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Conversation Parlez-nous d’amour

Philippe Lacadée – Bonsoir à tout le monde. On a une grande mission, ce soir, parler de l’amour. Non pas « parlez-moi d’amour », mais « parlez-nous d’amour ». On remercie le Lounge de BORD’HA, et plus particulièrement Catherine Laville, qui nous accueille dans ce lieu. Nous avons aussi, comme la dernière fois, la chance de pouvoir être filmés par l’association NousAutres, qui s’intéresse aux paroles des jeunes, notamment sur l’amour, dans le monde d’aujourd’hui et projette de faire un documentaire autour de cette question.

Je vais présenter un peu le CIEN, parce que tout le monde ne le connaît pas forcément. Le CIEN, c’est le Centre Interdisciplinaire sur l’ENfant et l’adolescent qui travaille à partir de partenaires d’autres disciplines. C’est une association qui a été créée en 1996 par Judith Miller, qui était donc la fille du docteur Lacan, et par moi-même. Cette association travaille avec des laboratoires. À Bordeaux, par exemple, il y a quatre laboratoires de recherche sur des thèmes différents et nous avons aussi, depuis deux ans, un journal électronique qui s’appelle Le Pari de la Conversation, dont Dominique Grimbert est la rédactrice en chef. Le dernier numéro, que vous pouvez trouver sur le site internet Le Pari de la Conversation, s’intitule « paroles d’a-mour ». Alors, si nous avons choisi ce soir de parler d’amour, c’est parce ce que, je ne sais pas si vous avez remarqué mais, le monde actuel ne fonctionne pas très bien. Il semblerait que ce soit plutôt la haine ou la violence qui envahisse un peu la scène, ou, plus récemment en France, l’amour mais sur sa version perverse de pure jouissance sexuelle et pulsionnelle, soit de violence sexuelle faites aux femmes réduites à de simples objets de consommations. Ce n’est pas de cet amour-là que nous allons parler, si c’en est d’ailleurs…

Nous allons plutôt essayer de parler de ce que ça peut produire l’état amoureux. L’amour peut entraîner des états différents, ce qu’on appelle, nous, des positions subjectives, soit une ouverture vers l’autre, soit aussi quelquefois quelque chose qui se passe en vous, que vous ne comprenez pas trop, ça peut être comme un mystère qui vous rend étranger à vous-même, et qui fait que, parfois, vous perdez la raison. Et là, je citerai le poète Arthur Rimbaud qui, dans une poésie extraordinaire, qui s’appelle A une raison, faisait état d’un petit détail, un doigt sur le tambour qui fait que la tête se retourne, la tête se détourne et là, tout d’un coup, surgit Le nouvel amour ou l’amour tout court. Et c’est pour ça que, très souvent, l’amour, c’est quelque chose comme un mouvement. Et je ferais état aussi, pour ceux qui s’intéressent à la littérature, au livre Le Lys dans la vallée, où le jeune garçon qui assiste à un bal est fasciné par le corsage d’une dame qui vient s’asseoir auprès de lui. Elle lui fait : « Ah ! Monsieur » et, tout à coup, comme c’est la première fois qu’il s’entend appeler Monsieur, ça lui déclenche un élan amoureux vers cette dame. Ou aussi Les Mémoires d’un fou de Flaubert, qui décrit très bien comment un jour, au bord de la plage, il voit une pelisse rouge qui risque d’être emportée par les vagues. Donc il la ramène en haut de la plage. Et, le matin, quand il prend le petit déjeuner dans l’hôtel, une dame lui dit : « Monsieur, c’est vous qui avez ramassé ma pelisse. » Du coup, il en tombe amoureux, d’être ainsi identifié comme un homme désirant et non plus un enfant aimé. Tout ça pour dire que, le passage pour ces jeunes au fait que les autres les appellent Monsieur, déclenche pour eux un élan amoureux vers ces dames. L’amour, c’est donc quelque chose qui vous permet de changer de discours et, très souvent, a à voir avec la parole, avec la dimension de la parole, en tant qu’elle est prise dans un discours qui fait là un lien social nouveau. Les femmes, il faut leur parler, elles sont souvent plus sensibles à l’amour, et elles aiment ça l’amour, tandis que les hommes sont un peu plus stupides, plus branchés sur leurs pulsions, et vont directement au soi-disant but, alors que c’est très important que les choses rentrent dans l’ordre de la parole, c’est-à-dire d’un discours. 

Pourquoi a-t-on voulu faire une conversation sur l’amour ? Parce qu’il se trouve que je fais des conversations avec des jeunes en collège et, un jour, la professeure de littérature leur avait dit qu’ils pouvaient réfléchir sur la question de l’amour et ils m’avaient dit : « Mais Monsieur, l’amour, c’est toxique. » Et ils expliquaient très bien que, maintenant, on utilise moins le petit mot qu’on laissait sur la table en pensant que la jeune fille, en sortant, verrait la petite lettre. Aujourd’hui, ça se passe par les écrans, en likes. Après quelques likes, on pense qu’on peut aller parler à l’autre. Je leur ai demandé pourquoi, et ils m’ont répondu : « Mais Monsieur, on n’a pas envie de prendre une veste ! » Vous savez ce que ce sont les vestes les étudiantes de Sciences Po ? Parce que, ce soir, on a la chance d’avoir deux étudiantes de Sciences Po, P et M, qui vont nous parler, et aussi Paolo, qui est lycéen.

Pourquoi ai-je parlé de la littérature ? Peut-être, aujourd’hui, enfin c’est une hypothèse, l’amour est-il moins teinté ou prend moins la couleur d’un roman romantique, un certain romantisme ne serait-il peut-être plus à la même place. L’écrivain Antoine Compagnon dit dans le magazine Lire qu’il a appris ce qu’est l’amour en lisant Le Rouge et le noir de Stendhal.

Les expressions comme le coup de foudre ou tomber amoureux, nous interpellent, c’est un peu curieux comme expression. Le philosophe Empédocle, avant de sauter dans l’Etna, où il avait laissé ses sandales a dit qu’il y avait trois passions fondamentales de l’être : l’amour, la haine et l’ignorance. Lacan l’a souvent repris dans son enseignement, et cela nous sert de boussole pour saisir ce qui agite les êtres humains et crée un Malaise dans la civilisation, comme l’a écrit Freud. Alors comme aujourd’hui, enfin c’est mon hypothèse, l’ignorance et la haine prennent un peu de place, trop peut-être, il me semblait important, il nous semblait important, qu’on puisse réintroduire cette dimension de l’amour.

Pourquoi appelle-t-on ça le Pari de la Conversation ? Et pourquoi ce soir est-ce une conversation ? Il ne s’agit pas, même si là je fais une petite introduction, de lire ou de faire un exposé sur l’amour. Ceux qui sont venus pour ça, vous n’avez qu’à lire, Voici, Gala, Paris Match ou Psychologie magazine… D’ailleurs, ce numéro hors-série de l’été de Philosophie Magazine sur l’amour au xxie siècle est excellent. Pour nous, il s’agit d’une conversation, au sens d’un pari, d’un pari de Pascal, non pas un pari vers Dieu, parce ce qu’on laisse ça à Pascal, mais un pari dans le sens où quand on fait un pari, on prend un risque, on donne quelque chose et on ne sait pas le gain qu’on va en avoir.  C’est pour ça que, dans cette conversation, on est un peu, si vous acceptez la comparaison, revenus au temps des Grecs, puisque là, je ne sais pas si vous avez vu, à Sciences Po, Le Banquet de Platon mais ce soir, c’est le Banquet de Platon. Je ne suis pas Socrate, vous n’êtes pas Alcibiade, mais Socrate démontre bien, et c’est ce qu’avait dit Lacan : « l’amour, c’est donner à l’autre ce qu’on n’a pas. » C’est donner à l’autre ce qui nous manque et c’est offrir son manque à l’autre. Et très souvent, je dis ça pour les garçons, ça ne sert à rien de faire le viril ou le costaud. Il faut afficher son manque. C’est pour ça que l’amour, ça féminise. Non ?

 

Dominique Grimbert – Si.

 

PL – Voilà, parce qu’on donne à l’autre ce qu’on n’a pas, c’est à dire son manque. Et c’est ça qui fait qu’il vaut mieux être au clair avec sa propre castration. Le CIEN concerne l’enfant et l’adolescent. Vous savez que Freud n’avait jamais parlé de l’adolescence, mais plutôt des métamorphoses de la puberté. Et, il y a un moment peut-être un peu particulier au moment de l’adolescence ou quand on est jeune, c’est pour ça que je parlais de position au début, c’est qu’il s’agit de passer de la position d’être aimé par son père, sa mère, enfin par les gens qui s’occupent de vous, à la position d’être aimant, c’est-à-dire, si on fait référence au Banquet, de passer de l’Éromenos à l’Érastes. Voilà donc un peu ce que je voulais dire en introduction. L’amour, c’est quelque chose qui échappe à un programme, ce n’est pas programmé génétiquement, même si maintenant, dans notre monde, les gènes ont pris beaucoup de place...

 

DG – Les gènes ?

 

PL – Les gènes, les jeunes aussi, si vous faites le pari de jouer sur la sonorité et l’équivoque de la langue. Mais nous, c’est la gêne de l’amour et il n’y a pas de gène de l’amour. Vous êtes au courant ? Même si les jeunes peuvent dire : « Ah mais toi, je te calcule pas ».

Alors, qui veut parler ? N’hésitez pas à vous lancer. Comme on a dit qu’on avait la particularité d’avoir invité des jeunes… Peut-être que si P ou M a envie de démarrer, n’hésitez pas. Qu’est-ce que c’est pour vous, chères P et M l’amour aujourd’hui ? 

 

M – Je dirais qu’aujourd’hui les bases de l’amour ont un peu bougé et évolué. Et, comme vous l’avez souligné, elles se sont adaptées à notre société connectée. Du coup, peut-être qu’aujourd’hui, quand on parle d’amour, surtout quand on a une vingtaine d’années…

 

PL – Vous avez quel âge, sans indiscrétion ? 

 

M – vingt-deux ans. On va plutôt aborder l’amour par le biais d’applications, d’applications de rencontre.

 

PL – C’est à dire que vous vous appliquez à l’amour ? 

 

M – (Rires) Non, on utilise un outil, une application qui, avec un algorithme, va plus ou moins nous présenter des gens « adaptés » à ce qu’on recherche. Et, en fait, moi, je parlerais un peu d’un amour codifié.

 

PL – Ah, c’est joli ça.

 

M – Structuré, plutôt.

 

PL – Ça vient de vous, ça ?

 

M – Oui, j’ai inventé. À Science Po, on apprend à parler. 

 

PL – Le but, c’est ça, c’est que ça surgisse. Et, il y en a toujours un qui est là pour souligner que vous venez de faire une invention. Rimbaud, il disait que l’amour est à réinventer. Donc là, c’est l’amour codifié. 

 

M – Voilà. 

 

DG – On avait choisi cette affiche avec le j’aime d’Instagram, parce qu’on avait entendu plusieurs personnes nous dire, lors de la précédente conversation, Clémence notamment, que les lycéens pouvaient être en classe ensemble, mais que ce n’était pas là, ou comme ça, que les choses de l’amour s’engageaient, mais davantage sur Instagram, par exemple, s’il y a un garçon qui aime ce qu’on publie sur Instagram et si on lui répond par un j’aime sur son compte à lui. C’est ça ? 

