jouit, dans l’usage qui se fait de l’insulte de nos jours, dans le sens où elle semble avoir perdu sa dimension de début de la poésie, comme disait Lacan. Aujourd’hui, les médias en témoignent, elle relève souvent plus d’une volonté de détruire l’autre. Détruire l’autre en l’humiliant, souvent publiquement, puis en vociférant ; comme si la face haineuse avait pris le dessus.
PdC – Détruire l’autre ?
PL – Oui. Le maniement de la langue ne sert parfois plus à jouer des semblants mais à être branchés sur le réel du corps et de la jouissance. Cette langue, alors chargée de mots très crus, implique que tout éprouvé doive être immédiatement énoncé au nom de l’authenticité. Ce que j’ai ailleurs proposé de nommer la langue de l’authenti-cité [5]. La grande tension verbale, qui anime certains, provient de leur difficulté à saisir la parole de l’Autre. Elle serait, pour eux, teintée de menace, on voudrait les embrouiller. De la langue de l’Autre devenue brouillée, indéchiffrable, il leur faut se défendre, avec la leur. Leurs inventions langagières servent alors de refuge.
PdC – Pourrions-nous dire que nous vivons l’actualité d’un passage, d’un tu es cela à tuer cela ?
PL – Oui, un tu es cela à tuer cela que tu es, voire que je hais. Attaquant la racine même de la langue, l’insulte nécessite des inventions, en raison du danger qu’elle fait courir au dialogue. Car elle prétend réduire l’autre à néant ou à un tu es cela. Si Lacan dit de l’insulte qu’elle est au dialogue « le premier mot comme le dernier » [6], il invite cependant à engager le dialogue là où le chaos risque de suivre la violence qu’elle a produite. Ce, d’autant que, dit-il, « le départ, n’est-ce pas, de la grande poésie, [...] ce rapport fondamental qui s’établit par le langage et qu’il faut tout de même ne pas méconnaître : c’est l’insulte ».[7]
PdC – En parlant d’invention, le réalisateur Olivier Lallart intervient souvent en milieu scolaire pour former les collégiens et les lycéens aux métiers du cinéma. Il a réalisé un court-métrage, intitulé PD, qui met en scène et dénonce l’homophobie en milieu scolaire. Il a rencontré un succès inattendu, avec 1,5 million de visionnages en trois semaines à sa sortie. En passe de devenir un phénomène, l'Éducation nationale a même réfléchi à le diffuser en milieu scolaire dans la mesure où il dénonce l’homophobie en milieu scolaire. Deux lettres synonymes d’insulte, de rejet et de discrimination. Il expliquait au micro d’Europe 1 : « J’entendais souvent ce mot, un peu lâché comme ça, à tort et à travers dans les conversations des jeunes ». « Pour eux, ce n'était pas forcément homophobe mais une insulte tendance. Et je voulais justement alerter sur ce mot…, parce qu’il peut blesser. »
PL – Souvent, « au lieu où l’objet indicible est rejeté dans le réel, un mot se fait entendre ».[8] Il surgit dans l’urgence, à la place de ce qui n’a pas de nom. Ne suivant pas l’intention du sujet, il se détache de lui sur le mode de la réplique. En maniant la provocation, en insultant, des adolescents font un usage sexué de l’insulte pour capitonner et voiler le trou dans la langue et se défendre de l’énigme de la sexualité.
PdC – Autre invention, face au harcèlement scolaire, des Bordelaises, Marilou & Karavane, « disent non au harcèlement ». Elles font le pari de l’humour contre ce qu’elles nomment le fléau des cours de récréation. C’est l’idée originale de l’association Inside out. Il s’agit d’un spectacle à la fois drôle et sérieux qui traite du harcèlement scolaire et de ses conséquences sur les enfants. Lors de la représentation qu’en a proposé la mairie de Gujan-Mestras, les enfants ont pu témoigner du fait que ce spectacle leur avait parlé en ce qu’il leur évoquait des situations qu’ils rencontrent à l’école. Ils ont été très attentifs et l’ont aprécié. Le public présent, enfants, parents et représentants d’institutions, a pu écouter votre conférence, Philippe Lacadée, sur cette question et l’intervention de Barbara Rean, psychologue, à l’initiative et organisatrice de cet événement, puis s’est engagé une conversation. Si La solution manque, pour y répondre, vous avez une nouvelle fois, à cette occasion, fait valoir, que lorsque le verbe se pétrife dans l’insulte, il est nécessaire d’en rétablir le malentendu comme issue possible. Insulte, invention, malentendu… Pouvons-nous dire que certains jeunes en choisissant le biais de l’écriture de chansons, par exemple, rétablissent le malentendu ?
