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Argument #1 - Philippe Lacadée



« Ça crève l’écran »[1] est une phrase de Lacan dont la sonorité fait entendre l’équivoque possible avec la matière, voire la motérialité sur laquelle opère l’acte analytique. Le titre de la Journée des laboratoires du CIEN à Bordeaux 2024, Ça c’rêve l’écran, noue en une seule expression le titre de la 8e Journée d’Étude Rêves et fantasmes chez l’enfant de l’Institut de l’Enfant qui aura lieu le samedi 22 mars 2025 et s’y noue.

 



Lacan, en suivant Freud, a toujours fait valoir la fonction d’écran du fantasme, qui protège du réel et, en même temps, le soutient comme fiction, dans le sens où il fixe un certain réel. Deux Conversations aux Douves avec des adolescents sur les questions du harcèlement et l’usage du portable, pari de se déplacer dans les discours de la domination numérique qui assujettissent certains, et de trouver une place et la juste mesure aux objets‑gadgets que notre modernité ironique leur propose, ont produit un savoir. Trop d’écran tue le rêve, la voie royale de l’inconscient, quand son bon usage, comme projection imaginaire, nécessite le temps d’une médiation ou d’un manque. L’écran du portable ou de la télé impose des images immédiates court-circuitant cette fonction de médiation de l’imaginaire propre à chacun, voie royale vers le rêve singulier.

 

C’est tout le génie du dessin d’Alice, le sujet a beau arroser la fleur de l’écran, il a l’air désespéré devant le résultat de son ineptie, sa fleur reste coincée dans la tombe de l’écran d’autant qu’autour de lui, c’est le désert. Préoccupé par arroser, avec son petit arrosoir, il s’isole comme S1 tout seul avec son objet gadget comme objet a plus-de-jouir. L’écran de son objet a ne lui donne pas accès au cadre de son rêve et de son fantasme, il se crève lui-même dans l’écran court-circuitant son fantasme. C’est d’ailleurs l’éclair de ce court-circuit qui surgit au-dessus de la télé.

 

Lacan nous a invité à nous former à la logique du fantasme et ce, bien au-delà de la cure d’un enfant, dans les lieux où nous accueillons et accompagnons les enfants, au titre de les éduquer ou de les soigner. La conversation est l’outil du CIEN pour, avec nos partenaires, savoir-y-faire avec les discours contemporains dans lesquels ils sont pris. Cela implique de s’assoir de façon inédite en leur compagnie et de consentir à la part indicible de leur être comme racines produisant rêve ou fantasme, si nécessaire à la subversion créatrice d’un sujet qui n’y a plus sa place d’y être situé comme hors-programme établi par des normes en impasse. Le prédicat ne fait plus aucun cas de l’assiette subjective d’où s’origine et se commande le menu de toute parole. Le trouble dit du comportement ou l’agitation qui surgit sur la scène, familiale, scolaire ou autre, n’est le plus souvent que conséquence d’une pantomime offrant le côté dérisoire d'un fantasme qui passe à l'acte. Le fantasme insu s’en fait le metteur en scène.

 

Il est toujours possible de parier que le sujet ne soit pas la marionnette de l'Autre. Donner sa place à la parole des partenaires d’autres disciplines montre que, par leurs inventions, le langage « permet au sujet de se considérer comme le machiniste voire le metteur en scène de toute la capture imaginaire dont il ne serait autrement que la marionnette vivante. »[2]

 

Qui se charge d’éduquer un enfant se doit de prendre en compte qu’un enfant est « sujet à la jouissance » soit, souvent, à la répétition de ce qui fait son symptôme en impasse ou son traumatisme. En suivant ce que nous enseigne un enfant, il s’agit d’y lire s’il a délocalisé sa jouissance dans une fiction fantasmatique, rêves, fantasmes et jeu répondant au réel qu’il rencontre. Freud dit que s’il n’avait pas tenu compte des allégations/fantasmes de Hans, il se serait rendu coupable envers lui et la science. Il s’agit d’une question éthique que de se laisser promener par l’enfant pour, le suivant dans ses productions, se mettre à la table de ses mots afin de pouvoir le conduire à son propre bien-dire. Comme Claude Nougaro pouvait dire qu’il était un motsicien, nous ouvrons la partition d’un mot-si-Cien.

 

En élaborant mille et une fictions, l’enfant traite l’énigme à laquelle le réel du trou, ou le réel du sexe et de la mort comme trou radical, comme point de fixité, le confronte. C’est là où peut s’écrire la fiction comme fixion, soit ce qui se fixe dans l’énigme du x de la jouissance.

Le pari de la conversation inter-disciplinaire qui aura lieu lors de la Journée des laboratoires du CIEN à Bordeaux, le 30 novembre 2024, est l’occasion d’élaborations permettant de mieux saisir ce qui, à partir des dits de chacun des partenaires, préoccupe les enfants qu’il rencontre. Prendre soin d’entendre ce qui soutient leur existence, offre que, de la jouissance en trop qui peut les déborder, se fixe dans la parole comme fiction entendue, juste façon de dire à l’Autre ce à quoi il tient le plus, sans en vouloir rien céder s’agissant de son désir.

 

Philippe Lacadée


[1] Lacan J., La Troisième, Navarin, 2021.

[2] Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Seuil, 1966, p. 637.

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