 

P – Oui. Il va liker une Story et, là, ça déclenche une conversation. C’est tout un stratagème qu’on va mettre en place par des applications. Je m’en suis rendue compte au fur et à mesure, mais c’est très violent en fait.

 

PL – Très violent, c’est-à-dire ?

 

P – On peut se protéger vachement grâce aux applications, parce qu’on est derrière un écran et parce que tout ça, ça passe par des likes. Mais on a tous les mêmes likes alors qu’on n’a pas tous le même type d’amour qu’on donne à quelqu’un. Enfin, ça paraît évident, mais nous, sur nos applis, c’est très machiavélique, parce qu’on cherche en fait une réaction de l’autre et on fait les choses en attendant une réaction. Sauf qu’il y a aussi un truc très violent en retour, qui peut être ce qu’on appelle les vues. Par exemple, on peut être laissé sur un vu.

 

DG – Oui on entend : « Il m’a laissé un vu ».

 

P– Voilà. 

 

DG – Ça rejoint ghoster aussi ?

 

P – Oui voilà, c’est ça. C’est que la personne, on sait qu’elle sait, voilà, et puis c’est tout. 

 

PL – Qu’elle sait ? Qu’elle sait quoi ?

 

P – Qu’elle a lu. Elle a lu notre demande. Elle a compris notre offre, plus ou moins, mais elle ne va pas y répondre et c’est presque un choix. 

 

DG – Ça laisse la notification « vu » sur l’application. 

 

P – Oui, on pourrait envoyer une lettre et se dire, peut-être, qu’il ou elle ne l’a pas reçue. Ça laisse une bonne excuse en fait. Là, il n’y en a pas. 

 

PL – On pourrait appeler ça My like viélique plutôt que machiavélique.

 

P – Oui, c’est vrai, on invente des mots. (Rires) Mais oui, il y a quelque chose de cette sorte-là. Et pour compléter un peu ce que disait M, parce qu’on en a déjà parlé aussi ensemble, nous, on a remarqué qu’il y avait quelque chose, de l’ordre du couple par exemple, le terme, qui pouvait être effrayant. Aujourd’hui, on remet beaucoup ça en question.

 

PL – Le couple ?

 

P – Oui, tout ce qui se réfère au couple. 

 

PL – Le couple M et P ?

 

P – Oui, notre couple, on le remet beaucoup en question. Et on est venu ici pour en parler. 

 

(Rires)

 

M – Voilà. C’est une thérapie en fait.

 

P – Non, la notion du couple, l’institution du couple. C’est quelque chose de très compliqué aujourd’hui. 

 

PL – Mais, c’est-à-dire ?

 

M – C’est difficile de trouver quelqu’un qui veuille se mettre en couple, ou en couple exclusif

 

PL – Oui je n’ai pas osé le dire. J’avais écrit ça, dans mes notes pour l’introduction, le risque de l’exclusivité ou de la fixité. 

 

M – La question de l’exclusivité est très importante parce qu’on peut être en couple non- exclusif et on peut être dans une relation exclusive, mais pas en couple.

 

PL – C’est-à-dire ?

 

M – C’est-à-dire qu’on demande à la personne de se bloquer par rapport aux autres. Si c’est une relation hétérosexuelle, aux autres femmes, si je m’adresse à un garçon, mais on n’a pas la responsabilité du couple, forcément. Juste on se bloque, nos sentiments et les relations extérieures.

 

PL – Dans le numéro Philosophie Magazine sur l’amour, une psychanalyste que vous connaissez peut-être qui s’appelle Clotilde Leguil, qui intervient souvent à la radio, parlait aussi de la question du problème de l’engagement, le risque de s’engager parce qu’on perd quelque chose. 

 

M – Oui, c’est ça. C’est un risque.

 

P – Oui, mais on gagne, c’est une question de choix. 

 

M – C’est ça.

 

Philippe Cousty – C’est un pari, alors ?

 

M – Oui, complètement.

 

P – Exactement. Pourquoi on ne le ferait pas ? Et ça, ça dépend des notions et de chaque personne évidemment mais, le choix, ok, c’est renoncer, mais c’est aussi faire le pari de gagner quelque chose. Pourquoi il y a autant de gens qui parient à ce moment-là ? Pourquoi cherche-t-on toujours à être amoureux ? Pourquoi cherche-t-on, tout le temps, l’amour ? C’est quand même étrange. Si on ne gagnait rien, ça se saurait, je pense. 

 

PL – Alors pourquoi ? 

 

P – C’est ce que vous aviez dit tout à l’heure, je n’ai aucune connaissance là-dessus, mais on a toujours été aimé par nos parents, enfin, si on a eu des parents aimants. On est socialisé comme ça, et par toute notre famille, puis par nos amis, peut-être même à l’école, on a pu être aimé. On vit dans un monde où on est peut-être plus doux aujourd’hui dans nos relations à l’école, par exemple. Et donc, c’est intériorisé. On a envie d’être aimé. Et après, il y a peut-être un truc qui nous dépasse, du fait du don de soi, d’aimer aussi en retour. Ça, je pense que ça nous dépasse un peu. C’est peut-être inné, je ne sais pas. 

 

PL – Inné ?

 

P – Peut-être, je me demande. Est-ce que c’est parce qu’on reproduit ce que nos parents nous ont donné ? Ou est-ce que c’est parce que ça nous fait plaisir ?

 

DG – Ce qui est inscrit dans l’expérience humaine, c’est qu’un bébé, quand il naît, il ne peut pas survivre sans soins et sans amour. C’est une marque incontournable qui laisse une trace.

 

P – Donc il y a probablement un lien. J’ai l’impression que c’est lié à ça. Après on peut aussi avoir des parents qui ne nous ont pas suffisamment donné, ce qui peut créer des manques. Il y a quelque chose qui manque, et on va le chercher partout. 

 

PL – C’est pour ça que le docteur Lacan dit : « L’amour, c’est le don à l’autre de ce qu’on n’a pas. »

 

P – Oui. 

 

PL – Comment vous comprenez cette phrase ? Moi, je n’ai jamais compris.

 

P – Ça paraît fou mais, pour moi, il y a quelque chose en nous qui nous dépasse. C’est qu’on a dû être aimé à un moment, ou alors on a dû comprendre ce que ça voulait dire. 

 

M – L’amour et la question de la responsabilité derrière, en amour, est aujourd’hui remise en question, comme P le disait avec les vues. En fait, on n’a plus de responsabilité, c’est tellement facile de ne pas répondre à quelqu’un qui nous fait une déclaration. On a juste à ignorer la conversation et, en fait, cette conversation va se noyer dans un flot d’autres conversations, et je pense, avec un minimum de conscience, en vingt minutes on a oublié que cette personne nous avait fait une déclaration. Mais de l’autre côté, peut-être que la personne va passer quelques jours à se demander si un jour on répondra, pourquoi on n’a pas répondu, il y a plein de questions qui restent en suspens. Du coup, aujourd’hui on appelle ça le ghosting.

 

PL – Alors le ghosting, c’est quoi ?

 

M – On devient un fantôme.

 

P – L’autre devient étranger.

 

PL – Parce que ça vient de ghost le fantôme ?

 

M – Oui, c’est ça. 

 

P – Mais on pouvait ghoster avant, c’est-à-dire qu’on ne répond plus aux appels. Vous n’aviez pas forcément de téléphone portable ?

 

PL – Non, on avait des téléphones à fil. 

 

P– Voilà, il fallait être chez soi et il fallait être là à l’heure. Il fallait avoir la même adresse parce que sinon on ne pouvait pas recevoir les lettres. Ghoster, ça pouvait se faire avant, mais aujourd’hui, ça se fait de manière frontale. On sait qu’on a été ghosté, c’est clair et net. 

 

M – Mais la personne qui ghoste n’a plus de responsabilité. C’est tellement minime dans une vie, c’est tellement simple qu’on perd toute responsabilité. Et ça arrive même dans des relations, quand on voit une personne plusieurs fois, quand il y a un lien qui s’établit, ça peut arriver, et ça peut arriver à tout moment. C’est un risque qu’on prend aussi. 

 

PC – Ce que vous dites quand même, c’est qu’avec l’histoire des vues, on est caché par l’écran, alors que, quand on se rencontre, on n’est pas caché par le même écran en tout cas. 

 

M – Oui, c’est ça, c’est beaucoup plus simple. 

 

PhC – Et on passe d’une relation où on a l’impression qu’on compte pour l’autre à une relation où, tout d’un coup, on est redevenus anonymes. Et on ne sait pas si ce qu’on a envoyé est arrivé à destination. Quand on envoyait une lettre, c’était quand même aussi une dimension d’amour, c’est-à-dire que, quand on donne une parole d’amour, on attend une réponse. C’est une question d’ailleurs, est-ce que l’amour appelle systématiquement une réponse ?

 

P – Pas toujours. Ma mère m’a dit, il n’y a pas longtemps, qu’elle avait découvert ce que c’était d’aimer vraiment quand elle a eu des enfants. Ça veut dire qu’elle m’aime, tant mieux. (Rires) Mais elle m’a dit aussi qu’elle n’attendait rien en retour. Elle a dit : « Pour moi c’est ça le vrai amour, c’est que je vous aime ton frère et toi et je n’attends absolument rien en retour. »

 

PL – Mais elle n’aime pas votre père ? 

 

P – J’ai eu cette réflexion aussi et je lui ai dit : « Mais alors papa ? » Et elle m’a dit : « Oui mais ton père, s’il n’était plus là, je pourrais vivre sans lui. Mais s’il y en a un de vous deux à qui il arrive quelque chose, ou qui fait quelque chose qui est considéré comme mal, je serai toujours là et je vous aimerai quand même. Je vous aimerai toujours. »

 

PL – Ça, ce sont les bases alors ? 

 

P – Mes bases sont apparemment solides.

 

PL – Oui, elles ont l’air, ça se voit.

 

P – Mais là, c’est ce qu’elle m’a dit pour elle. C’était sa définition de l’amour : sans retour. Et peut-être que ça peut arriver avec un ou une conjointe. 

 

PhC – Un amour qui serait désintéressé ?

 

PhC – Ça, ça me paraît fou, hein ? Est-ce que c’est possible ?

 

PhC – Un amour pur ?

 

P – Oui, est-ce que c’est pur ?

 

PhC – Il y a beaucoup de philosophes qui ont écrit là-dessus. Bon, je n’ai pas versé là-dedans mais c’est aussi une question.

 

PL – Mais très souvent il y a des mères, ce sont souvent des mères d’ailleurs, qui, quand elles ne savent pas trop ce que font leur enfant, disent : « Moi qui me suis sacrifiée pour toi ». Ça c’est terrible.

 

P – C’est dur, c’est très dur. 

 

PL – C’est-à-dire, comme si elle n’avait vécu que pour l’amour de son enfant.

 

DG – C’est une dette lourde à porter, oui.