PL – Oui, en effet, la poésie aussi, par exemple. De nombreux adolescents, dans une situation d’urgence subjective, en raison d’une précarité symbolique liée à ce que Lacan nomma le déclin de l’imago du père, puis la forclusion du Nom-du-Père, ou aussi l’époque de la cicatrice de l’évaporation du père, se vivent souvent comme des êtres humiliés, notamment parce qu’ils ne disposent pas du « secours d’un discours établi », d’où soutenir le sentiment d’exister pour l’Autre. Mais, Lacan y voyait aussi la montée d’une ségrégation ramifiée, renforcée, se recoupant à tous les niveaux. Ce sentiment vécu d’être mis à l’écart, souvent de se sentir humilié, fait que, parfois de façon vive, l’énoncé venu de l’Autre peut devenir dégradant et les précipiter vers l’issue en impasse de l’insulte, comme processus de défense.
PdC – Une émission sur France Inter avait pour thème « Quand la parole est toxique ». Monique Atlan et Roger-Pol Droit y parlaient de leur livre intitulé Quand la parole détruit. Ils s’étonnaient d’un équilibre rompu, d’une parole à double face, une qui élabore, construit, répare, console et une qui insulte, menace, détruit, et qui « devient toxique ». Ils disaient avoir du mal à comprendre pourquoi la haine s’intensifiait au moment même où la parole se libérait. N'y a-t-il pas là un certain malentendu ? Pourrait-on dire que libérer la parole multiplie aussi le malentendu ? Il s’agirait alors moins de libérer la parole que d’apprendre à savoir-y-faire avec le malentendu? Car l’insulte ne surgit-elle pas de l’insupportable, de l’impossible à dire, du hors-sens, dont nous ne pourrons jamais faire l’économie ?
PL – Oui, je les ai écoutés aussi. Ils font référence au linguiste Alain Bentolila qui expliquait ce phénomène par l’insécurité linguistique. Un article dans Le Monde avait fait sensation. Il disait que les jeunes de banlieue n’avaient que six cents mots et que c’était pour cela que la violence était si prégnante en banlieue. À l’époque, c’était aussi les débuts du CIEN, et je faisais des conversations dans le collège Pierre Sémard à Bobigny, avec le principal Joseph Rosseto. Nous avions, nous, parlé d’insécurité langagière. La question du déficit de mots pouvait faire croire en une solution de perfusions de mots, voire des pères fusions de mots, allant jusqu’à supprimer les allocations familiales pour que les parents soient culpabilisés. Il y avait ce risque d’une dérive quand Bentolila avait fait alliance avec le ministre de l’Éducation nationale.
Il s’agit de saisir que tout n’est pas langage et qu’il y a un réel impossible à dire. Donc, c’est dangereux de faire croire que seule la parole pourra tout résoudre. Il s’agit, par contre, de prendre la mesure de cet impossible qui est justement à l’origine de cette pseudo solution de la provocation langagière qu’est l’insulte. C’est bien là où le texte de Lacan « L’agressivité en psychanalyse » [9] est important, car il y fait la différence entre l’intention agressive et la tendance à l’agression. La solution à l’intention agressive peut être une convention de dialogue, alors que la tendance à l’agression n’est pas dialectisable car, là, il s’agit de la mise en évidence de la pulsion de mort. On entre, alors, dans le domaine de la violence.
À mon avis, du fait de la modification de nos discours contemporains et de la disparition du refoulement, c’est bien ce réel de la pulsion de mort qui est plus prégnant, et c’est bien là que, la parole n’ayant plus que cette face, devient toxique. Récemment, je faisais une conversation dans une classe de quatrième et les élèves m’ont dit : « Mais, vous savez monsieur, l’amour est toxique ! » Ils ont du mal à savoir-y-faire avec l’amour, avec la différence des sexes aussi. Le travail des laboratoires du CIEN permet d’engager un pas de côté.
PdC – Joseph Rosseto, vous avez fait entendre dans votre travail, en tant que principal au collège Pierre Sémard à Bobigny, un certain mauvais usage de la colère ?
Joseph Rosseto – Oui, la crise de colère de Lucie, à l’époque, par exemple ! Elle avait été déclenchée par le « Sors ! » énoncé par son professeur. Elle m’avait précisé lorsque je l’avais reçue dans l’après-coup : « Elle m’a traitée comme un chien ».[10] C’est le ton de la voix qui avait fait que Lucie s’entendait penser dans sa tête tu es un chien, s’entendant être réduite à Tu es cela : un chien. Comme nous l’avons appris lors de nos conversations dans le cadre du CIEN, ce n’est pas une hallucination auditive. La façon de dire « Sors ! » contenait une prédication possible sur l’être de l’élève qui, au lieu de l’entendre dans le symbolique. Ce « Sors ! », Lucie l’a vécu dans le réel comme une insulte qui vise son être.
