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Argument #4 - Céline Souleille

« C’est compliqué ! » semble avoir envahi le langage commun. On l’entend un peu partout dans notre quotidien et nos institutions. C’est même désormais un des possibles statuts de la vie sentimentale proposés sur Facebook : « complicated ». « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » disait la devise des Shadocks de Pierre Rouxel. L’origine latine, complicare, plier en roulant, nous indique l’impasse dans laquelle un sujet peut être pris comme ligoté, enfermé, ceinturé et peut-être y trouver une jouissance. Entendre et accueillir un « c’est compliqué » semble aller à rebours de notre époque brandissant une simplicité à tout va. Le souci d’accessibilité, si commun, invite chacun à s’exprimer de manière simple, claire, limpide, linéaire. On nous somme d’user d’une langue qui ne connaît pas les détours, les méandres et les malentendus. A la télé, à la radio et sur les réseaux sociaux, les interventions sont minutées, chiffrées. Il faut être compris rapidement. Le consentement à se laisser se saisir par une certaine complexité se refuse.


C’est dans cette atmosphère assez moribonde que les élèves qui n’apprennent pas à l’école tout à fait comme il le faudrait, qui fatiguent ou tracassent leurs enseignants, sont étiquetés sous le signifiant d’« élèves à besoins particuliers ». Une déficience objectivable est évaluée, clôt la demande et par voie de conséquence un désir qui pourrait en découler. L’enfant se trouve pris dans un étau qui norme et uniformise, dans un discours qui ne laisse pas de place à sa parole et à sa subjectivité. Cela est particulièrement frappant dans le cas de ces enfants terribles qui exaspèrent et terrifient parents, éducateurs ou enseignants, ces enfants rangés dans le tiroir d’« enfants ayant de troubles du comportements ».


Dans les écoles, on voit arriver depuis quelques années des tableaux titrés « Grille d’observation du comportement » : – Calme : souvent, quelques fois, rarement, jamais – Reste correctement assis à sa place : souvent, quelques fois, rarement, jamais – Joue avec ses affaires : souvent, quelques fois, rarement, jamais – Se déplace sans autorisation : souvent, quelques fois, rarement, jamais. Faire des croix dans des cases, cela n’est pas très compliqué mais cela complique terriblement notre affaire : « Les enfants se voient aujourd’hui voués à une alternative, résister ou céder d’où angoisse assurée des uns et épinglages des autres (…). Bien des parents sont demandeurs de ces « bonnes intentions ». Elles rassurent dans un premier temps, au terme duquel se découvre dans quel chemin de croix elles mènent parents et enfants. »(1). La machine éducative peut alors dans la foulée prendre le relais et à coup de bons points tenter de redresser le trublion.


Les boites à outils clés en main fleurissent. Offrant la réponse à tout, on nous propose de « gérer » ces enfants insupportables. L’appétissant et non moins illusoire « Les mots doux » par exemple, invite l’enfant ou l’adolescent réfractaire à écrire chaque jour un petit mot à lire aux camarades de la classe, n’importe lequel pourvu qu’il soit positif. Nous exigeons des enfants heureux et épanouis parce que « (…) Nous voulons simplement être laissés en paix, n’avoir pas de difficultés, bref nous visons à faire un « enfant modèle » sans nous demander si cette manière de faire est bonne ou mauvaise pour l’enfant. »(2). Ainsi ne nous étonnons pas qu’en réaction le réel vienne cogner bien fort à la porte de nos institutions dans un vacarme qui tente de faire entendre autre chose, qui tente de dire les embrouilles dans lesquelles un sujet peut être pris car c’est compliqué !


« Nous ne sommes pas candidats et candidates à la bêtise et à la méchanceté où poussent des procédures qui prétendent supprimer les symptômes dérangeants pour le train-train quotidien et la paix familiale et institutionnelles. Nous avons le souci de la souffrance qu’ils manifestent et du réel qu’ils affrontent. »(3). Les laboratoires du CIEN offrent un lieu et un espace de paroles pour que s’inscrivent dans l’Autre la singularité d’une invention et l’acte à poser qui permet de répondre, d’accuser réception des mots de l’enfant. À la Journée du CIEN à Bordeaux, le samedi 26 novembre, des partenaires de différentes disciplines qui œuvrent auprès d’enfants témoigneront d’une expérience vivante de l’être parlant et parlé, libéré des standards et des protocoles qui étouffent le désir, l’expérience du pari de la conversation.




Céline Souleille



1. Miller J., Peurs d’enfants, Navarin, 2011, p 5-6.

2. Freud S. « Le petit Hans, Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans », Cinq psychanalyses, PUF, Paris, 2011, p 194-195

3. Miller J., Op. Cit

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