 

P – En même temps, ça fait que l’enfant doit porter tout ça, sachant qu’il n’a pas choisi de naître. On le sait tous, personne n’a choisi de naître. On vit sa vie au mieux, mais c’est un peu injuste aussi. Malgré tout, on n’a pas choisi d’être aimé à ce point, même si ça peut être merveilleux. Donc c’est quand même quelque chose, c’est une responsabilité aussi.

 

PL – Mais vous pensez que tous les jeunes fonctionnent comme ça, ou il peut y avoir aussi un coup de foudre dans le tramway ? Bon, il faut prendre le tramway… 

 

P – Moi je le cherche, je regarde autour de moi. (Rires)

 

PL – Vous n’avez jamais rencontré une voix, un battement de cils, un sourire qui déclenche ? Dante, il était tombé amoureux des battements de cils de Béatrice. 

 

P – C’est ce qu’on appelle un crush aujourd’hui. Mais tout le monde en a.

 

M – Oui, ce n’est pas de l’amour. L’amour, ça se développe. Ça se construit. Après, on peut avoir une forte attirance pour quelqu’un, sa voix… Ça dépend aussi de sa personnalité ou de sa complexité. Je trouve que c’est difficile de trouver quelqu’un avec qui tout matche parfaitement, à cent pour cent, tout de suite. Mais après, on peut très bien rencontrer quelqu’un et faire « Oh ! Waouh ! J’adore sa coupe de cheveux, ça lui va trop bien, son style vestimentaire », et être vraiment attaché à cette image. Mais je ne pense pas que ce soit de l’amour à ce stade-là.

 

DG – C’est une image ?

 

M – Oui, voilà, c’est une image.

 

PL – Ça peut être un coup de foudre quand même, non ? Ce n’est pas de l’amour ?

 

M – Après je ne l’ai jamais vécu donc... 

 

PL – Vous n’avez jamais vécu de coup de foudre avec tous les orages qu’il y a en ce moment ?

 

(Rires)

 

DG – Et pouvez-vous nous éclairer sur ce qu’on entend beaucoup aujourd’hui, de la différence entre fréquenter quelqu’un et être engagé dans une relation ou être amoureux ? 

 

P – Bah oui, c’est Situationship et le Relationship.

 

M – C’est ce que je disais, entre relation et couple, on peut voir une personne de tellement de façons différentes, que ce soit pour un coup d’un soir, quelque chose de plutôt répétitif, ou alors quelque chose qui va sur du dating. Donc des dates, restaurant, cinéma…

 

PL – Dating, c’est quoi ?

 

M – Ce sont des rencontres.

 

P – Des Rencards.

 

PL – On dit : « Je te fais un dating, ce soir » ?

 

M et P – « Je te fais un date ».

 

PL – C’est vrai ?

 

M – Oui, on l’utilise beaucoup. (Rires) « Je te fais un date ». 

 

PhC – Alors, on parle mieux d’amour en anglais qu’en français. 

 

P – Peut-être qu’on se cache derrière des termes. 

 

M – Oui, c’est plus simple. Moi j’écoute pas mal de podcasts sur ça. Et il y a un certain langage autour de l’amour qui est assez développé et fou parce qu’il y a déjà beaucoup d’anglicismes, il y a les mots comme Ghosting, il y a Love Bombing. Le Love Bombing, c’est quand on projette plein d’amour dans une courte période sur une personne et qu’après on va se détacher. Enfin, la personne va se détacher petit à petit de nous. Mais, en fait, la personne en face elle se sera déjà accrochée et faite à l’idée qu’elle a tout cet amour. Et, du coup, ça va entraîner une relation très toxique de dépendance parce qu’on aura habitué, accoutumé quelqu’un à beaucoup d’amour, et la personne va se détacher.

 

PL – Toxique, c’est ça ? C’est dépendance ?

 

M – Oui.

 

PL – C’est qu’on a donné quelque chose à quelqu’un qui est parti avec, faire l’amour par exemple ?

 

M – Oui, c’est ça. Toxique, ça va être plus global, où on est dans une relation dite toxique quand il y a des répercussions négatives sur nous, sur nos émotions.

 

P – Un gros déséquilibre qui crée des carences en amour. C’est un peu étrange et ça fait qu’on se remet soi-même en question. J’ai une image très symbolique de l’amour : pour moi, la vie de chacun d’entre nous, c’est un gâteau. On a tous notre propre gâteau. C’est notre gâteau à nous, il n’y a pas de problème là-dessus, on a un socle, des amis, des passions, un travail. Voilà, c’est notre gâteau. Et, une relation amoureuse par-dessus, donc avec un conjoint, quelque chose comme ça, c’est une cerise, c’est un glaçage, ça vient recouvrir notre gâteau mais ce n’est pas notre gâteau, jusqu’à ce que, peut-être, on ait une famille et là, on rajoute des étages au gâteau, mais ça, c’est autre chose. Moi je parle de notre âge.

 

PL – Et ça, ça vous est venu comment cette métaphore formidable ?

 

P – J’ai discuté avec ma mère et on a fini par en venir là. 

 

PL – Parce qu’elle est douée en pâtisserie ?

 

P – Mais non, pas du tout. Mais c’est étrange, en plus, je ne pense pas que ce soit la meilleure en amour, moi non plus, mais elle a de bonnes images qui sont très parlantes. Et si on met une cerise pourrie sur le gâteau, et bien pareil, le gâteau va avoir l’air tellement moche. Donc, il nous faut un beau glaçage qui n’est pas l’essentiel, le gâteau est là. Mais c’est un peu mieux. 

 

PL – À propos de gâteau pourri, Julien veut dire quelque chose. 

 

JB – Merci pour cette introduction. (Rires) Lors d’une soirée que le CIEN avait organisé aux Douves, sur les réseaux sociaux et l’usage des écrans, on s’était interrogé sur la manière dont l’amour pouvait passer sous les arcanes des réseaux sociaux. Et vous avez commencé votre propos en nous faisant entendre que vous étiez parfaitement informée du fonctionnement de ces applications et de leurs algorithmes, et qu’à ce titre-là, vous n’étiez pas tout à fait dupe. Mais ensuite, vous avez dit que nous, à notre époque, on n’avait pas les mêmes outils, d’où ma question : « Comment l’amour vient bouleverser tous ces systèmes, ces applications qu’on vous met dans la main ? Et comment ne pas tout ficher en l’air ? »

 

M – En fait, moi je trouve ça compliqué avec toutes ces applications parce que, par exemple, il y a une application qui s’appelle Fruitz. En fait, il y a quatre fruits, et chaque fruit représente une situation qu’on veut. Donc, il y a un fruit où on veut être en relation sérieuse avec une personne, un fruit où on veut être juste ami avec bénéfice avec la personne, un fruit où on veut juste des choses pas du tout sérieuses et un autre fruit, je ne sais plus ce que c’est. Mais, du coup, on va voir les profils des personnes, et, en fait, si moi j’ai mis le fruit où je veux être en couple, l’algorithme ne va me proposer que des personnes qui vont vouloir être en couple. Donc, ça fait un tri. Mais, qui sait, dans les personnes qui ont demandé juste un coup d’un soir, s’il n’y a pas l’amour de ma vie ? C’est quadrillé parce qu’on met des filtres sur ce qu’on recherche en amour. Du coup, oui, d’un côté, c’est très biaisé, il y a ces algorithmes-là, il y a tous ces filtres-là, mais, d’un autre, est-ce que ça permet réellement de trouver l’amour ? Je ne sais pas parce que, moi, je ne l’ai pas trouvé comme ça.

 

PL – Vous avez trouvé l’amour de votre vie ?

 

M – L’amour de ma vie ? (Rires) Je ne dirais pas, pour l’instant, que c’est l’amour de ma vie. 

 

PL – Vous disiez : « Je ne l’ai pas trouvé comme ça. »

 

M – Ben, je ne suis pas allée en relation sérieuse sur ces applications de rencontres. Ça ne m’a pas permis de me mettre en couple par la suite avec quelqu’un. Mais, je vois ma petite sœur qui a dix-neuf ans, elle, ça a bien marché pour le coup. Mais parce qu’il faut être peut-être aussi ouvert au fait qu’on dé-romantise l’amour.

 

PL – Voilà c’est ce que je disais, on dé-romantise l’amour.

 

Yves Raulin – Moi j’ai une question à vous poser parce que, ce qui me frappe dans ce que vous avez dit, c’est que, vous avez vingt ans, mais je voudrais savoir comment vous êtes venues à ça en fait. On voit bien les gamins de sixième, cinquième, vous, on voit que vous avez du recul. Et vous êtes, d’une certaine manière, prémunies vis-à-vis des dérives de tout ça. Je voudrais savoir comment vous êtes entrées là-dedans.

 

M – Déjà, c’est parce qu’on a grandi avec, je pense.

 

YR – Oui, bien sûr.

 

M – Depuis toute petite.

 

YR – Depuis le collège, l’école primaire ?

 

M – Non, moi, mes parents ont été très stricts par rapport à mes copines. C’est depuis la seconde. Mais toutes mes amies l’avaient le portable, même ma petite sœur, elle l’a eu en cinquième par exemple, donc c’est le collège. S’ils arrivent à tenir jusqu’au collège les parents, c’est pas mal aujourd’hui. Après si on s’intéresse un peu au sujet, il y a beaucoup de séries très cool qui démontrent tout l’envers du décor. En fait, il faut juste se questionner. Mais je sais que pas tout le monde le fait et parfois les gens vont juste accepter l’application et ne vont pas se poser forcément de questions.  Moi, par exemple, je suis privilégiée, je suis une femme et en plus non racisée, donc je ne subis pas de discrimination via ces applications. Il y a tout ce côté un peu à questionner. Mais ça, si on ne pointe pas le sujet, les gens ne peuvent pas forcément le faire. Je pense aussi qu’on est en master, donc on se pose des questions, on fait des études en plus Sciences Po, ça nous demande tout le temps d’être tenus au courant de l’actualité, des nouveautés, des choses comme ça, donc nous, on évolue dans un milieu où on est informés.

 

PL – Quand vous dites que vous êtes une personne non racisée, ça veut dire quoi ?

 

M – Ça veut dire que je ne subis aucun racisme dans ma vie dû à ma couleur de peau, à mes origines.

 

PL – Parce que vous avez des origines… ?

 

M – Espagnoles. Mais, pour le coup, ça ne pose pas de problème.

 

PL – Mais je suis surpris, ça prend autant de place que ça, les applications, ou étudiez-vous plus particulièrement le phénomène ?

 

M – Les applications, en général ? Je pense que je ne suis pas très téléphone mais je peux y passer une heure par jour. Oui. 

 

PL – Au téléphone ?

 

M – Non, sur l’application. Parce qu’en fait c’est très addictif. En fait, soit on swipe, soit on ne veut pas, donc soit croix, soit cœur.

 

DG – C’est un peu comme un supermarché ?

 

M – Oui, c’est ça. On peut le faire aussi devant un film. On met le film, et on regarde pareil les photos et, ensuite, il y a une description et chacun a ses préférences, soit les photos, soit les descriptions qui sont les plus importantes, mais du coup on peut passer vraiment beaucoup de temps à faire ça et ça m’est déjà arrivé de finir un gros périmètre où je n’avais trouvé personne. 

 

P – Oui, parce que ce sont des périmètres.