Certains adolescents cherchent à faire surgir de l’Autre leur nom d’insulté pour pouvoir, de façon inversée, en jouir. Ces adolescents du réel [11], en raison d’une précarité symbolique, ne sont pas à l’abri de leur nom d’insulte par leur nom propre, ou par leur Nom-du-Père. L’insulte s’entend alors comme venant du réel, à la place du signifiant du Nom-du-Père. Pour eux, « c’est souvent un trou qui parle, et qui du coup a des effets sur le tout du signifiant ».[12] Comme le dit Lacan, « un trou [...] n’a pas besoin d’être ineffable pour être panique » [13], panique dès lors à traiter sur fond d’urgence, parce qu’elle est engendrée par le déchaînement du signifiant qui tout seul se met à injurier.
PdC – Je vous propose d’inviter, dans cette conversation, le linguiste Émile Benveniste !
Émile Benveniste [14] – Oui, merci. J’ai effectivement mon mot à dire sur l’insulte et l’injure. Dans mon texte « La blasphémie et l'euphémie » [15], j’ai précisé qu’au fondement de la parole gît cette dimension de l’insulte et de son synonyme le juron et je propose d’associer ces deux termes que l’on n’a pas l’habitude d’étudier ensemble. La blasphémie est un procès de parole qui consiste à remplacer le nom de Dieu par son outrage. C’est une exclamation qui n’utilise que des formes signifiantes pour profaner le nom même de Dieu, car tout ce qu’on possède de Dieu, c’est son nom. En prononçant son nom, on peut l’émouvoir ou le blesser, voire de façon paradoxale le faire exister. La forme de base est « nom de Dieu ! », soit l’expression même de l’interdit [16]. C’est un propos déplacé et outrageant pour une personne ou une chose considérée comme sacrée, le blasphème est donc une parole qui outrage proprement le tabou linguistique, un certain mot ou nom ne doit pas passer par la bouche par pure articulation vocale qui violente le verbe. Il est retranché du registre de la langue, effacé de son usage.
PdC – Le blasphème ou le juron ne seraient donc pas étrangers à une dimension du sujet ?
EB – Nous pouvons reprendre ici les points que j’ai dégagés dans mon texte. [17] Le juron est bien une parole, qu’on laisse échapper sous la pression d’un sentiment brusque ou violent ; à l’opposé, la formule prononcée en blasphème ne se réfère à aucune situation objective ; le juron n’exprime que l’intensité d’une réaction à ces circonstances ; il ne se réfère pas à un partenaire ni à une tierce personne, il ne transmet aucun message ; il ne décrit pas celui qui l’émet ; il échappe à celui qui le profère. Selon moi, la blasphémie suscite l’euphémie. On peut repérer la création de formes de non-sens à la place des expressions blasphémiques, comme « nom d’une pipe », « parbleu » ou encore « jarnibleu ».
PL – Justement, c’est ce principe que nous avons introduit dans les conversations menées avec les adolescents, dans des lieux de soins comme l’hôpital de jour ou dans des collèges de banlieue, pour ouvrir une issue possible vers un dialogue. La blasphémie subsiste bien, mais masquée, voilée par l’euphémie qui, dans le maniement du semblant qu’elle offre, la dénude littéralement de sens. L’euphémie permet, par allusion, d’évoquer la profanation langagière, bien que les conséquences diffèrent beaucoup, pourtant, la fonction psychique se satisfait car il y a eu décharge, apaisement.
PdC – Quand vous aviez dit être pour une civilisation de l’insulte en lui rendant toute sa dignité, était-ce une provocation, cher Philippe ?
PL – L’insulte ne se situe pas dans la dimension de l’Autre, mais dans le fait qu’un signifiant surgit dans le réel en dehors de la chaîne symbolique, comme si quelque chose se déchaînait pour le sujet lui-même.
