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Argument #4 - Céline Souleille


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Alors que la circulaire de la rentrée 2024 adressée à l’ensemble des personnels de l’Éducation Nationale annonce ses ambitions : « Ne laisser aucun élève sur le bord du chemin », la souffrance d’une école qui vacille crève l’écran quand une enseignante filmée se dévoile « frapper » une enfant de trois ans. Les médias se régalent, ils ont une vidéo à se mettre sous la dent. Voilà que les images d’un spectacle immonde saisissent notre regard médusé. Chacun peut se faire acteur et spectateur d’une scène obscène à surveiller et à punir. L’Institution scolaire va-t-elle si mal ? A traîner un peu sur les réseaux sociaux, on pourrait le penser. Des initiatives diverses émergent où la souffrance se dit. Les écrans deviennent un support pour « libérer » la parole. Le #PasDeVagues, initié en 2018 sur Twitter, ainsi que de nombreuses plateformes telle que J’alerte, lancé en avril dernier, en témoignent. S’y lit des récits à vif dénonçant pêle-mêle les conditions de l’inclusion, le temps de travail qui déborde, les effectifs de classe trop chargés, les injonctions pédagogiques subies et l’incompétence de l’administration. Un « marche ou crève » s’énonce. Ça fait pas rêver !

 

Pourtant, les réseaux sociaux sont aussi devenus des espaces vivifiants où une part de rêve se révèle. Des communautés de partage s’organisent et des initiatives pédagogiques y voient le jour permettant aux enseignants d’inventer et de renouveler leur pratique. On invite même les élèves à apprendre via les réseaux sociaux. Des « twitclasses » sont créées dans lesquelles les élèves peuvent écrire leurs « twictées », leurs « twhaikus », lire de la « tweterature ». Depuis l’épisode Covid, une nouvelle tendance encore est apparue, celle du prof se mettant en scène à l’écran. Des vidéos sur Instagram ou Tiktok pullulent, dans lesquelles des enseignants prodiguent conseils et connaissances. Véritables phénomènes, ils accumulent les likes dépassant parfois le million d’abonnés. Apprendre peut-il se passer de la présence incarnée d’un autre ? « Auparavant, le savoir était un objet qu’il fallait aller chercher dans le champ de l’autre, il fallait l’extraire de l’autre par les voies de la séduction, de l’obéissance ou l’exigence, ce qui nécessitait d’en passer par le désir de l’Autre […] Il y a aujourd’hui une autoérotique du savoir. »[1] Faut-il craindre que l’usage des écrans chez les jeunes bouche la rencontre des corps et consacre l’isolement autistique ?

 

De multiples rapports tel que Children media lifes[2] pointent un usage des écrans de plus en plus précoce et intensif. Les réseaux sociaux y occupent une place prépondérante. Tiktok opère ces dernières années une croissance fulgurante auprès des jeunes, voire des très jeunes, captivés par des images animées, rapides, saccadées, courtes, bruyantes, drôles ou dramatiques. Dans ce prêt à consommer, un illimité de la jouissance que rien ne semble pouvoir trouer envahit tous les espaces et y absorbe le temps. C’est que ces réseaux dit sociaux ont été conçus pour ça. Les parents se tracassent, les autorités sanitaires s’émeuvent.

 

Dans ce monde ultra numérique, comment l’enfant peut-il continuer à construire son monde à lui, à loger son ennui et ses rêveries ? Et si l’écran était son bricolage pour se soutenir dans l’existence ? Et si les usages que les jeunes font des écrans prenaient support sur un imaginaire singulier ? L’écran serait-il un pharmakon, remède et poison du rêve ?

 

Le 30 novembre à Bordeaux, la Journée des laboratoires du CIEN, Ça c’rêve l’écran sera l’occasion de relever le pari d’une réponse possible.

 


Céline Souleille



[1] Miller J.-A., « En direction de l’adolescence », Interpréter l’enfant, Paris, Navarin éditeur, 2015, p. 193




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