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L’apocalypse crève l’écran de cette rentrée littéraire 2024. La fin du monde est devenue un objet imaginaire central [1] incontournable pour de nombreux auteurs qui cherchent à la représenter ou à la mettre en fiction. L’accélération des bouleversements, donne le senti-ment à quelques-uns qu’un matin, on pourrait bien se réveiller au cœur d’une dystopie. Ça a, en effet, de quoi pétrir d’éco-anxiété une génération qu’on entend dire qu’elle ne veut plus faire d’enfants.
Le discours capitaliste est follement astucieux, mais intenable, disait Lacan : « Ça marche trop vite, ça se consomme, si bien que ça se consume. Le monde y est embarqué, et tout le monde y est intéressé au nom de ceci, qu’il y a quelque chose qui ne tourne plus rond » [2]. Il annonçait la crise de ce discours ouverte en 1972, déjà bien avant l’ère numérique et le téléphone portable, ses puissantes caisses de résonance et leurs nouveaux effets.
L’enfant naît et grandit dans un monde où le lien social peut être aussi aride que le changement climatique annoncé. Il est convoqué à jouir, dès sa naissance, des objets que la science a donc fait proliférer dans son monde. Et la jouissance, « une fois qu’on y entre, on ne sait pas jusqu’où ça va. Ça commence à la chatouille et ça finit par la flambée à l’essence » [3]. Dans ce champ de ruines, le sujet divisé autant que les choses de l’amour ont bien du mal à donner encore signe de vie. Mais, aussi follement astucieux, soit-il, ce discours n’en est pas moins voué à la crevaison [4].
Intenable, parce que LOM ne parle que de ça au fond, de l’amour, celui qui lui a manqué, celui qui lui manque, qui l’étouffe, toujours raté, l’autre ne répondant jamais à sa demande. C’est toujours à côté, jamais ça… Il peut s’en défendre, dire qu’il peut s’en passer, le traiter par la forclusion, le déni, le refoulement, ou l’assumer, cet Amour, il le cherche et, de façon parfois désespérée. Cela n’échappe pas au discours religieux qui annonce son grand retour, celui du Véritable Amour. Une vraie tentation. L’itinéraire vers Le Triomphe de la religion semble s’emprunter, Lacan en avait saisi la logique. Ainsi, soit-il ?
N’avons-nous que la solution de cette révolution pour reconnaître à l’amour sa valeur dans le lien social ? Car ladite révolution actualise, en son essence-même, un retour en pire/empire du Père, Dieu tout-puissant, qui ne serait qu’Amour, enfin pour ses fidèles… Inventer du nouveau relève-t-il de l’impossible ?
C’est la question qui travaille Freud et Lacan. C’est aussi la réponse de Jacques-Alain Miller dans son introduction au Séminaire V de Lacan : … du nouveau ! [5] L’inconscient rêve de vérité, et ladite vérité a le mérite d’offrir au sujet un destin, voire de répondre au désir de dormir plus tranquillement. Mais, la vérité est aussi menteuse, et le rêve ne s’y trompe pas. Ce n’est que pas-tout qu’il s’offre à déchiffrer, sens et béance. S’il est « œuvre de fiction » [6], il n’est pas sans lien avec le fantasme et ne fait pas l’économie du réel, il invente et troue ce qui relèverait d’une fatalité à vivre toujours la même chose. Le rêve écrit du nouveau, peut donner une issue, et révèle le rapport le plus intime de chacun à la vie. Ça c’rêve l’écran.
Voici le thème de la Journée des laboratoires du CIEN à Bordeaux, le 30 novembre 2024. Quels sont les rêves et les fantasmes des enfants et des jeunes dans le monde d’aujourd’hui ? En quoi, par leurs rêves et fantasmes, subvertissent-ils les discours dans lesquels ils sont pris ? Ils écrivent du nouveau, alors à nous de consentir à s’en faire lecteurs. C’est le pari qu’ont relevé nos partenaires d’autres disciplines, ils viendront témoigner de comment ils se situent eux-mêmes dans cette part de rêve ou de fantasme de laquelle ils entendent les jeunes qu’ils accompagnent, évitant ainsi de les piéger dans des idéaux éducatifs pouvant mener au désespoir. Comme le disait Jacques Lacan, il s’agit de se mettre à la hauteur de « la portée immédiate de la subversion créatrice [7] ». À chacun d’y mettre du CIEN.
Dominique Grimbert
[1] Pernes C., « Rentrée littéraire 2024 : des dystopies en quête d’un plus large public », Télérama, 21 août 2024.
[2] Discours de Jacques Lacan à l’Université de Milan le 12 mai 1972, paru dans l’ouvrage bilingue : Lacan in Italia 1953-1978.
En Italie Lacan, Milan, La Salamandra, 1978, pp. 32-55.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre xvii, L’Envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 83.
[4] Lacan J., « Du discours psychanalytique », Lacan in Italia, op. cit.
[5] Miller J.-A., … du nouveau !, collection éditée par l’ECF, Paris, 2000.
[6] Borges J. L., Conférences, Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 1985, p.
[7] Lacan J., Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 59.
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