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Argument #3 - Julien Borde


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À quoi rêvent les adolescents connectés ?


La mise au zénith de l’objet a[1] dans nos sociétés contemporaines fait de chacun de nous des pièces détachées[2] de la machinerie du Net, l’ogre du grand réseau. Alors que l’invention de l’imprimerie avait permis à chacun de lire, l’avènement du web 2.0[3] donne la possibilité à tous d’écrire, d’abord sur lui-même. Passé à la moulinette du discours capitaliste, l’écriture devient création de contenu, post, like, commentaires, tandis que les traces de nos usages du numérique produisent, à leur tour et à notre insu, un savoir chiffré exploitable par les algorithmes de recommandation. L’opération tend à effacer le sujet au profit de son profil numérique qui sera ensuite vendu au plus offrant : « si c’est gratuit, c’est vous le produit ». La machine globale du Net aspire et recycle notre production ininterrompue de datas générée par les traces numériques de nos usages.

 

Les enfants et les adolescents n’échappent pas à cette entreprise planétaire qui met, de plus en plus tôt, ces objets écrans entre leurs mains. En usant du pulsionnel comme carburant, la machinerie algorithmique pousse l’adolescent à s’engager toujours davantage en proposant constamment un contenu qui vient flatter le profil numérique élaboré à partir de son comportement sur la toile. Dès lors, les questions qui émergent à l’adolescence sont amplifiées par le travail algorithmique qui pousse à voir, pousse à faire voir, pousse à jouir[4]. Nous assistons à la mise en scène de l’intime et cela n’est pas sans conséquences sur les rapports que les adolescents entretiennent avec leurs pairs, leurs parents, le monde qui les entoure et la langue.

 

Il n’est pas exagéré de dire qu’une des premières préoccupations des parents d’aujourd’hui est la consommation des écrans par leurs enfants ou adolescents. Les journaux ne s’y trompent pas en mettant le projecteur, à grand renfort de vocabulaire issu de l’addictologie, sur ce qui, dans les usages du numérique des adolescents, serait à l’origine du Malaise dans la civilisation : les écrans seraient à l’origine d’un abrutissement généralisé[5] et favoriseraient les comportements déviants et asociaux des adolescents. De leur côté, les travailleurs sociaux sont à la peine et à la traine vis-à-vis d’attitudes et de comportements qui tendent à disparaitre de l’espace social traditionnel pour migrer vers des lieux virtuels plus difficiles à arpenter.

 

À quoi l’écran du smartphone fait-il écran ? Quels sont ces nouveaux espaces au sein desquels les adolescents se rencontrent, s’aiment et se déchirent ? Comment l’amour se fraye-t-il un chemin entre like et post ? À quoi rêvent les adolescents connectés ? La Journée des Laboratoires du CIEN sera l’occasion d’attraper quelques enseignements sur la manière dont chacun peut, à leurre du réseau généralisé, inventer de nouvelles modalités d’accompagnement à partir des usages des écrans par les adolescents d’aujourd’hui. Si certains usent du cadre de l’écran pour se protéger d’un réel trop présent, une rencontre avec un adulte à la fois docile et quelque peu averti, peut donner une autre dit-mention à la présence, celle d’un véritable a-cueille.

 

Julien Borde

 


[1] Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001.

[2] La Sagna Ph., « La politique de la psychanalyse à l’époque du zénith de l’objet a hier aujourd’hui et demain », La Cause freudienne n°69, 2008/2, pp. 64-67.

[3] Le Web 2.0, quelquefois appelé Web participatif, désigne l'ensemble des techniques, des fonctionnalités et des usages qui ont suivi la forme originelle du Web, www ou World Wide Web1, caractérisé par plus de simplicité et d'interactivité. Il concerne en particulier les interfaces et les échanges permettant aux internautes ayant peu de connaissances techniques de s'approprier des fonctionnalités du Web. Ils peuvent d'une part contribuer à l'échange d'informations et interagir (partager, échanger, etc.) de façon simple, à la fois au niveau du contenu et de la structure des pages, et d'autre part entre eux, créant notamment le Web social2. Grâce aux outils mis à leur disposition, les internautes construisent et contribuent au Web.

[4] Lacadée Ph., « Nouvelles formes d’angoisse à l’erre du numérique », Le Pari de la Conversation, Le harcèle ment : ombre et lumière, n°14, du 28 novembre 2023.

[5] Desmurget M., La fabrique du crétin digital, Le Seuil, 2019.





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