 

PL – Quand je suis tombé amoureux pour la première fois de Béatrice, au lycée, je lui avais donné rendez-vous à la Croix du prince, à Pau, pour aller vers Gan ou Jurançon et je lui avais proposé de lire l’Épître de Saint Jean aux Corinthiens. C’est l’application à la Bible ça. (Rires) Vous vous rendez compte le neuneu que j’étais ?

 

M – Ça n’aurait pas marché aujourd’hui.

 

DG – Dans ce que vous décrivez, c’est difficile de s’arrêter sur une personne.

 

M – C’est ça.

 

DG – On est tenté de se dire que le prochain est peut-être mieux.

 

M – Oui, c’est ça. Puis, moi, c’est d’une position de fille, mais j’ai des potes garçons aussi et, en fait, eux, ils sont restreints dans les likes, parce que sinon ils likent toutes les filles, du coup, ils ont des temps d’attente, et le message qu’ils reçoivent c’est « dans une heure, vous pouvez reliker quelqu’un. »

 

PL – C’est vrai ?

 

M – Oui, c’est ça, c’est vraiment structuré. Il faut être rationnel, c’est du calcul.

 

PhC – C’est ça qui m’a frappé, moi, dans le premier propos que vous avez tenu. C’est le côté du calcul, la stratégie. 

 

M – C’est ça, c’est stratégique. 

 

PhC – Au fond, il faut savoir ce qu’on veut. 

 

P – Ça dépend. Moi, par exemple, je ne suis jamais allée sur une application.

 

PL – Ah bon ?

 

P – Oui, ce n’est pas tout le monde.

 

PL – Mais vous allez où vous alors ?

 

P – Ah…. Je marche dans la rue. 

 

(Rires)

 

PL – Ah quelqu’un, enfin, qui marche dans la rue.

 

PhC – Voilà.

 

M – Elle est chanteuse aussi et elle enflamme la scène.

 

(Rires)

 

PL – Ah vous chantez ?

 

P - Oui, j’ai un groupe de rock. Mais ce n’est pas grâce à ça. J’avoue que moi je suis un peu old fashion, pour ne pas dire Ringard. Mais c’est cool. 

 

PhC – En chantant ? Romantique ? 

 

P – Oui, très romantique. Et j’ai du mal avec le concept, je n’y arrive pas. Je suis quelqu’un qui a beaucoup de mal à faire les choses à moitié, notamment en amour. Et donc j’ai du mal avec l’entre-deux de la Situationship. La Situationship, ça veut dire qu’on est avec quelqu’un mais qu’on n’est pas vraiment avec, officiellement. On n’est pas en couple, on est, mais on n’est pas. 

 

PL – On a un jeune homme-là qui veut parler aussi. 

 

Paolo – Non, je n’ai pas du tout dit ça. Moi déjà je suis mineur donc je ne peux pas aller sur les applications de rencontres.

 

PL – Ah bon ?

 

Paolo – Ben oui.

 

Catherine Laville – C’est interdit ?

 

Paolo – Oui.

 

M – Il faut avoir dix-huit ans, oui. 

 

DG – Et ça se passe comment pour vous ? C’est avec Instagram ?

 

Paolo – Oui, voilà. Ou au lycée ou dans la rue. Je ne sais pas. Tout peut arriver. Il faut vivre au jour le jour.

 

P – Mais avec Instagram, il peut se créer des techniques aussi. C’est-à-dire qu’on va mettre telle story, par exemple, en sachant que telle personne va peut-être réagir, et que ça pourra créer une discussion qui pourra, potentiellement, arriver sur une rencontre physique. C’est un truc de fou, toutes les questions qu’on se pose. Donc il n’y a pas que les applications de rencontres. 

 

PL – Donc vous, P, vous ne passez pas par les applications, alors ? Mais, quand vous chantez vous remarquez les gens dans la salle ?

 

P – Non, pas plus que ça. Il se trouve qu’étrangement, dans le groupe de musique, j’ai eu plusieurs histoires. 

 

PL – Et alors, vous êtes sortis avec plein de membres du groupe ?

 

P – Non !

 

(Rires)

 

DG – C’est Philippe Lacadée ça !

 

P – Trop direct ! Non, non. Mais j’ai eu des histoires, il y a eu beaucoup d’émotions, de sentiments, tout ça. Et ça m’a permis de rencontrer des personnes, j’aime bien les gens qui aiment la musique et il se trouve que c’est un critère pour moi important.

 

PL – Ben oui.

 

P – Il ne faut pas forcément en faire, mais le fait d’avoir une appétence, par exemple, pour ça, ça m’intéresse beaucoup plus que quelqu’un d’autre. Et c’est un fil conducteur qui m’a permis de rencontrer des garçons avec qui ça s’est bien passé. Je n’ai pas ressenti le besoin d’aller sur une appli. Après, ce n’est pas que je suis fermée à ça, toutes mes copines y sont. Ce n’est pas du tout un frein. Simplement, je crois beaucoup en l’amour romantique.

 

DG – C’est vrai que, par rapport à ce que vous disiez, M, on peut avoir le sentiment qu’aujourd’hui, on tente de disséquer l’amour. On met un nom sur un phénomène qui peut se rencontrer dans une relation, comme si l’amour était si mystérieux qu’on essayait de le disséquer comme un rat de de laboratoire, pour lui faire perdre sa part de mystère.

Il y a un phénomène, dont j’ai beaucoup entendu parler aussi, c’est la question du polyamour. Je suis d’une autre génération et, à l’époque, on critiquait beaucoup les garçons, parce qu’ils papillonnaient. On disait d’eux qu’ils avaient plusieurs copines ou qu’ils n’étaient jamais fidèles. Dans ce que je peux entendre aujourd’hui, c’est un peu l’inverse. Ce sont plus souvent des garçons que j’entends se plaindre du coté papillonnant des filles, par contre, on n’appelle plus ça faire le Don Juan, par exemple, mais, aujourd’hui, la fille serait dans un polyamour, et ce sont alors les garçons qui essaieraient de faire des efforts pour supporter ça, le polyamour de leur copine. Si j’ai l’impression que c’est un peu la même chose sous forme inversée, c’est peut-être différent, pouvez-vous nous éclairer ?

 

M – Déjà, comme je l’ai expliqué, sur les applications de rencontre, ce sont plutôt les femmes qui ont, clairement, le pouvoir du choix. Peut-être que cette position qui est renversée, leur permet de plus jouer ce rôle de Don Juan, de plus papillonner et de moins se poser. Je pense aussi que ce sont des relations volatiles où il n’y a pas vraiment d’envie de responsabilité ou de contraintes que peut imposer un couple. Les seuls phénomènes de polyamour que je connais, c’est établi dans un couple où l’homme et la femme sont consentants et où c’est avec des personnes extérieures que le polyamour se fait, mais c’est très structuré. Et les relations, ou c’est des deux côtés consentis, ou c’est libre

 

DG – Pas exclusif, comme vous disiez tout à l’heure ?

 

M – Oui, non-exclusif, donc où chacun des partenaires peut aller voir pour des relations sexuelles ailleurs. Ça, c’est tout le temps consenti et, la plupart du temps, il y a quand même des règles comme ne voir qu’une fois la personne, que ce ne soit pas quelqu’un de proche, ami, famille… Voilà. 

 

PL – C’est pour ça qu’il faut peut-être aussi, dans cette conversation, redonner tout son sens au mot amour, parce que peut être qu’effectivement, le polyamour, ce n’est pas ça que ça veut dire. Vous dites très bien les relations sexuelles, or, on peut avoir des relations sexuelles sans forcément que ça soit de l’amour. C’est pour ça que Lacan avait dit, à un moment donné, en une phrase : « L’amour, c’est ce qui permet à la jouissance de condescendre au désir ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que si on reste à l’état de la jouissance à l’état pur, c’est-à-dire la pulsion sexuelle, comme l’abbé Pierre qui ne pouvait pas faire autrement que de toucher des seins dès qu’il voyait une femme, ça, ce n’est pas de l’amour, même si c’est un Saint, de toucher les seins, ça fait un appétit un peu particulier. Tandis que si l’amour permet de suppléer à ça, c’est pour ça que je l’ai rattaché à la question de la parole, à ce moment-là, on peut avoir accès au désir. L’amour, peut-être que ça ne va pas sans être accompagné de sentiments, de mots. C’est pour ça que c’était important de redonner de la signification. C’est ce que disait Rimbaud, quand il disait que l’amour est à réinventer. Pascal Bruckner qui avait écrit un livre avec Luc Ferry, Le Nouveau Désordre amoureux, lui disait : « Je ne comprends pas ce que dit Rimbaud, s’il dit que l’amour est à réinventer, on dirait que c’est un chef d’entreprise ». Ce qu’il ne comprend pas Pascal Bruckner, c’est que c’est toujours à réinventer pour chaque Un, c’est-à-dire ce qu’on met comme investissement dans l’effet d’aimer quelqu’un, mais toujours à partir d’une situation où on est en manque, c’est ça qui est très important. Et c’est le fameux Banquet de Platon. Pourquoi est-ce qu’on aime Socrate ? Parce qu’il incarne le vide et le manque.

 

Participante – Je voulais dire que, premièrement, il y a une définition. Il y a des gens qui se reconnaissent dans ces règles partagées. Ce n’est pas juste le couple ouvert, qui a consenti à des relations, ce n’est pas la non-exclusivité. C’est un mouvement qui s’est développé, parmi les cadres, les Bac +5, qui veulent donner un autre nom à l’adultère, et donc qui vont se reconnaître dans ces pratiques et arrangements. Et ils se reconnaissent dans des groupes, dans des communautés en fait, c’est ça que je voulais dire. Ce n’est pas juste la non-exclusivité. Ce sont des communautés structurelles qui se rencontrent, qui discutent, qui se donnent des règles. Ils se reconnaissent dans des livres, ils ont des bibles, ils ont leur Lacan, ils ont leurs références. 

Et c’est un mouvement mais qui est marginal, je dirais, et qui pose des vrais problèmes par rapport à la question de l’exclusivité. Et, en fait, ce qui est original, et qui est un peu nouveau, qu’on n’a pas du tout abordé jusque-là, c’est la question à la fois du genre, du transgenre, et c’est aussi la question que les couples polyamour peuvent être à la fois un autre amour femme, ou un autre amour homme. En fait, ce sont des amours qui peuvent être très différents, très profonds, ça comble des mondes différents.

 

DG – Ce que vous nous dites, c’est que le polyamour, finalement, s’inscrit dans le discours Woke ?

 

Participante – Je ne sais pas ce que c’est. Ce n’est pas un discours. C’est une pratique des gens.

 

DG – Mais apparemment engagée, voire militante presque, dites-vous ?

 

Participante – Pas du tout. Ce sont des gens qui ont un certain parcours professionnel qui ont un certain âge. Donc la communauté polyamour de Bordeaux…

 

PL – C’est ça. Vous dites quand même qu’ils se reconnaissent dans des groupes et que c’est une communauté.

 

Participante – Oui.

 

PL – C’est quand même Woke, non ?

 

P – Parce que la communauté, c’est Woke ?

 

PL – En général, c’est un peu comme ça que ça fonctionne. 

 

P– Pas toujours.

 

Participante – Il existe un mouvement en tant que tel, ce n’est pas juste une pratique.