PdC – Jacques-Alain Miller définit l’insulte comme « l’effort suprême du signifiant pour dire ce qu’est l’autre comme objet a, pour le cerner dans son être en tant que justement cet être échappe au sujet. Il essaye de l’obtenir par une flèche ».[18]
PL – Ceux que j’ai nommés les adolescents du réel sont peut-être ceux qui incarnent cet objet indicible comme rejeté à la marge de l’Autre. Ils sont vite persécutés par les mots de l’autre, il suffit de s’adresser à eux pour déclencher leur sensibilité d’écorchés vifs. Ils peuvent présenter des psychoses ordinaires et se trouver en difficultés scolaires et sociales. Comme êtres humiliés, ils peuvent se laisser prendre par un type de discours qui établit un nouvel être et, partant de cette nouvelle conjonction, avoir le sentiment d’être enfin respectés et accueillis par un Dieu obscur, les aveuglant au point d’y sacrifier leur vie, ou celles d’autres qui déjà n’existent plus comme semblables.
PdC – Revenons alors au livre de Nora Fraisse lorsque qu’elle met en évidence la voie de la méchanceté. Héléne Bonnaud [19], je me souviens de votre texte publié dans Lacan Quotidien, pourriez-vous nous en dire un mot ?
Hélène Bonnaud – Avec plaisir, il y a toujours eu des boucs émissaires, des enfants qui subissaient la méchanceté de certains élèves et souffraient en silence d’humiliations répétées.
PL – C’est aussi ce que nous démontre le livre Les Désarrois de l’élève Törless [20], de Robert Musil.
HB – Justement, ces conduites ont toujours existé, dans le monde scolaire où, plus qu’ailleurs, se vérifie la violence entre pairs, fondée sur la jouissance à humilier, insulter, piétiner celui qu’on prend pour victime. Et l’on sait, quand on est psychanalyste, quel impact cela a dans le devenir de ces sujets qui, au cours de leur analyse, témoignent de ces moments où ils ont été le souffre-douleur des uns, la risée des autres, le corps étant souvent l’enjeu de ces moqueries, de ces humiliations. En effet, toute différence, toute marque de particularité sur le corps peut prendre une valeur négative et, tout à coup, virer à l’insulte ou à l’humiliation, « le gros », « le rouquin », « le petit », « le frisé », etc.
PdC – Oui mais, de nos jours, la voie de la persécution et de la volonté d’humiliation semble avoir pris de l’ampleur, sûrement en conséquence de l’irresponsabilité de certains discours politiques, mais aussi des médias qui s’en font les complices, pour faire le buzz. Comme on l’a vu récemment dans l’émission de Cyril Hanouna…
HB – Aujourd’hui, il semble que ce phénomène ait pris une autre ampleur, oui, touchant non pas seulement aux attributs du corps, mais à la dégradation du sujet. Les insultes ne veulent pas seulement rabaisser le sujet au corps qu’il a, mais cherchent à anéantir le sujet en tant qu’être, Philippe le disait. Elles ne touchent plus un défaut du corps, mais l’attrapent par ce qui fait le réel de chacun, le sexe, l’origine, la mort. Dans ce contexte, le signifiant victime ne peut que se nouer à celui de persécution. En effet, lorsque dans un groupe, surgissent ces comportements qui consistent à toucher à l’être d’un sujet, en le rabaissant, en l’insultant, en le dégradant, on a affaire à ce qu’on appelle une persécution. Une persécution est un type d’oppression consistant à appliquer à une personne ou un groupe de personnes des mesures ou des traitements injustes, violents ou cruels pour des raisons d’ordre idéologique, politique, religieux ou encore racial.
PL – On l’entend dans Nique ta race et les insultes sexuées laissant entendre que traiter les filles de fille ou les garçons de PD, relèvent de la haine de la jouissance supposée Autre, ou non normée, selon des codes qui ne tiennent plus, puisque les discours ont évolué, voire radicalement changé. Il faut donc y ajouter des raisons d’ordre haineux.
HB – En effet, la haine pure n’a pas besoin de porter sur une différence établie, mais sur une jouissance supposée être Autre. Elle se fonde sur un désir de mort dans le sens où la haine touche à l’être, pour le viser. Elle en fait sa cible et lui décroche des flèches. Par exemple, « T’as vu je l’ai bien eu ce connard je l’ai atteint en plein cœur ! » Elle veut détruire. Elle veut tuer. C’est le terrible message que laisse Marion, treize ans, dans sa lettre, avant de se suicider. Elle le dit clairement, sa mère le reprend : « les mots tuent ». La psychanalyse le dit aussi. Elle a un savoir sur la puissance des mots, la puissance de destruction des mots. Elle enseigne que tout ce qui se dit, qui touche l’être d’un sujet, enfant ou adulte, qui cherche à l’anéantir, peut entraîner de graves dégâts, et même le pousser au pire. Il y a, dans le harcèlement, quelque chose qui met en jeu cette haine qui s’adresse à l’être. Et la question reste de savoir comment prévenir ce flot de jouissance qui cherche à atteindre l’objet a de celui qui le subit. Atteindre l’objet a d’un sujet, c’est là le but de la haine, le réduire à un déchet, à un pur objet de rejet.
