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Argument #1 - Philippe Lacadée




L’enfant éprouve très tôt des événements de jouissance qui déconcertent l’Autre, tel le petit Hans confronté « à l’énigme soudain actualisée pour lui de son sexe et de son existence ». Alors s’entend « C’est compliqué !!! ». C’est la réponse à une indicible question qui se vit aussi comme une absence de réponse. Il s’agit d’accueillir cet énoncé qui peut faire symptôme, soit question ou jouissance, tant pour l’enfant que pour ceux qui s’occupent de lui. Le « T’entends pas mes questions » se cogne contre le mur du « T’écoutes pas mes réponses ». Quel est donc le réel en jeu pour cet enfant que l’on nous présente comme terrible, qui exaspère celui pour qui il incarne le réel ?


L’analyste, auquel il est adressé, suppose cet enfant sujet qui peut répondre. Dès lors, lui est offert de prendre la parole car il ne se situe pas dans le seul développement ou la seule maturation biologique. La langue porte en elle une limite qui le confronte à ce qui se présente toujours du côté de l’excès. Là où le malentendu éclaire le nouage du corps vivant à la langue, son histoire se révèle nouée à celle de ses parents, c’est le véritable champ du savoir, là où Freud fit entendre le silence de la pulsion. Partir du malentendu pour l’apposer, voire parfois l’opposer, au soi-disant bien entendu des Neurosciences qui feraient disparaître la gêne sous la réponse-à-tout du gène. À travers ses expliques à lui, saisir ce qui lui revient comme énigme de la complication de son désir[i], qu’il sait sans le savoir, à la surface de ses mots. En suivant le fil de sa parole, déduire la logique de sa place dans l’Autre, mesurer la solution souvent en impasse de son symptôme et opérer, par l’entreprise de nomination que la psychanalyse permet, une traduction de la jouissance en jeu pour lui, pas sans effets sur sa souffrance.


Lacan déconseille d’autoriser un enfant à se réfugier dans un « je suis un enfant » comme réponse à son « Que suis-je ? »[ii] Quand il fait l’enfant, ça vient faire difficulté dans l’éducation. Le lieu des conversations entre partenaires de différentes disciplines que proposent les laboratoires du CIEN à Bordeaux en témoignent. « Je suis un adulte » n’est pas réponse plus légitime. C’est un mythe qui participe de la répression psychologisante. Les adultes ne sont que « soi-disant adultes » ou adultérés et la formule « je suis un enfant » n'est que corset destiné à faire tenir droit ce qui se trouve dans une position un peu « biscornue »[iii]. L'enfant n'est pas droit, lisse et harmonieux, c’est un être qui présente des saillies dues au réel inassimilable qui l’agite, aux débordements de jouissance qui évoquent l’art baroque.


L'enfant lacanien est une représentation inédite, antithèse de l'enfant du discours commun. Marque de ce qui fait la singularité de chacun, sa biographie, son histoire, sa présence. En 1954, Lacan s'est montré cinglant envers les analystes d'enfants, les psychologues et éducateurs se disant spécialistes de la relation d'objet, pour lesquels la psychanalyse « serait une sorte de remède social »[iv]. Ils réduisent l'enfant à un être de besoin cherchant l'objet qui le comble, veulent l’adapter à des codes préétablis. Lui considérait leurs propositions comme celles de « véritables chieurs de perles » [v]. Si nous assistons à une dévalorisation de la psychanalyse et de la parole au profit de l’éducation thérapeutique, prônant un diagnostic pour un programme établi par la logique terrifiante du protocole, et du tout neuro, qui offre à tout sujet la réponse qu’il n’a plus à se poser de question, Lacan a fait valoir la version de jouissance du verbe et du signifiant. Le corps est un corps qui se jouit et l’enfant lacanien un sujet qui se débrouille, bricole avec les bouts de réel parfois terribles qu’il rencontre, comme le malaise dans la civilisation a su en produire dans les lieux et les liens famille, école, monde… Si l’enfant est dit terrible, il vit aussi du terrible.


Lorsque ses solutions de jouissance le conduisent à des points d’impasse, quel savoir-y-faire avons-nous à lui offrir ? C’est à différents témoignages sur cette question que se risqueront nos partenaires de différentes disciplines dans les champs de l’éducation, de l’enseignement, de la justice etc…



Philippe Lacadée




[i] Lacadée Ph., « Les mille et une fictions de l’enfant », Le Malentendu de l’enfant, Éd. Michèle, coll. Je est un autre, 2010. [ii] Lacan, J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, Seuil, Paris, 2001, p. 282. [iii] Lacan, J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, op. cit., p. 281-283. [iv] Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, Seuil, Paris, 1997, p. 19. [v] Ibid., p. 21.





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