 

DG – Oui, mais, comme ce mot circule beaucoup, quand je l’entends utilisé par des jeunes et des adolescents qui m’en parlent, ils ne sont pas forcément inscrits dans ce que vous nommez la Communauté, mais se saisissent de ce signifiant pour se l’approprier.

 

PL – C’est là où le mot polyamour ne convient pas.

 

Participante – Pourquoi ?

 

PL – À ce moment-là, ça dépend de ce qu’on appelle amour. Par exemple, comme disait P, et exprimait sa maman, elle peut aimer le gâteau, elle peut aimer les musiciens du groupe de Rock. C’est ça le polyamour ? On peut aimer plusieurs personnes ? 

 

P – Comme vous dites, ça a plus de sens maintenant avec cette histoire de communauté, et de pratique de personnes qui décident de qualifier l’adultère d’autre chose. Ça veut dire que c’est plutôt une relation entre partenaires, plutôt que familiale. 

 

DG – Oui, la relation sexuelle est engagée.

 

P – Oui.

 

PL – Vous pensez vraiment que c’est venu remplacer la question de l’adultère ? Ça n’a rien à voir, non ?

 

DG – C’est peut-être une façon de le traiter.

 

M – C’est peut-être une façon de…

 

P – De l’assouvir.

 

M – Oui, de l’accepter, peut-être que ça passe un peu mieux quoi. 

 

(Rires)

 

PL – C’est ça.

 

M – Après, je pense que c’est clairement possible d’aimer avec des sentiments amoureux deux personnes différentes.

 

PL – Mais oui.

 

M – Parce que chacune des personnes va nous apporter quelque chose de différent.

 

PL – Voilà.

 

M – Peut-être qu’avec la personne avec qui je vis, j’adore ma routine, mes moments passés sur certaines choses et, dans mon autre relation, j’adore d’autres moments. C’est clairement possible, et c’est pour ça que le terme polyamour existe. Le plus important dans tout ça, c’est le consentement de chacun. 

 

DG – C’est ça.

 

M –Mais après, on peut aussi être polyamoureux sans être en relation avec la personne. Peut-être que, comme vous parlez de coup de foudre, je vais tomber amoureuse de quelqu’un alors que je ne m’y attendais pas, et aimer autant mon partenaire qu’avant. Ce sont des questions. Mais il faut avoir beaucoup de place mentale pour gérer deux relations. 

 

PL – Léa Salamé, elle a eu le coup de foudre, comme ça, pour Raphaël Glucksmann. Un jour après une émission de radio, ils vont boire un café et là, ils ne se sont plus quittés, du jour au lendemain. Ça arrive.

 

M – Oui, ça arrive sûrement.

 

PL – Krassimira Totcheva est psychologue dans un centre pour toxicomanes. Donc si vous avez des problèmes de toxicomanie... 

 

P – Justement… (Rires)

 

PL – D’ailleurs comment font-ils les gens qui se droguent ? Tombent-ils amoureux, ou aiment-ils la drogue ? 

 

Krassimira Totcheva – C’est leur partenaire. On fait comme des groupes de parole avec eux et on a parlé un peu d’amour, il y a quelques semaines. Et ce qui est venu beaucoup, c’était aussi la question de la mort finalement, aussi le chagrin d’amour, le Sida, c’étaient un peu ces questions-là aussi. Et les bagarres parfois entre eux. Il y avait une dame qui disait que, plus elle se bagarrait avec son compagnon, plus elle l’aimait ou, en tout cas, c’était comme une preuve d’amour, les tensions, les bagarres. La question de l’amour est souvent très teintée par la question de la mort aussi.

 

DG – Amor

 

KT – Dans la conversation qu’on a eue, il y avait la question de Madame Bovary, par exemple, qui, elle, était amoureuse de l’utopie de l’amour et qui était toujours dans une recherche d’utopie, et ce, jusqu’à la mort, le suicide. Voilà ce qui s’est dit dans le centre où je travaille avec les personnes qui sont là, en ce moment. Après, c’est tout un vocabulaire en fait. Et je me disais, que toutes ces règles, même dans le polyamour, j’étais sensible à ce que vous disiez que c’était peut-être, une façon d’essayer de prévenir la question de l’adultère, la trahison. Il y a des règles mais, au fond, j’ai l’impression que ça ne marche pas vraiment parce que les personnes que j’ai pu écouter, les jeunes gens, parfois, disent accepter cette condition. Souvent, c’est comme une condition de l’autre. Voilà : « moi je suis quelqu’un qui est polyamoureux, donc la personne accepte, elle pense que ça peut lui convenir, mais ça rate toujours un peu quand même, au bout d’un moment. Malgré toutes ces règles, cette objectivation, c’est comme s’il y avait toujours une souffrance qui pouvait apparaitre. 

 

M – Si l’idée n’est que d’un des partenaires, c’est vrai que c’est compliqué de faire accepter ça à l’autre. Et, souvent, on peut accepter par contrainte.

 

KT – C’est peut-être un consentement, en tout cas, au début, la personne consent et puis après…

 

M – Elle se rend compte que ce n’est pas adapté à elle. C’est difficile de trouver quelqu’un qui, sur cette question-là, est complètement au clair avec ça, parce qu’aussi, ça renvoie aux questions de jalousie, de possession qu’il y a des fois dans l’amour. On peut le voir, ou aussi par les applications, on peut vite avoir des idées dans la tête parce qu’il y a des filles sur l’Instagram de son compagnon, des applis de rencontres installées. Enfin, ça devient encore plus facile, je pense, de voir s’il y a adultère ou pas, et s’il y a consommation, ou pas, de la relation polyamoureuse. Et aussi il y a une question d’équilibre, je pense, qui doit être importante. Mais après, j’avoue que c’est une question que je ne maîtrise pas trop parce que je ne connais pas vraiment. 

 

YR – C’est une différence entre la théorie et la pratique. On va dire ça. 

 

M – C’est comme en politique.

 

PL – Ce que vous avez l’air de dire, c’est que les modalités de l’amour ou d’être amoureux sont très dépendantes de l’ambiance de la civilisation. Comme on est passé peut-être dans notre système du Un aux multiples, peut-être que maintenant dans notre société libérale, on consent plus à avoir des relations multiples, on consomme, voire on se consume dans la consommation. Et, finalement, il y a peut-être quelque chose qui fait que le sentiment amoureux comme autrefois, du temps des romantismes, comme vous disiez, n’a plus lieu d’être. C’est peut-être pour ça, d’ailleurs, qu’on voit autant de gens écrire là-dessus. 

 

M – Mais est-ce que ça ne serait pas du coup une question plus globale que liée à l’amour ? Parce qu’aujourd’hui, par exemple, dans notre génération, moi personnellement, je n’arrive pas à me projeter dans un travail de trente-cinq heures, en France. Et tous les gens qu’on voit sur les réseaux sociaux, ou même ce qui est prôné, c’est que les frontières se sont écartées et, en fait, il y a une réinvention de tout et du travail.

 

PL – Oui, c’est ça. C’est à réinventer.

 

M – Le divertissement est prôné. Aujourd’hui, on peut voir que les activités hors-travail sont tellement multiples, il y a tellement de possibilités, le voyage par avion, par train, ou même aller en stop jusqu’en Thaïlande, aujourd’hui. Je connais des gens qui font ça, alors qu’avant ça me paraissait tellement périodique, les personnes qui pouvaient me dire ça. Et aujourd’hui, par exemple, il y a les digital nomades.

 

PL – C’est quoi encore ça ?

 

M – Les personnes qui travaillent à l’étranger, par exemple, dans une entreprise où il y a complètement du télétravail. Du coup, c’est quelqu’un qui n’a pas de logement forcément fixe, qui n’habite pas dans un pays en particulier, mais qui peut quand même travailler via tout ce qui est digital, donc informatique, réseaux sociaux, communications…

 

P – Ce sont des gens qui communiquent beaucoup sur les réseaux aussi. Ils sont très bons en communication, ça leur permet de gagner de l’argent tout en voyageant, et en ayant un mode de vie qui n’est pas commun en fait. Et, pour compléter ce que tu dis aussi, en fait, c’est comme si on nous disait tout le temps : « soyez libres », « vous êtes libres », « faites tout ce que vous voulez », « faites un travail que vous aimez », « aimez la personne que vous voulez aimer ». « Faites ceci », « faites cela ». Mais, finalement c’est très difficile à la fin, ça met une pression énorme. Parce qu’à quel moment le travail qu’on va faire, on va vraiment l’aimer ? Est-ce que ça ne va pas prendre tout notre temps, tout ce qu’on a en fait ? Est-ce que la personne avec qui on va être, ça va vraiment être ça ? On a des modèles qui ne sont plus les mêmes qu’avant, c’est- à-dire qu’aujourd’hui, nos parents, ils ont peut-être divorcé deux fois, et tous nos copains aussi. Ça arrive, ou pas.

 

PL – Vos parents ont divorcé ?

 

P – Non, pas du tout.

 

PL – Ah non, pas maman. Maman aime papa. 

 

P – Ah ! papa et maman. 

 

DG – C’est sûr que, même le travail, on ne l’envisage plus pour toute une vie, aujourd’hui. Le couple conjugal non plus. La société a changé, oui. On n’hésite plus à modifier la structure familiale, pour quitter un partenaire ou s’engager avec un autre partenaire. Ce n’est plus la famille qui prime mais chaque Un. Aujourd’hui, c’est quand même plus par choix amoureux qu’on construit une famille, et donc l’amour qui fait le lien. L’enfant n’empêche pas de se séparer, au contraire, d’ailleurs. Il a pris une telle place que, j’entends des personnes dire que ça devient intolérable et que : « Ça va être bien la garde alternée parce qu’au moins une semaine je suis à 100% avec mon enfant, et l’autre semaine, c’est pour moi. »

 

PL – Puisqu’il y a des enseignants ici, qu’en pensez-vous ?

 

Participante 2 – Je voulais juste dire que c’était un sujet qui intéressait très vite les élèves, notamment, les pièces de théâtre, Roméo et Juliette par exemple.

 

PL – Ah oui ? 

 

Participante 2 – Tomber amoureux si jeunes, dans des situations familiales aussi difficiles, tout de suite, il y a un effet d’identification qui est vraiment important. Il me semble aussi que la génération des collégiens, des lycéens, également des étudiants, est un peu soumise au diktat des réseaux sociaux. La story qu’il faut forcément avoir. Parce qu’une fois qu’on tombe amoureux, après, toutes ces manipulations de like et de dislike, il faut poster la story. Et, elle aussi, finalement, si l’histoire d’amour ne tient pas, elle peut être très douloureuse et très violente, parce que la place de chacun dans l’amour est révélée comme ça au grand jour. Et puis il y a l’autre histoire d’amour, qui peut se passer en parallèle, qu’on peut aller épier pour se faire du mal également, puisque tout est posté en fait sur cette toile. Donc ça, ça me semble assez violent et c’est une souffrance qui peut être décuplée sur les réseaux sociaux.

 

M – Sur ce qu’on appelle épier, c’est du stalking. C’est stalker quelqu’un, se dire qu’on va passer du temps sur le profil de la personne qui nous a quitté, par exemple, et voir s’il s’est abonné à une nouvelle, ou des nouvelles filles. Et c’est vrai que ce sont des petites choses qui peuvent prendre beaucoup de place. Si on n’est pas un minimum maître de soi, et se dire : « bon là, stop. Je bloque tout et je ne fais pas attention » …

 

PL – Ça peut rendre malheureux ?