PdC – Aujourd’hui, le harcèlement scolaire ne se limite plus à la cour de récréation, il passe également sur les réseaux sociaux. Le harcèlement consiste à faire circuler des images de la victime, à les commenter et aussi à l’insulter, l’humilier, se moquer d’elle en le partageant avec d’autres via facebook ou d’autres réseaux.
HB – Cela fait enfler la rumeur, provoquant l’onde de rire qui, tel un écho, se dilate dans le petit monde des adolescents. Cela amplifie aussi l’impact psychologique pour celui qui le subit. Il n’y a plus alors de coupure entre la maison et l’école ou le collège, plus de protection liée aux lieux, plus de répit. Le harcèlement est partout, passe à travers tous les remparts d’autrefois. C’est pourquoi le mot de harcèlement est le plus propre à signifier le phénomène. Il constitue ainsi une sorte de piège qui fonctionne tout seul, véritable plaie d’une haine ordinaire, d’un message débile que Marion, comme on le lit dans le livre de sa mère, recevait la veille de sa mort, par SMS : « Va te pendre, il y aura une personne de moins demain ! ».
PdC – Alors on peut s’inquiéter de la fragilité de certains adolescents qui ne jouent pas le jeu de la victime et du bourreau...
HB – Le bizutage, une autre formule qui met en scène le bourreau et sa victime, en guise d’accueil dans ces lieux clos que sont les grandes écoles ou les universités, est interdit depuis 1998 et sa fonction de « rite de passage » est bien différente de ce qu’on rencontre dans le harcèlement scolaire. S’inquiéter d’une certaine fragilité à l’adolescence serait une dénégation de ce qu’est un adolescent !
PL – Comment savoir-y-faire dans les lieux scolaires ? En rajouter du côté d’un appel à la loi par les recours à la police ne semble pas être ce que l’on peut proposer de mieux. J’ai l’expérience du collège Henri Brisson. Le problème du cyberharcèlement ne relève pas vraiment que de l’Éducation nationale. C’est une problématique qui se situe entre les domaines privé et public. Si les élèves ne sont pas censés avoir de smartphones dans l’enceinte de l’école, c’est qu’il y a bien une tension sur laquelle il importe de porter toute son attention.
Principal du collège Henri Brisson – En conséquence, nous avions proposé dans ce collège, une intervention en trois temps, trois lieux et trois pratiques de conversation, d’abord avec les enseignants, puis avec les élèves et ensuite avec les parents. À partir de ces rencontres a eu lieu une conférence-conversation.
HB – C’est très important ce que vous avez mis en place. Malheureusement, le livre de Nora Fraisse montre à quel point la responsabilité et le soutien de l’Éducation nationale n’ont pas été au rendez-vous pour sa famille qui voulait savoir pourquoi Marion en était arrivée à mettre en acte les pousse-à-la mort dont elle était victime. C’est pourtant d’un trait de haine au quotidien dont il s’agit, haine passée sous silence par ceux qui l’entouraient, comme si, de facto, celui qui l’endure devrait en connaître la cause et s’en débrouiller. Ce qui a tué Marion, c’est ce silence des adultes sur ce harcèlement, silence qu’aujourd’hui sa mère accuse, mais c’est aussi un mauvais usage de facebook.
Freud – Il y a un siècle, en 1914, je m’interrogeais déjà sur ce qui déboussole « le comportement de l’enfant » à l’égard de ses professeurs. J’avais alors proposé de s’orienter de ce qui s’est passé dans « la chambre de l’enfant » [21] en précisant que ce n’est pas pour autant « qu’on ne saurait l’excuser non plus ». Je désignais ainsi un fragment de vie de chaque sujet lié à un lieu bien à lui. Dans sa chambre, l’enfant crée son espace, et dans ce fragment de vie, il appréhende son corps comme objet de jouissance, mais aussi, peut s’appréhender lui-même comme élément à part, vouloir s’isoler ou vivre son être comme objet rejeté. Comme d’autres y construiront une agréable solitude.
PdC – À l’aube du xxie siècle, la chambre de l’enfant, comme celle de Marion, a changé, envahie par les objets du capitalisme pulsionnel. [22]
Lacan – L’enfant peut ainsi, très tôt, avoir accès à ces objets gadgets [23] qui subvertissent ou annulent souvent la présence signifiante et désirante de l’Autre. J’avais écrit qu’ils « viennent à la place de ce qui nous manque dans le rapport de la connaissance ».