 

M – C’est ça. En fait, ça nous conforte dans notre malheur au lieu d’essayer de s’en sortir. 

 

PL – « J’ai vu que tu avais la petite lumière verte ? Avec qui communiques-tu ? » Vous savez dans Messenger ?

 

M – Oui, aussi il y a ça.

 

DG – Facebook et Messenger, c’est dépassé, non ?

 

M – Oui, c’est surtout Instagram.

 

PL – Si ça vous intéresse, sur Facebook, j’ai mis une vidéo qui s’appelle La première rencontre amoureuse. C’est une vidéo que j’avais fait, chez Mollat, où je parlais des premières rencontres amoureuses dans la littérature. Si ça vous intéresse, vous pouvez me liker.

 

(Rires)

 

P – « Je n’attendais rien en retour, promis. »

 

PL – Et vous avez remarqué comment, aux Jeux olympiques, tout le monde disait je kiffe ? Tous les journalistes sportifs, même Macron, même Léa Salamé s’y sont mis … ?

 

M – Je n’ai pas trop regardé, j’avoue.

 

(Rires)

 

JB –À la suite de ce que vous disiez, Madame, on voit bien qu’en fait, le carburant des réseaux sociaux et de toutes les entreprises qu’il y a derrière ça, c’est justement ce besoin de voir et d’être aimé. C’est le carburant. Donc, tous ces pauvres êtres humains connectés aux réseaux, au fond, ils n’ont qu’une envie, c’est de voir si le petit ami, la petite amie, a un autre ami. Donc la seule façon de le voir, c’est d’espionner, enfin de regarder le profil. Et ce sont toujours les mêmes questions sauf que maintenant c’est monétisé. 

 

M – C’est ça.

 

JB – On fait de l’argent avec ça. C’est-à-dire que c’est l’essence de la machine qui permet à la machine de grossir et de ramener un petit peu plus de monde. C’est l’essence humaine en fait. 

 

Marianne Bourineau – Toutes les applications comme Tinder ou les sites de rencontres, qui promettent le grand amour etc., tout ça, c’est monnayé. On est en plein capitalisme, marchandisation, de la mousse quoi. 

 

PC – Même s’il y a tout ce support et ces stratégies, ces stratagèmes, il y a quand même un moment où on se rencontre, où on se parle.

 

M – Oui, c’est ça. Alors il peut y avoir de la désillusion.

 

(Rires)

 

PhC – Parce que ce que P disait, tous ces mots nouveaux qu’on utilise, tous ces mots d’anglais, peut-être que ça cache quelque chose ?

 

P – Bien sûr.

 

PhC – Parce que parler d’amour, ce n’est quand même pas facile. Il y a quelque chose de très particulier. Et donc, quand on se rencontre, on est bien obligé de se parler. Là, on est quand même au pied du mur de la parole d’amour. Alors, est-ce qu’on se parle toujours d’amour ? 

 

M –Au début, y-a-t-il de l’amour ? Comme ce sont des étrangers, au début, on parle de banalités. Après, on se rencontre assez vite et puis, petit à petit, au fur et à mesure des dates, enfin des rencards, il y a l’amour qui peut se créer. Mais, aujourd’hui, dire je t’aime au bout de deux mois, c’est un peu précipité. Au bout de deux mois, on peut dire « Je t’aime » à quelqu’un, avant, c’est difficile. 

 

PL –Mais de toute façon, quelqu’un qui vous dit : « Dis-moi que tu m’aimes », vous vous rendez compte ? On ne peut pas dire qu’on aime, c’est impossible, non ?

 

Participant – Ça dépend.

 

PL – Si quelqu’un dit : « dis-moi que tu m’aimes. - Oui, je t’aime » Bon et on passe à autre chose, non ? Vous ne trouvez pas que c’est difficile de dire je t’aime ?

 

M – Si on le pense ?

 

P – Et puis le fait de sacraliser un peu ça, ça lui donne beaucoup d’importance. Donc ce n’est pas un je t’aime qu’on dit comme ça, à la légère : « Ah, ouais, ouais je t’aime aussi. » Ce n’est pas ça. Il y a un enjeu derrière. Moi je trouve ça beau d’une certaine manière aussi, c’est qu’on a tellement ce côté réseaux sociaux qui simplifie la vie, mais finalement la complique. Et, une fois qu’on se voit, voilà, ça arrive, ça y est, il va falloir se rencontrer. Quelle idée on a derrière la tête ? Est-ce que c’est juste un rencard comme ça ? Est-ce qu’on a vraiment un attrait pour cette personne ? Et si c’est le cas, est-ce que quelque chose va se construire ? Et, à partir de là, on va commencer à développer doucement des sentiments peut-être. Et va arriver le stade où on va se dire : « Ah, je crois que j’y suis ». Comment on le dit ?

 

PhC – « J’y suis. » L’amour c’est comme un rendez-vous.

 

PL – Oui.

 

PhC – C’est ce qu’elle dit.

 

PL – Non, c’est vous qui le dites.

 

P – Mais on espère que la personne sera au rendez-vous, parce que, sinon, ça fait mal. 

 

JB – D’ailleurs, je ne sais pas comment ça se dit aujourd’hui, mais, avant, on disait : « Sortir avec quelqu’un ». Sortir avec quelqu’un, c’était avoir un rendez-vous.

 

M – Mais là, de ce qu’elle dit, moi, j’ai un peu utilisé les applications de rencontre et, en fait, le plus dur à accepter c’est qu’on a un profil face à nous, donc en virtuel : une photo, un âge, un prénom. Et, en fait, on est obligé de se visualiser cette personne dans notre tête. Et, le plus difficile, c’est d’arriver sans attente en particulier. Et, par exemple, enfin, c’est anecdotique, mais moi je mets un peu d’importance sur la taille de la personne et, une fois, ce n’était pas mentionné, je n’ai pas fait attention, et je suis tombée sur quelqu’un qui était plus petit que moi. Peut-être que si je l’avais rencontré dans la vraie vie, ça ne m’aurait pas du tout bloquée. Mais là, en fait, j’avais tellement créé des attentes sur un physique, que ça a été brutal au moment de la rencontre, et qu’il n’y a même pas eu de questions si je laissais la place à l’amour ou pas. Mes attentes étaient trop éloignées pour que je puisse, à un moment, imaginer quelque chose.

 

PhC – L’image crée l’imaginaire alors ?

 

M – Oui, c’est ça. Et, en fait, c’est reposé sur l’imaginaire, et c’est tellement difficile de se détacher de cet imaginaire parce qu’on a passé une ou deux semaines à penser, parler à une certaine personne, et, au final, on se retrouve toujours, dans la plupart des cas, déçu.

 

PL – Mais sinon, il y a des escabeaux. En tout cas, s’il y a Victor Wembanyama qui like, faites attention, parce que, lui, il mesure 2m 24. Vous savez le joueur de basket ? Vous vous rendez compte 2m 24 ?

 

Participante – Par endroit, la parole elle ne suffit pas non plus.

 

M – Ben oui, c’est ça. 

 

DG – Ça fait deux rencontres. Il y a une rencontre virtuelle qui doit se doubler d’une rencontre réelle. 

 

M – Oui, il y a les algorithmes. Et aussi, ce qui est compliqué, c’est qu’il faut être à l’aise par message, et il y a des personnes plus ou moins douées par message, qui vont être très timides dans la réalité et, d’autres personnes, qui vont être très douées dans la réalité pour créer des conversations, et assez nulles par message. Moi, je mets trois ou quatre heures à répondre à des messages. Les gens qui sont sur ces applications ne cherchent pas des gens qui répondent une ou deux fois par jour, ils veulent quelqu’un qui soit présent, qui soit là dans le quotidien et, en fait, quand on ne rentre pas dans ce cadre, c’est compliqué de s’y faire une place. 

 

PL – Quand vous dites « le message » ?

 

M – Ce sont des chats sur l’application.

 

PL – Le chat, on ne sait jamais. Parce qu’il y a deux objets qui créent le désir pour l’être humain, c’est la voix et le regard. 

 

M – Non, il n’y a pas.

 

PL – Ce sont les objets du désir. Et ça, c’est quand même très important, être sensible à la voix d’un homme ou d’une femme, un œil. 

 

P – Mais, c’est quelque chose qui arrive aussi une fois qu’on se connaît un peu plus. Moi, ce sont des choses que j’ai ressenties, c’est vrai, mais du moment que j’ai connu un peu plus ces personnes, à force de parler avec elles. Je finis par remarquer ce ton de voix et que j’ai envie d’entendre, en fait. Je l’entends dans une pièce, et j’ai envie d’y aller.

 

PL – Voilà.

 

P – Et j’ai envie de croiser le regard de cette personne, absolument, à tout prix.

 

PL – C’est ça.

 

P – Mais ça, c’est une fois qu’il y a eu un minimum. 

 

PL – Eh oui, c’est ça au fond. Ce sont des traitements préparatoires à la rencontre amoureuse, des traitements préliminaires à la rencontre amoureuse. 

 

P – Et ça permet à des personnes aussi, qui n’ont pas forcément la possibilité de rencontrer des gens, qui sont peut-être trop timides. Il ne faut pas négliger l’aspect aussi extrêmement positif que ça peut avoir.

 

DG – Est-ce que vous croyez que le temps #metoo a aussi modifié quelque chose ? Est-ce que vous avez l’impression que les hommes, les garçons, les jeunes, que vous rencontrez, sont un peu plus inhibés pour aller à la rencontre des filles depuis ? Est-ce que ça a changé aussi les modalités de rencontres ?

 

P – Nous, on était un peu jeunes au moment de #metoo. Enfin, on avait quinze ans. On n’était pas dans tous ces circuits. Je ne sais pas, aujourd’hui, je trouve que les garçons, enfin en tout cas ceux qu’on rencontre, qui souvent évoluent dans les mêmes cercles que nous, on est tous étudiants, ils sont très à jour sur toutes ces questions. Et, à aucun moment, ils ne cherchent à aller contre.

 

PL – Un psychanalyste, Jacques-Alain Miller, a dit dans la revue Psychologie : « On aime celui qui répond à notre question qui suis-je ?, pas que suis-je ? Qu’est-ce que vous pensez de ça ?

 

P – C’est le fait de se sentir à sa place. Moi, c’est quelque chose que je ne ressens pas souvent. Et quand on trouve quelqu’un qui nous aime à la hauteur de ce qu’on considère comme ce qu’on mérite, on se sent à sa place et tout va bien.

 

PL – C’est ça, c’est une question de place.

 

P – On se sent complet. 

 

PL – Complet ?

 

P – Complet. En anglais, on dirait complete.

 

PL – Dans Le Banquet, il y a Aristophane qui fait le malin, et il dit : « Vous savez, l’amour c’est ne faire qu’un ».

 

DG – Deux moitiés qui se rencontrent.

 

P – Pour moi, il y a le gâteau, donc complet, mais en tant qu’individu. 

 

PL – Vous vous sentez complète ? 

 

P – Toute seule, oui… Je me sens juste très bien.

 

PL – Pourtant, on aime quand on a un manque ?

 

PhC – C’est compliqué.

 

P – On aime quand on a un manque, non, parce que si on aime et qu’on est aimé, il y a peut-être une réponse à ce manque et, nous, on répond au manque de l’autre. Donc ça fait que…

 

M – On comble le manque.

 

P – Oui, on peut s’apporter. 

 

PL – Par exemple, un garçon qui vous fait beaucoup de cadeaux, vous supportez ?

 

P – Bah c’est super, mais il faut qu’il y ait le reste quoi. 

 

PL – Parce que moi je n’arrive pas à faire de cadeaux.

 

P – Ah bon ?! Moi j’aime bien quand même les gens qui font des cadeaux.

 

(Rires)

 

P – Vu que j’en fais, c’est vrai que je peux attendre un minimum en retour. 

 

M – Mais après, sur cette question-là, il faut peut-être demander aussi à son, ou sa, partenaire quelle est la meilleure façon de l’aimer. Puisqu’on dit qu’il y a cinq langages de l’amour, je ne pourrai pas tous les citer mais, en en tout cas, il y a : les cadeaux, les paroles valorisantes, les gestes, le temps passé ensemble et le cinquième, je ne l’ai pas.

 

PhC – Et puis, il y a peut-être le petit truc en plus qui se cache ? Parce que ce que vous disiez tout à l’heure, de votre maman, par exemple…

 

Participante – Le sexe ? 

 

P – Ah ! Sûrement oui, mais c’est peut-être les gestes. 

 

M – Oui, c’est ça. Mais, ça, c’est un truc à la pointe de la mode actuelle dans les conversations sur l’amour, les cinq langages de l’amour et, du coup, la question c’est : « Est-ce que moi mon langage de l’amour c’est de recevoir des cadeaux ? » Donc je vais anticiper que la personne en face de moi, elle va se sentir aimée quand elle va recevoir des cadeaux, et, en fait, pas du tout. Il faut lui poser la question et peut-être qu’elle, ça sera passer du temps ensemble.

 

DG – Ça rejoint ce que Lacan dit, quand il parle d’aimer à partir de son manque, c’est-à-dire que, quand on aime, on donne à partir de ce qui nous manque et ce qu’on aimerait recevoir, mais que c’est toujours raté parce que l’autre n’a pas manqué ou ne manque pas de la même chose que nous. C’est pour ça aussi que percevoir comme Aristophane que, dans l’amour, on rencontrerait notre moitié et qu’on ne ferait alors qu’Un, déjà, c’est bien ennuyeux, parce qu’une fois que ça fait Un, il n’y a plus de manque, plus de désir et l’histoire est finie…

 

PL – Quoi ?

 

DG – C’est ennuyeux parce qu’une fois que les deux moitiés se rencontrent, et que ça fait Un, l’histoire est finie.

 

PL – Mais non, parce que Zweig, quand il s’est suicidé avec sa femme le 22 février 1941 à Petrópolis à 11h55, il a dit : « unis dans l’amour, nous avons décidé de ne faire qu’Un, ne plus jamais nous séparer ».

 

DG – C’est tout à fait ça. C’est ce que je dis. L’histoire est finie.

 

PL – C’est l’amour à mort. C’est l’amour toxique. Il avale un tube de Véronal à 11h50. Sa femme Lotte avale un tube de Véronal cinq minutes après. Elle va mettre sa tête contre l’épaule de Stefan. Et ils meurent tous les deux. Et ce sont les domestiques qui les ont trouvés. 

 

PhC – Au fond, il faut peut-être éviter de faire Un. 

 

Public – C’est ça.

 

PL – Il y avait aussi Kleist, un poète, qui cherchait une femme pour mourir avec elle. Pour eux, c’était ça la vraie amour. Ça ne vous tente pas ça ?

 

M – Pas du tout. Moi j’aime bien mon individualité.

 

(Rires)

 

DG – Par rapport à ce que disait P, tout à l’heure, au sujet de l’amour de sa mère, Zweig, quand on questionne un peu son histoire, ses parents ont attendu de lui qu’il brille, et donc il a su briller. Mais on entend aussi qu’il avait été marqué par un défaut d’amour, au point qu’il a l’impression qu’il ne peut rencontrer l’amour que dans la mort, où il pourrait enfin faire Un avec sa femme. C’est une version mélancolique de l’amour.

 

YR – C’est romantique. 

 

PL – Mais l’amour c’est mélancolique, non ?

 

P – C’est euphorique aussi, ce n’est pas que mélancolique.

 

YR – Moi, il y a une chose que j’ai remarquée sur Internet, c’est que la poésie revient, c’est-à-dire qu’il y a quelque chose qui revient en arrière, dans la pratique de l’amour. C’est-à-dire que les garçons et les filles se disent que c’est quand même pas mal le romantisme à l’ancienne. Donc ils vont peut-être même finir par s’écrire des lettres. 

 

P – C’est vrai.

 

JB – Mais tout à fait.

 

PL – Des vraies lettres, avec du papier et un stylo. 

 

P – Ah, mais on le fait. Moi récemment j’ai écrit une lettre à une personne avec qui je ne suis plus.

 

PL – Qu’avez-vous écrit ?

 

P – J’ai un honneur.

 

M – Aujourd’hui au XXIe siècle, on ne quémande pas.

 

P – Il va juste regretter.

 

PhC – C’est peut-être ça qui fait peur dans l’amour. J’ai beaucoup de jeunes gens qui me disent qu’ils ont peur de tomber amoureux parce qu’ils ont peur d’être pris dans une parole, qui les dépasse un peu, qui fait qu’on ne parle pas comme on parle d’habitude quand on est amoureux, quand on s’adresse à son amoureux ou à son amoureuse ? 

 

M – Oui, il y a aussi cette question de perte de l’autre. Donc, est-on prêt à prendre ce risque-là quand on n’a potentiellement pas de réelle problématique dans notre vie ? Est-ce qu’on a envie de prendre le risque de, peut-être, chambouler tout notre équilibre ? 

 

PhC – Oui, il y a un engagement, un pari, on ne sait jamais. 

 

M – Oui, c’est ça.

 

PhC – C’est contingent.

 

DG – C’est pour ça que ça renvoie à la singularité et au rapport au deuil de chacun. Pour certains, le deuil semble ou est impossible par exemple dans la mélancolie.

 

PL – Ne trouvez-vous pas quand même que les garçons sont beaucoup plus gauches, maladroits et moins décidés que les filles ? 

 

P – Moi je pense qu’ils sont très immatures, enfin non, moins matures. Je pense qu’ils ne sont pas moins matures émotionnellement, mais ils n’ont pas une intelligence émotionnelle aussi développée que peuvent l’avoir les filles de par leur socialisation. Je pense qu’on a appris, toute notre vie, à la fois chez nous, chacun a sa famille, et je ne veux pas faire non plus de généralités, mais j’ai la sensation qu’on a beaucoup appris à accepter que les hommes se sentent comme ci, comme ça, et à ne rien dire par exemple, ou à faire comme si de rien n’était, ou à cultiver leur ego. Il y a un vrai truc comme ça quoi. Par exemple, mon père il est super, je ne le remets pas en question, pas autant que ma mère, et mon frère, pareil, je ne le remets pas autant en question, j’ai beaucoup cherché à le comprendre parce qu’on m’a demandé ; lui, ne l’a pas forcément fait envers moi. Et c’est ce que j’ai aussi fait envers mes amis, aussi envers les garçons avec qui j’ai pu être. C’est tout le temps chercher à les comprendre et à ne pas les brusquer parce que sinon je les perdrais trop vite. 

 

PL – Mais oui, ils sont fragiles.

 

P – Je pense que c’est quelque chose qui devrait évoluer. 

 

PL – Moi je pense que les filles sont beaucoup plus décidées parce qu’elles ont accepté toute la privation, soit ce qui leur manque dans le réel. Tandis que les garçons s’attachent à ce qu’ils ont, ils croient l’avoir et alors ils ont peur de le perdre, soit la castration. Alors il y a des gens qui vont me dire que c’est une théorie un peu dépassée liée à un Freud bourgeois. Lacan a beaucoup théorisé cela, de façon plus moderne et efficace, dans son Séminaire La Relation d’objet.

 

Participante – Oui. 

 

M – Mais peut-être parce que les hommes, dans notre société, ils ont été éduqués d’une certaine façon, pour que tout leur soit dû quand même. Ils sont hommes, en plus ils sont blancs. Franchement ils n’ont pas forcément beaucoup de problèmes. Homme et blanc et âgé.

 

(Rires)

 

Non, mais, dans notre société, les petits garçons sont moins brusqués que les petites filles.

 

P – Tellement.

 

M– Et il y a moins d’attentes quand même.

 

P – Ils sont brusqués d’une autre manière. Simplement, on ne leur apprend pas certaines choses.

 

M – En amour, à notre âge, les problématiques qui sont liées aux applications de rencontre ou encore aux questions de consentement, ça vient souvent des hommes, plutôt que des femmes, parce qu’il n’y a pas souvent eu cette sensibilisation. Et, à Sciences Po, par exemple, où il y a une sensibilisation sur les violences sexistes et sexuelles, on peut voir une énorme progression sur les promos inférieures aux nôtres où, en fait, ces questions-là ne se posent même plus trop. Il y a un cadrage énorme qui est fait par les associations de notre école et c’est incroyable la portée de la chose. Il y a une éducation, qui est faite sur les étudiants, femmes, hommes et aujourd’hui ces questions-là, dans notre école, petit à petit ne se présentent plus ou beaucoup moins. 

 

PL – D’accord.

 

P – Et c’est là où je reviens sur quelque chose que vous avez dit tout à l’heure, c’est que j’ai la sensation que les hommes, d’une certaine manière, se féminisent. Je ne sais pas si c’est un bon terme.

 

PL – Si, si.

 

P – Il y a quelque chose de moins viril et de plus sensible. Et donc je ne sais pas si féminise, c’est vraiment le bon terme, mais il y a une sensibilité qui grandit et une forme d’intelligence émotionnelle qui peut commencer à grandir doucement, également chez les hommes jeunes, qui essaient plus de se mettre à la place des femmes, et moins centrés sur eux-mêmes. Ce n’est pas : « qu’est-ce que moi je ressens ? » mais aussi « qu’est-ce que toi tu ressens ? » Ça commence à se mettre en place doucement. 

 

DG – Une participante pose une question par zoom : « Est-ce qu’on peut dire que le manque permet de maintenir l’amour vivant ? »

 

PhC – Une jolie question. 

 

P – Je ne sais pas, je ne suis pas sûre. Par exemple, je pourrais parler des relations à distance. C’est un manque permanent du coup, et donc une satisfaction très ponctuelle, événementielle. Je ne sais pas comment on peut dire ça, mais ça arrive très peu finalement, et ça peut entretenir une forme de flamme. Mais je pense que, le manque, ça peut être lié à une forme de douleur et que, sur la durée, ça peut être très douloureux finalement. Tout dépend de notre manière de concevoir les choses et de la manière de gérer ce manque. Mais, du coup, je ne suis pas sûre que ça fasse tenir l’amour. Et, justement, ça peut l’entacher, ça peut le noircir de beaucoup d’anxiété ou de jalousie ou de désintérêt au final, peut-être.