PL – Si certains enfants peuvent en être déboussolés, d’autres peuvent aussi de façon paradoxale trouver, dans l’usage de ces objets, une nouvelle boussole. Nous devons donc être plus particulièrement attentifs à l’usage que chacun en fait. La montée, sur la scène du monde, du droit à jouir comme on veut, amène certains, au-delà de toute culpabilité, à céder à l’impératif de jouissance du surmoi. Celui-ci vient faire régner, dans leur langue, qui ne s’articule plus à l’Autre, l’impératif de l’Un-tout-seul qui dit ce qu’il veut, quand il veut, et tout cela sans aucun refoulement, ni culpabilité. On entend alors une langue chargée de tension verbale et qui se veut à l’écart de la langue dite du sens commun vécue par eux comme trop surmoïque. On en aperçoit son envers, le nouvel empire de la jouissance, soit l’en-pire de la jouissance, qui au-delà de la différence sexuelle, donne à croire à ces sujets que l’on aurait aussi le droit de jouir du corps de l’autre. Cela illustre bien comment, pour certains, c’est le pousse-au-jouir de son corps, le se jouir dans le corps de la langue, qui leur fait paradoxalement oublier qu’ils ont un corps, celui qu’ils reçoivent justement de leur rapport à la langue articulée.
PdC – Mais alors que nous apprend la logique du suicide de Marion sur l’insulte et le harcèlement ?
PL – Le mercredi 13 février 2013 [24], Marion, treize ans, insultée sur facebook et sur son portable par des adolescents de sa classe, au lieu d’aller à son collège, et après avoir consulté sur Google le site « Comment se suicider ? », décide de se pendre au porte-manteau de sa chambre. C’est là que sa mère la découvre trop tard. Marion a laissé deux lettres sur son bureau. La première adressée au collège : élève de quatrième, elle y détaille ses souffrances, les humiliations, les insultes, parfois même subies en plein cours, et désigne ses bourreaux. « Ma vie a basculé, personne ne l’a compris. » Sur l’autre enveloppe, vide, elle a écrit : « Mes mille souvenirs avec vous. » Ils découvrent ensuite que, dès la sixième, Marion se faisait traiter de mongolo et d’autiste. En cinquième, un garçon lui avait adressé un sms : « Demain à l’arrêt de bus, t’es morte. »
PdC – Je me souviens avoir lu que l’auteur de ce message avait dit « Mais c’était pour rigoler », lorsque qu’il avait été convoqué par le professeur principal. Au collège, c’est la foire, bavardages, insultes, propos imposés par quelques fortes têtes.
PL – En cette année de quatrième, elle se plaint d’être traitée de balance, ou d’intello, quand elle ose demander le silence en classe. Puis, Marion tombe amoureuse d’un garçon. Elle ne se plaint plus de rien, même si elle reste la cible d’une petite bande de filles et d’un garçon, Alban, qu’elle a embrassé un jour, puis éconduit. Se rendant compte que Marion en aime un autre, il s’amuse avec une bande de copains à la traiter de pute, lui dit qu’elle est grosse. Pas de seins et trop sérieuse. À leurs yeux, elle est nulle, c’est une boloss. C’est dans sa chambre et sous sa couette qu’elle reçoit tout ça. À l’insu de ses parents, elle s’est créé son mur facebook. Surtout, prétextant la perte de son carnet de correspondance, elle en a obtenu un autre, qu’elle fait signer à ses parents, sur lequel elle s’octroie de superbes notes et un comportement exemplaire. Dans le vrai carnet, qu’elle signe elle-même, elle a de mauvaises notes et un comportement déplorable. Ce stratagème lui permet de ne pas perdre la face vis à vis des autres.
PdC – Je me souviens avoir lu que la veille du drame, Marion est prise à partie par la quasi-totalité de la classe, après avoir écrit, sur le mur d’une camarade, l’un de ces commentaires stupides qu’elle a si souvent lus sur le sien. Huées générales, Alban mène la danse, « Tu fais moins la fière, hein ? » Ils continuent dans les couloirs « On va t’arracher les yeux, te faire la peau ».
PL – Oui et c’est bien là que s’actualise violemment cette tendance à l’agression dans laquelle ses harceleurs vont tomber. Des toilettes, Marion appelle sa mère pour lui dire qu’elle ne se sent pas bien et qu’elle voudrait rentrer. Elle contacte ensuite celle qui lui a dit : « Si tu reviens au collège je te buterai. » Celle-ci la rassure mais continue à lui écrire : « Tu nous soûles à faire tes manières, tu te la pètes, tu te crois populaire, t’essayes de nous clasher et tu crois que tous les mecs te kiffent grave ». Elle appelle alors son petit ami qui lui dit qu’il « vaut mieux rompre pour que les autres ne te fassent pas d’histoires. » Le soir, elle s’effondre dans les bras de sa mère, et lui parle de sa rupture amoureuse. Elle passe sous silence les excuses qu’elle doit faire publiquement à Lila devant toute la classe. « Elle ne va pas avoir les couilles de venir » a balancé une fille. « Si elle se pointe, je vais la tuer ! »
PdC – Et c’est là que se joue ce qui au CIEN nous paraît important, le fait de ne pas mesurer la conséquence de tels propos. C’est ce que vous reprenez dans les conversations avec ces jeunes, qu’ils puissent s’entendre parler entre eux, leur faire mesurer le poids des mots, cette fameuse toxicité et aussi, peut-être, leur version de l’amour toxique du coup. Vous leur faites entendre le goût des mots et l’amour de la parole.
PL – Quand on apprend à Alban la mort de Marion, il dit : « C’est pas vrai, putain, faites pas chier je suis en train de jouer à la play. » Sur la page facebook ouverte par ses camarades, intitulée RIP (Rest in peace), les causes du suicide ne font aucun doute pour eux, et tous se rendent compte que cet usage de la langue injurieuse, désarticulée de l’autre, et de leurs objets gadgets les a déboussolés. « Ouais pire, ils font ça pour rigoler et aujourd’hui il pleure. »
PdC – Savoir-y-faire pour offrir un lieu d’adresse, savoir être le destinataire, en parlant avec ces jeunes, de ce qui leur paraît être en impasse, là où justement ils sont pris par le pousse-à-jouir de l’Un-tout-seul dans sa langue. Les accompagner vers la singularité du chemin qui leur est propre. [25]
PL – Sachons, dans ce qui paraît gélifié dans un mot, faire les petits trous particuliers où chaque sujet pourra se délivrer de la tyrannie du tout jouir, ou ne parler que cette langue de provocation. Il s’agit de prendre position en se mettant au travail de la langue, de « donner un petit coup de pouce à la langue », afin que chacun se sente travaillé par son rapport à elle, là où il pensait que tout était établi selon sa mesure. Ce qui se joue dans cette langue n’est pas sans lien avec ce qui se jouit dans le corps de ces adolescents, venant indiquer ce quelque chose qui a trait au corps, et traverse la langue de façon immédiate. Ce mouvement pulsionnel, cette immédiateté verbale de la sensation, qui était auparavant réfrénée, non par accident mais par essence, par la langue articulée, qui aujourd'hui n’opère plus, se trouvent d’une certaine façon libérés et en prise directe sur la vie du sujet.
PdC – Du désarroi à la détresse alors, le sujet peut se réaliser dans la perte où il a surgi comme causé par le manque qu’il produit dans l’Autre, suivant le tracé que Freud découvre comme celui de la pulsion de mort. Le surmoi lacanien est le visage de la pulsion de mort dans lequel sont pris beaucoup de jeunes d’aujourd’hui.
PL – Souvent c’est dans ces produits de la civilisation que le manque-à-être du corps trouve à s’alimenter, à se découper, à se voiler, là où, pour certains, et de plus en plus la dette symbolique a été ravie.
Lacan – La détresse d’une certaine jeunesse sans qualités, et tragiquement sans mémoire, nous renvoie à ce que je disais en 1961 [26], lorsque j’avançais que la dette symbolique peut ne plus être à la charge de certains sujets ; dès lors ils ne se sentent plus coupables et se trouvent « chargés d’un malheur plus grand encore, de ce que ce destin ne soit plus rien ». [27]
Angélique Gozlan – C’est ce que je dis dans mes livres sur le harcèlement virtuel [28] et celui sur l’adolescent.[29] Ces adolescents directement branchés sur un monde immédiat sans la médiation de l’Autre, se présentent, via facebook, directement en acte et usent de l’école pour mettre en jeu leur déchaînement pulsionnel où c’est le se faire voir et le se faire entendre qui occupent la mise en scène de leurs corps.
PdC – La pulsion de mort directe, à l’état brut, les entraînent au pire d’une conduite déboussolée et hors limites.
PL – C’est ce qui a rendu difficile pour Marion, à l’école, un espace vide rendant possible l’intervention de l’Autre mettant en échec la fonction « de point d’appui » du professeur. [30]
Freud – J’ai précisé que l’école ne doit pas oublier la voie de la particularité du symptôme, elle « ne doit pas revendiquer pour elle le côté impitoyable de la vie » [31] et « ne pas vouloir être plus qu’un lieu où l’on joue à la vie » [32], surtout justement quand c’est le sens de la vie que mettent en question, jusqu’à l’extrême, certains adolescents.