 

M – Mais, est-ce que traiter l’amour par le manque, c’est vraiment ce qui est cherché ? Est-ce que ce ne serait pas une forme un peu toxique de ne maintenir l’amour que par le manque ? Moi, j’espère que, si je dois vivre l’amour, ça ne sera pas par le manque parce que j’ai l’impression que c’est très désagréable de manquer de quelque chose et, pour moi, l’amour doit se vivre dans une certaine plénitude ou de manière paisible. Et je n’ai pas envie d’être dans un manque constant. 

 

P – « Un seul être vous manque et le monde est dépeuplé. » Et c’est horrible, il y a tellement de choses à vivre. 

 

M – Il y a la question de la dépendance.

 

PC – Et si on pense que l’amour répond quand même à quelque chose de l’ordre d’un manque, pour maintenir l’amour, il faut maintenir un peu de manque peut-être ? 

 

P – Oui, un petit peu. Mais il y a manque et manque.

 

PhC – Là vous parliez d’un manque radical.

 

P – Oui, je parle du manque et de la douleur aussi.

 

PhC – C’est presque la perte que vous évoquez là.

 

P – C’est le manque de longue durée. Mais mes copines qui me parlent de leur couple, et qui quittent leur copain ou leur copine pendant une semaine, c’est très dur. Il y a des gens qui peuvent tenir un mois, il y a des gens qui peuvent tenir trois mois ou six mois sans se voir. Le manque, pour moi, ça peut être extrêmement dommageable. Ce n’est pas quelque chose que j’encourage. 

 

DG – Je ne sais pas si la question par zoom faisait référence à ce manque-là. C’était peut-être davantage le manque auquel on a tous à faire du fait qu’on soit vivant, divisé, et forcément manquant, que ce soit toujours raté. Lacan était plutôt ami avec le ratage, enfin c’est ma façon de le dire ce soir, je ne sais pas si c’est très bien de le dire comme ça, mais il nous a fait saisir la place du ratage. Il disait, par exemple : « Il n’y a pas de rapport sexuel », ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de relation sexuelle, mais qu’on aura beau avoir autant de relations sexuelles qu’on voudra, en fait, il n’y aura jamais Le rapport sexuel qui unirait deux jouissances. On est toujours renvoyé, d’une certaine façon, à notre solitude, même dans la relation sexuelle, puisque chacun reste avec sa propre jouissance, et ne saura rien de la jouissance de l’autre, ne sera jamais à la place de l’autre. Aussi proche soit-on, il y a toujours un écart irréductible entre soi et l’autre, et c’est ce qui fait que c’est toujours un peu raté. Même dans l’amour, ce qui nous manque, ce n’est pas ce qui manque à l’autre, donc ce qu’on donne c’est toujours un peu à côté, mais, en même temps, ce ratage fait que c’est moteur, c’est le moteur du désir. C’est-à-dire que ça permet d’y revenir aussi, encore, ça permet d’essayer à nouveau d’être un peu plus proche, que ce soit un peu moins malentendu, la prochaine fois.

 

PL – On ne va pas arrêter le ratage, mais, comme disait Jacques Lacan, il faut réussir son ratage, à chacun son ratage. C’est vrai. 

 

P – C’est pour ça que ça se construit.

 

DG – C’est ça.

 

P – Moi, ratage, j’ai du mal avec ce mot. Ratage, c’est dur comme mot. On ajuste doucement. 

 

PL – Oui, voilà, c’est ça.

 

P – Si tout était tout de suite droit.

 

PL – Sinon on pourrait en vouloir à l’autre ou à soi-même, c’est ça qui est terrible. 

 

P – Oui, il y a un jeu.

 

YR – Oui, moi, il y a quelque chose qui m’a frappé dans ce que vous avez dit, j’essaie de le dire de façon un peu cynique mais, vous avez rencontré quelqu’un et vous vous apercevez qu’il est un peu petit. Et, avec ce système où l’on fait des approches comme ça, de manière virtuelle, quand vous le trouvez trop petit, moi j’allais dire que, finalement, le produit a été mal paramétré. 

 

M – Oui, c’est ça. 

 

YR – Et, est-ce que c’est paramétrable ? 

 

M – De toute façon, il y a tout le temps une part d’incertitude. 

 

YR – Oui, c’est ça. Donc ça n’arrive pas, il y a toujours le petit détail qui fait que. 

 

M – Et c’est pour ça que, moi, je pose la question : est-ce que c’est réellement possible de trouver l’amour sur les applications ? Parce que, par exemple, en soirée, on a l’enveloppe corporelle, elle nous plaît ou pas, et ensuite on accède à la personne, à sa personnalité et, là, c’est beaucoup plus simple de s’en rendre compte mais, par l’application, c’est d’autant plus compliqué. C’est sûr, ça rajoute une complexité. 

 

PL – C’est parce que, dans l’application, on ne sait pas s’il ronfle la nuit. 

 

P – Ah ben ça, après, il ne peut pas savoir. Peut-être qu’il pense qu’il ne ronfle pas.

 

PL – Non, mais ce qu’on dit là, c’est très important, ce que vous appelez fort justement l’enveloppe corporelle. L’écran peut envelopper une certaine virtualité qu’on peut paramétrer, mais rien ne remplacera la question du corps dans sa matière, dans sa chair, la façon de faire jouer sa voix, de jouer avec les mots, l’amour de la langue, le goût des mots, de la parole de l’autre. On tombe souvent amoureux de ça, d’une façon de parler de quelqu’un, d’une énonciation. C’est un peu l’enjeu du pari de notre conversation, c’est-à-dire qu’on voit très bien qu’il y a des choses qui surgissent dans le vivant, ce que Montaigne appelait l’élan vital, parce que, lui, il était obsédé par la mort. Il tombe de cheval, il s’aperçoit qu’il n’est pas mort, tout en pensant qu’il est mort parce qu’on parle autour de lui, et tout d’un coup il est surpris, surgit un élan vital et il se met à écrire ses Essais qui sont Que sais-je ? et Que suis-je ? Et là, on voit très bien que la question du corps vivant, c’est quelque chose que justement les écrans n’arriveront pas à attraper, et heureusement. Et la respiration, l’odeur de l’autre, sa peau, le bruit du corps, c’est important. 

 

DG – Patricia Ferreiro nous écrit par zoom : « Est-ce que les réseaux ne sont pas peut-être des passages pour comprendre ces ratages comme un passage initiatique ? »

 

PL – Voilà. 

 

M – Si, je pense que c’est ça.

 

PL – Vous connaissez les histoires qu’il y a eu à Bordeaux là, les justiciers pédophiles ? 

 

M – Ça va faire peur, non ? Ça ne va plus donner envie. 

 

PL – C’est arrivé à quelqu’un, et j’ai vu un jeune qui faisait ça. Ce sont des jeunes qui, par le biais des applications, se sont fait passer pour une jeune adolescente. Donc, ils organisent des trucs, le type veut la rencontrer, et finalement, au lieu de la rencontrer elle, il rencontre une bande d’adolescents. Le but c’est d’obtenir cinq cents euros. Il faut qu’il ait une carte vitale. Ils disent : « comme personne ne s’occupe des pédophiles, nous avons décidé de devenir les justiciers des pédophiles. » Et donc, un jour, ils ont donné un rendez-vous devant l’ancien hôpital des enfants. Et le mec, il n’avait pas de carte vitale…

 

Public – De carte bleue.

 

(Rires)

 

PL – Oui, de carte bleue, et ils l’ont tabassé. Les gens qui étaient à côté ont appelé les flics, les gosses se sont fait embarquer, donc maintenant ils sont suivis, et lui rien du tout, alors qu’il a quand même été sur un site. Vous voyez les applications ? Ça vous arrive d’aller sur une application, vous pensez que c’est un type et puis en fait ?

 

P – C’est arrivé à une de nos copines, il n’y a pas longtemps. Ce n’était pas un vrai profil. En fait, on peut commencer à discuter sur une application, mais il y a trop de barrières, donc, très vite, on peut passer sur nos réseaux sociaux comme Instagram, Snapchat, etc. Qui sont plus simples et avec lesquels on est plus à l’aise. Et, la manière dont il s’exprimait à l’écrit et ce qu’il lui a demandé, on a vite compris que ce n’était pas un vrai profil. C’était trop beau pour être vrai. 

 

PL – Et s’ils font des fautes d’orthographe ? 

 

P – Moi, ça, ça me gêne un peu, mais on peut tous en faire.

 

DG – Chacun son style.

 

P – Le mec que l’on rencontre en soirée, il peut peut-être en faire.

 

DG – Si on concluait sur l’amour ?

 

PL – On vous remercie beaucoup d’avoir participé à cette conversation. On remercie Catherine et Philippe de nous avoir accueillis dans leur lieu. C’est agréable ce lieu. Là, ce soir, on a été filmés. La prochaine fois, à moins que l’Association NousAutres veuille continuer à nous filmer, ce sera moins impressionnant. Donc merci beaucoup de votre participation, de vos éclairages, des réflexions. On a beaucoup appris sur les applications et l’amour.

 

DG – On retiendra que l’amour, ça se cherche.

 

M – Oui, c’est ça.

 

P – Ah, ça !

 

DG – Et, même quand on a un partenaire, ça se cherche encore. 

 

PhC – Voilà. Il y a encore à dire.

 

PL – Sinon, la psychanalyse, ça vous intéresse ? Ce n’est pas ringard ? Ce n’est pas bourgeois ?

 

M – Ben non, pas du tout.

 

P – Ben regardez, comment on est arrivé ici ? 

 

PL – Par la porte ?

 

M – Non, mais par invitation.

 

P – Oui, on a été invitées.

 

M – Ce sont des sujets intéressants. C’est intéressant de savoir, de répondre à toutes ces questions. Même de partager le savoir. 

 

PL – Vous avez été surprises de ce genre de conversation ?

 

M – Non.

 

P – On a déjà beaucoup ce genre de discussions entre nous.

 

PL – On n’est pas trop vieux ? 

 

P – Non, parce que finalement je pense qu’on se retrouve sur beaucoup de choses. Mais c’est juste les moyens qui sont très différents. Ça change, c’est tout. 

 

DG – Merci à tous ceux qui ont participé par zoom, j’espère que le son a été de bonne qualité.

 

PL – Merci à Julien Borde et à Dominique Grimbert pour avoir assuré le côté technique, et à nos cinéastes. 

 

DG – Oui, l’association NousAutres a filmé notre conversation ce soir. David De Souza, vous pouvez peut-être prendre la parole ?

 

David De Souza – Bonsoir à tous. Nous avons un projet de film, effectivement, sur l’émergence des outils numériques et leur répercussion sur l’amour. Nous sommes en collecte de matériaux et de témoignages. Merci beaucoup, pour ces témoignages très riches. Effectivement, les autorisations de cession de droits à l’image, pour nous, sont indispensables, puisque si nous n’avons pas l’autorisation des personnes, nous ne pouvons pas diffuser leurs paroles, ce qui signifierait que le travail devient obsolète. C’est un projet de film où il y aura sans doute d’autres temps de rencontre avec les laboratoires du CIEN. Merci à eux, beaucoup, de permettre ça.




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