PdC – Au fond Freud, vous nous invitez à ne pas reculer devant le symptôme « peu réjouissant », surtout lorsque, comme le met en scène Marion, il est la pantomime du théâtre de sa version de la pulsion de mort.
[1] Boyd D., C’est compliqué : les vies numériques des adolescents, Collection Les enfants du numérique, C&F éditions.
[2] Fraisse N., Marion, 13 ans pour toujours, Paris, Calmann-Lévy, 2015.
[3] Dominique Grimbert et Philippe Lacadée pour l’équipe du journal Le Pari de la Conversation.
[4] Fraisse N., op. cit.
[5] Lacadée Ph., L’Éveil et l’exil, Nantes, Éd. Cécile Defaut, 2007.
[6] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001.
[7] Lacan J., intervention dans une réunion organisée par la Scuola freudiana, à Milan, le 4 février 1973, parue dans l’ouvrage bilingue Lacan in Italia 1953-1978 / En Italie Lacan, Milan, La Salamandra, 1978, p. 78-97.
[8] Lacan J., « D’une question préliminaire à un traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 535.
[9] Lacan J., « L'agressivité en psychanalyse », Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 101-124.
[10] Film Quelle classe, ma classe, livre-DVD de Joseph Rossetto et Philippe Lacadée, Jusqu’aux rives du monde : une école de l’expérience, Striana Éd., 2007.
[11] Lacadée Ph., entretien-vidéo sur les adolescents par Joseph Rossetto, filmé par Philippe Troyon, accessible sur le site de l’ECF ou le site Une École de l’expérience.
[12] Miller J.-A., « Le Banquet des analystes », leçon du 13 décembre 1989, inédit.
[13] Ibid.
[14] Tous ces appels sont extraits de l’article d’Émile Benveniste, « La blasphémie et l’euphémie », in Problèmes de linguistique générale, vol. II, Paris, Gallimard, 1974, p. 254-257.
[15] Ibid.
[16] Ibid.
[17] Ibid.
[18] Miller J.A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 6 décembre 1989, inédit.
[19] Bonnaud H., « La face haineuse du harcèlement, Une famille pour tous, la chronique d’Hélène Bonnaud », Lacan Quotidien n° 482, 25 février 2015.
[20] Musil R., Les Désarrois de l’élève Törless, Seuil, 1960.
[21] Freud S., « Sur la psychologie du lycéen », in Résultats, idées, problèmes, vol. I : 1890-1920, PUF 1984, p. 221. Nouvelle traduction par Fernand Cambon in Lacadée Ph., La vraie vie à l’école, Éd. Michèle, 2013.
[22] Meirieu Ph., à l’université de Lyon, le 15 décembre 2008, à la présentation du livre de Lacadée Ph., L’Éveil et l’exil, op. cit., terme prélevé à Bernard Stiegler.
[23] Lacan J., La troisième, Navarin éditeur, 2021ou Lacan J., « La Troisième », 1 Novembre 1974, La Cause freudienne, n° 79, 2011, p. 32.
[24] Le Nouvel Observateur, Sophie Des Deserts, « Traitée de ‟pute”, de ‟boloss” : Marion, 13 ans, s’est suicidée », 14 novembre 2013.
[25] Lacadée Ph., La vraie vie à l’école, Éditions Michèle, 2013.
[26] Lacan, J.., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, Paris, Le Seuil, 1991, p. 354.
[27] Lacan, J., Ibid., p. 355 : « Bref, c’est la dette elle-même où nous avions notre place qui peut nous être ravie, et c’est là que nous pouvons nous sentir à nous-mêmes totalement aliénés. Sans doute, l’Atè antique nous rendait-elle coupables par la dette, mais à y renoncer […] nous sommes chargés d’un malheur plus grand encore, de ce que ce destin ne soit plus rien ».
[28] Gozlan A., Le Harcèlement virtuel, Éditions Fabert, 2020.
[29] Gozlan A., L’Adolescent face à Facebook : Enjeux de la « virtualescence », Broché, 2016.
[30] Lacadée Ph., La vraie vie à l’école, op. cit.
[31] FREUD Sigmund, « Sur la psychologie du lycéen », in Résultats, idées, problèmes, vol. I : 1890-1920, PUF 1984, p 221. Nouvelle traduction par Fernand Cambon in La vraie vie à l’école, op. cit.
[32] Ibid.
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